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Plaidoyer pour des stress tests enfin utiles et credibles

Mettre en place des stress plus crédibles suppose la prise en compte la dimension systémique des crises de marché et d’y associer des réponses politiques et institutionnelles fortes qui permettront d’éviter tout phénomène de prophéties auto-réalisatrices.

À quoi ont servi les stress tests de ces dernieres annees ?

Rappelons que les stress tests ont souvent été biaisés pour la raison suivante : pour les dirigeants politiques et économiques du monde entier, il s’agit de s’auto-persuader que les grandes catastrophes sont quasiment impossibles. On aimerait pouvoir et vouloir le croire mais ce n’est pas possible. L’objectif paraît louable car cela permet de rassurer tout le monde : électeurs, clients, salariés, actionnaires. Certains nous diront que tout cela est normal car le moteur de la croissance et du progrès ce serait la confiance. Oui mais finalement cela finit par être contre-productif car si les résultats de ces stress tests ne sont pas crédibles, nous accumulons un déficit de confiance. L’histoire de la crise financière que nous vivons depuis plus de 5 ans l’atteste largement.

Retour sur deux exemples récents

Que nous ont dit les stress tests bancaires de Juillet 2010 ?

Comme anticipé, seules 7 banques sur 91 ont été recalées. Les marchés ont apprécié sans trop s’interroger sur la crédibilité des hypothèses retenues sur le scénario...

- En juillet 2010, nous attendions les résultats de stress tests bancaires pour savoir si 91 banques de la zone étaient solvables dans des scénarios supposés adverses (ratio de solvabilité au dessus de 6%). Les résultats furent rassurants : seules 7 banques sur 91 avaient été déclarées « inaptes au service ».

Mais la crédibilité de ces stress fut sérieusement mise à mal quatre mois plus tard lorsqu’il fallut sauver les banques irlandaises (35Mds€ de recapitalisations nécessaires sur un plan de sauvetage global de 85 Mds€) qui avaient pourtant réussi à passer sans encombre les tests de résistance de l’été 2010.

Retour sur les stress tests bancaires - Juillet 2011

A l’image de ceux de juillet 2010, les résultats de stress tests publiés le 15 juillet 2011 par L’autorité bancaire européenne n’intègrent pas une réelle évaluation de la dimension systémique des crises de marché. Ce qui nuit à leur (...)

- En juillet 2011, l’Autorité bancaire européenne annonça la publication de nouveaux stress test bancaires concernant là encore 91 banques représentant 65% des actifs bancaires européens. Le scénario dit adverse retenait des hypothèses théoriques pour ne pas dire complaisantes de dégradation de l’économie : baisse de 0.5% du PIB de la zone euro en 2011, chute de 15% des bourses européennes et plongeon des marchés immobiliers, hausse du cout de refinancement interbancaire (quel stress !!)

Les résultats furent là encore très rassurants puisque L’Autorité bancaire européenne indiqua que seules 8 banques avaient échoué aux tests imposés aux 91 établissements européens (c’est-à-dire qu’elles affichaient en conditions de stress un ratio core tier 1 inférieur aux 5% visés). Rappelons également que 16 banques, dont 7 espagnoles, passèrent de justesse ces tests puisque leurs ratios core Tier 1 se situaient dans une fourchette de 5 à 6% et que pour la petite histoire Dexia ne figurait pas parmi les banques recalées (on sait ce qu’il advint de cet établissement deux mois plus tard)

À quoi devraient donc servir les stress tests bancaires ?

Il serait donc enfin temps de gagner en maturité et crédibilité. Naturellement, des stress tests bancaires n’ont pas vocation à stresser dans un scénario catastrophiste la fin du monde puisque cela reviendrait à créer un cercle vicieux de prophéties auto-réalisatrices.

En effet , si les banques se retrouvent dans l’incapacité de continuer à prêter à l’économie et d’investir sur les marchés financiers pour cause d’insuffisance de fonds propres, alors celles-ci seront confrontées à une crise de confiance et se retrouveront dans une situation instable pour continuer à garder leurs ressources ou à en lever de nouvelles (risques de bank run, de paralysie du marché interbancaire et impossibilité d’émettre sur le marché obligataire sans recourir à du collatéral qui justement s’évapore).

On connait alors la suite : chute de l’économie réelle et des actifs financiers dits risqués ; donc hausse des provisions diminuant le compte de résultat des banques et nouvelles destructions de fonds propres menaçant la solvabilité des banques.

