Repenser la politique monétaire et ses objectifs, réformer notre environnement comptable et prudentiel, revoir les normes de rentabilité des fonds propres, réguler les prix de certains actifs…
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Il est temps de redéfinir les modalités de fonctionnement de notre système économique et financier et de remettre en cause un certain nombre de dogmes de la finance de marché et de la conduite des politiques économiques. Voici 10 propositions pour refonder notre environnement économique et financier.
Nous sommes tous inondés d’articles, dossiers et discours nous expliquant les solutions pour sortir de la crise et les conditions suffisantes et nécessaires de mise en place de la croissance équilibrée et du développement durable
Ce que nous tenons à écrire ici, c’est qu’avant de proposer de solutions de sortie de crise (souvent par ceux là même qui étaient ou sont en charge de responsabilités économiques et politiques et qui n’ont jamais rien vu venir et jamais rien pu résoudre), il est temps de redéfinir les modalités de fonctionnement de notre système économique et financier et de remettre en cause un certain nombre de dogmes de la finance de marché et de la conduite des politiques économiques
A cet effet, nous présentons dans ce papier (et nous ne sommes pas les seuls et les premiers à le faire) 10 propositions permettant de refonder notre environnement économique et financier
1. Mettre en place des mécanismes qui puissent résoudre un problème de solvabilité et pas seulement un problème de liquidité
Si l’on se réfère à la crise actuelle de la zone Euro, cela revient à dire que les pays insolvables de la zone euro le sont parce qu’ils ont une spécialisation productive qui ne peut générer que des déficits extérieurs (pas de spécialisation dans les secteurs industriels d’exportations ou dans les services exportables mais des économies exclusivement spécialisées dans les services non exportables) ; ce qui veut dire qu’il y a endettement structurel du secteur privé ou du secteur public ou des deux.
En mettant donc en place des solutions de soutien en liquidité, fusent-elles spectaculaires en montant, la crise est juste repoussée dans le temps. Il faut donc repenser les solutions de sortie de crise et envisager des remèdes structurels : politiques visant à améliorer la croissance potentielle (solutions de long terme) ; mise en place d’un véritable fédéralisme fiscal (politiquement difficile) ; restructurations de dettes ou défauts partiels (en essayant d’éviter les risques systémiques) ; sortie de la zone Euro de certains pays (électoralement payant mais économiquement suicidaire)
Je prépare une étude sur ce sujet en rappelant quelques expériences historiques de restructurations et de défauts souverains sur ces vingt dernières années et en en tirant des enseignements pour comprendre la crise actuelle des souverains fragiles de la zone Euro
2. Remettre en cause les politiques monétaires favorisant l’aléa moral et donc la déresponsabilisation des investisseurs
Il s’agira donc d’en finir avec le financement sans discernement de la gabegie et de la mauvaise gestion. Il faudra responsabiliser les investisseurs, tous les investisseurs au lieu de solliciter en permanence le contribuable ; ce qui signifie qu’il faut remettre en cause l’existence d’un prêteur en dernier ressort voire d’un acheteur en dernier ressort , histoire de faire comprendre à nombre d’investisseurs qu’il faut arrêter d’investir les yeux fermés parce-que les notations des supports sur lesquels on investit sont de l’investment grade prétendu de qualité ou parce-que les consensus de marché dont positifs.
La meilleure illustration de la déresponsabilisation des investisseurs fut la titrisation, tout du moins de la façon dont elle s’est développée en 2005-2007 (avec beaucoup de levier et des montages inutilement complexes). Effectivement, cette période a conduit les banques à être de moins en moins regardantes sur le risque crédit à l’octroi puisqu’il était cédé quasi systématiquement. Le découplage entre l’originateur du crédit et le porteur final du risque a considérablement réduit l’incitation à l’évaluation et au suivi des risques.
3. Redéfinir ce que l’on nomme communément objectif d’inflation des banques centrales
Retenir les leçons de la crise c’est d’une certaine manière repenser et redéfinir les vraies missions d’une banque centrale ; ce qui nous conduit à rejeter le caractère ultra-accommodant des politiques monétaires de la FED et de la BOE, mais également à l’autre extrémité le caractère trop dogmatique de la BCE.
Nous avions finalement vécu avec l’idée que la crédibilité des banques centrales avait été renforcée et que les conséquences en avaient été une forte réduction de la variabilité du cycle conjoncturel : croissance, inflation, taux d’intérêt. Toutes choses de nature à stabiliser les anticipations des agents économiques et donc à créer des conditions de croissance durable. En fait, il ne s’agissait que d’illusions puisqu’il y a eu report de la variabilité sur celle des prix des actifs avec des excès de liquidité puis des crises à répétition liées à l’éclatement des bulles sur les prix des actifs.
Il s’agira donc de revoir et de faire évoluer l’objectif d’inflation traditionnelle concernant les prix des biens et services :
4. Lutter autant contre les surévaluations d’actifs que contre les sous-évaluations
Contre la sous évaluation : cela revient à définir des objectifs pour contrer durant certaines périodes les dynamiques déstabilisantes de formation des prix des actifs sur les marchés : ventes d’actifs forcées liées à des contraintes comptables, prudentielles et réglementaires.
Contre la surévaluation : on sait que l’excès de liquidité est générateur de bulles et de déconnexion entre la croissance de l’économie réelle et l’évolution du prix des actifs financiers. Il est indispensable d’éviter les risques de déconnexion entre la croissance de l’économie réelle et l’évolution du prix des actifs financiers.
Cette proposition s’inscrit donc dans le prolongement de la proposition 3 puisque cela signifie qu’il faut que les banques centrales aient enfin parmi leurs objectifs le contrôle du prix des actifs financiers (et non pas celui du prix des seuls biens et services).
En tout cas, l’on souhaiterait que les investisseurs n’achètent pas des actifs financiers à des prix surévalués et n’entretiennent pas des bulles et donc des risques de crise de solvabilité pour ces acteurs lorsque les prix de ces actifs corrigeront violemment.
Il est vrai qu’il est assez complexe de définir ce que peut être un prix élevé et personne n’est effectivement suffisamment omniscient pour ce faire. Il y a en plus le risque sérieux d’aléa moral qui pourrait venir perturber le fonctionnement plus ou moins "harmonieux" des marchés et également déresponsabiliser les investisseurs imprudents (cf proposition 2)
Il ne faut pas néanmoins que ces comportements imprudents viennent déstabiliser le système financier et partant la sphère réelle de l’économie.
Il faut donc (régulateur ou banque centrale ) que sur certaines classes d’actifs et certains instruments des zones de surévaluation soient clairement définies : par exemple spreads de crédit sans aucun rapport avec la rémunération du risque
Il faut aussi (régulateur ou banque centrale ) "nettoyer " les marchés de surévaluations déconnectées des fondamentaux , ce qui passe par un aménagement de certaines règles prudentielles et comptables (on en reparlera lors de la présentation de la proposition 10)
5. Utiliser plusieurs types d'instruments au-delà de la fixation des taux d’intérêt directeurs afin d’assurer la stabilité financière
Achats d’actifs (pour modifier les taux d’intérêt des crédits à long terme par exemple ou le prix de certains actifs financiers), ce qui revient à un quantitative easing ou qualitative easing avec une contrainte plus forte que ce qui a été pratiqué depuis 2009 : encadrement de ces actions en termes de croissance de la masse monétaire , donc mise en œuvre de ce que l’on appelle une stérilisation partielle de la création monétaire
Utilisation des réserves obligatoires (aussi bien sur les dépôts que sur les crédits), instrument très utilisé aujourd’hui par les banques centrales asiatiques
Mise en place d’un plafond pour le fameux ratio loan-to-value pour les prêts immobiliers afin de limiter le risque de solvabilité en cas de retournement du marché immobilier.
Dans la même logique, mise en place d’un ratio Service de la dette /revenu, ce qui devrait éviter d’accorder des crédits à des clients peu solvables. On se souvient en effet de la crise des subprime. Cette crise concernait un compartiment du marché immobilier américain destiné à une clientèle peu solvable dont le système fonctionnait sur la base de taux variables grâce à une garantie prise sur le bien financé. Cette situation était idéale lorsque deux conditions étaient réunies : hausse continue de l’immobilier et taux maintenus à bas niveau durablement ; que l’une de ces conditions disparaisse et alors le bel édifice s’écroulait
Surveillance de certains ratios et limites de bilan des banques (ratio de fonds propres, taille des ressources empruntées et niveaux des gaps de taux et de liquidité)
Surveillance des prises de risque excessives pour rétablir la rentabilité des fonds propres. S’ils conservent la même exigence qu’auparavant de rentabilité des fonds propres, alors beaucoup d’intermédiaires choisiront, pour une même consommation de capital, les actifs les plus risqués.
6. Renforcer la coopération monétaire internationale en mettant en place de nouveaux indicateurs
Nous imaginons 2 types d’indicateurs :
Mise en place d’une mesure de la croissance de la masse monétaire à l’échelle « mondiale » de telle façon que les décisions individuelles de Banques Centrales aboutissant à un excès de liquidité globale ne viennent pas perturber l’efficacité de la politique monétaire d’autres banques centrales
Il n’existe aucune organisation internationale qui ne proteste quand les politiques de change des pays sont clairement non coopératives (Chine, Etats Unis, Royaume Uni…).