Il s’agit donc de trouver un juste équilibre dans ce type d’exercice afin d’être suffisamment crédible, ce qui suppose de pouvoir se doter des outils de toute nature permettant – autant que faire se peut - d’évaluer les risques extrêmes (on reviendra dans un prochain papier sur ce sujet) et de mettre en place les stratégies et politiques correctrices qui devraient s’imposer le cas échéant.

Les trois stress tests qui doivent préoccuper les investisseurs

Mettre en place des stress plus crédibles suppose quand même de prendre en compte la dimension systémique des crises de marché et d’y associer des réponses politiques et institutionnelles fortes qui permettront d’éviter tout phénomène de prophéties auto-réalisatrices.

Nous pensons qu’il y a trois types de stress aujourd’hui qui mériteraient d’être sérieusement approfondis et menés de façon très pragmatique afin d’être intégrés simplement dans une stratégie ordonnée de couverture des risques des investisseurs. Encore une fois, l’essentiel est d’éviter l’absurde auto-réalisation et la pro-cyclicité

Premier stress test : stresser un risque systémique bancaire et donc celui d’une crise généralisée de la liquidité

On stresse souvent la liquidité en prix, c’est-à-dire en intégrant des hypothèses de hausse du coût de refinancement. J’ai presque envie de dire que cela ne sert à rien et que ce qui importe est de stresser la liquidité en volume. En effet, c’est la seule façon que nous ayons de tester la résistance d’une banque dans des scénarios extrêmes de fermeture de l’accès au marché ou d’évolution défavorable de la structure de leur bilan.

Les limites en gap stressé que mettent en place certains établissements bancaires en France vont dans ce sens car elles doivent permettre à tout moment de mesurer la capacité de ces banques à résister à un violent choc de liquidité moyennant un certain nombre d’hypothèses fortes

Etat des lieux sur les risques du secteur bancaire

Plus de cinq ans après le début de la crise du fonctionnement des marchés financiers, il est peut-être temps de faire un état des lieux sur les risques réels du système bancaire. Est-on loin des périodes de stress maximal (...)

- nécessité de poursuivre une activité de crédit à minima sur son fonds de commerce traditionnel ;

- fuite d’une partie des dépôts à vue pourtant considérés comme de la ressource stable et pérenne ;

- capacité à mobiliser en tant que de besoin sa réserve de titres liquides, sécurisés et très bien notés et appréciation du degré de négociabilité de ces titres dans des situations de marché perturbées (étant entendu que la notion de titre liquide est empreinte d’une grande subjectivité)

- capacité de refinancement de l’établissement sur les marchés ou auprès de la banque centrale, ce qui suppose de pouvoir évaluer la richesse du collatéral mobilisable (titres et créances privées éligibles aux appels d’offres BCE ; créances hypothécaires et créances aux collectivités pouvant être adossées à l’émission d’obligations sécurisées etc…)

Second stress test : stresser un risque systémique souverain avec par exemple un défaut organisé sur la dette française

Et si l’on commençait sans chercher à tout prix à faire de la finance fiction à imaginer un scénario de restructuration ordonnée de la dette française
- Par exemple par un rallongement de la dette publique française échéancée sur 2017-2022
- Par la mise en place de clauses de subordination sur cette dette
- Par un traitement spécifique de la dette indexée inflation sur laquelle l’état français ferait défaut en premier en cas de fortes tensions inflationnistes. Le paradoxe, c’est que nous considérons qu’il faut absolument se couvrir contre l’inflation future mais qu’il faut se méfier des obligations indexées inflation qui seraient justement les premières répudiées en cas de forte inflation (l’investisseur est donc protégé sur ce type d’obligation du point de vue de la valeur de marché mais paradoxalement s’expose à un défaut de l’émetteur de titres indexés)

Un tel stress devrait donc s’appuyer sur un contexte de très forte inflation (ce qui constitue pour nous plus un scénario réaliste et central qu’un scénario de stress pour les années futures) Pourquoi ?

- Tout d’abord, compte tenu de la monétisation des dettes publiques qui finira tôt ou tard par être inflationniste (avec une transmission de la forte croissance de la base monétaire des banques centrales à la croissance de la masse monétaire). Ceci pour au moins deux raisons

1/ Des taux d’intérêt très faibles provoqueront tôt ou tard de fortes sorties de capitaux (fuite de capitaux accélérées pour les pays à croissance potentielle faible et à faible crédibilité de la politique économique). Ce phénomène entrainera une très forte dépréciation des devises à taux nuls au profit des devises à hauts rendements et donc une forte inflation importée en occident.