Par exemple, le quantitative easing de la FED crée de la liquidité qui va certes financer la dette américaine mais qui va s’investir aussi sur les actifs émergents (devises, obligations et actions) et sur les matières premières ; cette dépréciation organisée du dollar et cette appréciation des devises émergentes ont conduit les banques centrales d’Asie à créer à leur tour de la liquidité en émettant de la monnaie nationale destinée à être vendue contre dollar (compétitivité des émergents oblige). Ce sont des monnaies telles que l’Euro qui jouent alors le rôle de variable d’ajustement via une appréciation au-delà de ce que l’économie de la zone ne peut supporter. Il faut pouvoir peser de tout son poids au niveau français en particulier et européen en général pour définir des taux de change stables tout en étant ajustables
7. Pour une meilleure prévention du risque systémique
Les autorités de tutelle doivent mener une vraie supervision macroéconomique des politiques économiques des pays et mettre en place des indicateurs de risques systémiques liés justement à ces risques macroéconomiques.
Les banques centrales doivent pouvoir jouer un rôle majeur dans le pilotage des stress-tests appliqués au secteur bancaire avec l’établissement de scénarii simultanés très défavorables sur le plan des risques macroéconomiques :
L’objectif majeur est bien de faire le lien entre le risque systémique macroéconomique et le risque systémique bancaire, ce qui n’a jamais été vraiment réalisé.
8. Redéfinir les objectifs de rentabilité des fonds propres des banques en tenant mieux compte de la réalité de la croissance potentielle des économies
Sur ce sujet, les banques centrales ont aussi une responsabilité énorme : éviter aux banques de continuer à prendre des risques de plus en plus importants et pas forcément les bons risques qui permettent de financer l’économie au moindre coût, mais les mauvais risques qui cherchent contre vents et marées à maintenir une rentabilité actionnariale exagérément élevée.
Il faut donc revoir les exigences de retour sur capitaux propres qui ont conduit à des prises de risque excessives, à la mise en place de stratégies à fort levier et à l’émergence d’innovations financières mal maîtrisées.
9. Stabiliser la situation de liquidité des banques
Afin de stabiliser la situation de liquidité des banques et d’éviter ainsi la course aux dépôts et les mouvements de panique qui ont pu pénaliser le marché interbancaire, nous rejoignons les propositions de nombreux économistes sur la mise en place d’un système généralisé d’assurance à l’ensemble des ressources bancaires (cela sécurisera les placements des épargnants et favorisera la stabilité du passif des banques).
Le financement de ce système pourrait être facilement assuré par la mise en place d’une taxation bancaire appropriée.
10. Pour un environnement comptable et prudentiel plus intelligent
Il est impératif de réviser les normes comptables (IFRS) et prudentielles (Bale 3) trop pro-cycliques.
Premièrement, on sait que les variations des prix de certains actifs déstabilisent l’économie via des effets richesse. Pourquoi dans ces conditions ne pas renoncer purement et simplement au mark to market pour certains supports de marché et pour certains acteurs des marchés ?
Deuxièmement, il est indispensable de limiter l’importance de certaines positions sur certains actifs financiers complexes et illiquides en les pénalisant par exemple en termes d’exigence de fonds propres. Cela reviendra naturellement à limiter certaines prises de positions spéculatives qui ne sont pas liées aux fondamentaux et qui déstabilisent les prix de marché
Troisièmement, les régulateurs doivent pouvoir connaître exhaustivement la structure détaillée des portefeuilles des investisseurs (et surtout la comprendre) et il faudrait de surcroît qu’ils aient une vision correcte de ce que sont les prix à peu près « normaux » de certains actifs financiers (les marchés ne sont pas meilleurs sur ce sujet quand on voit les erreurs durables de valorisation monstrueuse sur certains actifs financiers ces dernières années). Certes le régulateur ne doit pas être un opérationnel des marchés et si l’on ne peut que souscrire à l’idée de séparation des fonctions entre le marché et ses régulateurs, il ne faut surtout pas qu’il y ait séparation de savoirs et des compétences.
On sait que nombre de crises récentes sur les marchés ont été compliquées à gérer à cause justement d’une complexité de plus en plus grande des techniques et instruments financiers (options de seconde génération, titrisation à base de dérivés, leverage dans des montages de type constant proportion debt obligation..) Et surtout parce que l’ingénieur structureur sur les marchés avait un temps d’avance sur le régulateur (ou ce qui revient au même le régulateur un temps de retard). Il est temps de mettre un terme à ces décalages.
Mory Doré , Juin 2011
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Voir en ligne : Chronique de Mory Doré
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