2/ Les politiques monétaires « exagérément » expansionnistes (il y a forcément débat entre les économistes sur ce que l’on doit considérer comme exagéré) menées depuis 2007 provoqueront un phénomène psychologique aujourd’hui sous-estimé, à savoir une vraie perte de confiance dans la monnaie et un refuge accentué des agents économiques privés vers les actifs réels (matières premières, or encore et toujours, biens tangibles au détriment des actifs financiers traditionnels et même des dépôts bancaires)

- Ensuite, compte tenu d’une forte volonté des pouvoirs publics d’alléger la dette obligataire nominale (la dette indexée inflation étant purement et simplement répudiée)

L’intérêt d’un tel stress serait justement de pouvoir évaluer les coûts supportés par différents acteurs de l’économie.

  • les actionnaires avec la baisse des résultats et des fonds propres du secteur bancassurance (dividendes en baisse et cours en baisse)
  • les clients des banques avec des incidences au niveau de la tarification bancaire
  • les épargnants pénalisés par la baisse des rendements de l’assurance vie ou/et par le durcissement des conditions de sortie
  • la plus forte mise à contribution de la CDC et de sa direction des fonds d’épargne. D’ailleurs le très « modéré » rapport Duquesne sur la réforme de l’épargne réglementée sorti en septembre 2012 (à l’occasion de l’accroissement des plafonds des Livrets) ne se prive pas d’évoquer discrètement le sujet [1]

Et puis un tel stress doit permettre de retirer des enseignements forts quant à la remise en cause ou à l’aménagement des réglementations prudentielles (passera-t-on directement de Bale 2 à Bale 4 ?) et comptables (normes IFRS) et quant à des évolutions statutaires probables de la Banque centrale européenne

- Les normes IFRS seraient en effet assouplies par la force des choses pour ne pas dégrader le compte de résultat et les ratios de solvabilité des banques

- Les objectifs de core Tier 1 Bale 3 (fonds propres durs) seraient sans doute revus en baisse parallèlement à des exigences de RWA (pour risk-weighted assets, soit les actifs pondérés sur lesquels les banques consomment réglementairement des fonds propres) non revues en hausse y compris sur la dette souveraine de plus en plus pourrie.

Missions stratégiques des banques centrales : focus sur la BCE

Au-delà des mesures traditionnelles et dans un contexte de risques systémiques, interrogeons nous plus particulièrement sur ce que devraient être les missions stratégiques d’une banque centrale

- Des évolutions statutaires au niveau de la BCE…Officiellement, celle-ci reste indifférente au mark-to-market (valorisation) des actifs qu’elle possède car elle n’est pas liée par les règles comptables qui s’imposent aux banques. Ce qui signifie toujours officiellement qu’il n’y a pas de stress et de pression à se recapitaliser comme pour une banque normale en situation de baisse des fonds propres provoquée par des moins-values latentes ou réalisées sur certains actifs détenus. Mais dans le cas ou la BCE aurait à matérialiser des pertes, celles-ci seraient financées via une recapitalisation par les états de la zone Euro à hauteur du poids de ceux-ci dans le capital de la BCE ; et aussi absurde que cela puisse paraître, c’est cette même banque centrale qui financerait partiellement sa resolvabilisation par de la création monétaire selon le mécanisme suivant : monétisation de la dette de certains états qui seraient en difficultés budgétaires pour recapitaliser la banque centrale. Mécanisme bien connu de la finance de crise : le malade est pris en charge par un médecin lui-même soigné par le malade qu’il cherche à guérir. Lorsque j’explique ceci à des non spécialistes, ils finissent par bien comprendre le système économique dans lequel on vit (on écrira sans doute un jour un papier sur ces nombreux exemples d’auto-corrélation qui repoussent sans cesse les crises dans le futur)

Troisième stress test : stress macro-économique avec des taux longs durablement bas

Ce stress supposerait que l’on s’installe durablement dans la récession en Europe sans solution radicale à la crise des dettes souveraines (pas d’éclatement de la zone Euro qui ferait remonter les taux de pays comme La France si celle-ci intégrait une zone Euro sud ; pas non plus de scénario fédéraliste qui ferait remonter l’ensemble des taux en zone Euro y compris en Allemagne pour cause de mécanismes de mutualisation partielle ou totale des dettes souveraines)

Le Krach obligataire aura quand même lieu

Economistes, investisseurs, gérants d’actifs et analystes en tous genres cherchent désespérément à comprendre ce qui s’apparente à une réelle bulle spéculative sur les emprunts d’état de certaines zones. Nous recensons en fait cinq raisons majeures à un tel phénomène. Plus une sixième (...)

L’Allemagne continuerait donc d’être considérée comme le pays « refuge » pour les investisseurs avec un maintien des taux longs à un niveau historiquement bas. Les taux CMS (CMS pour constant maturity swap, taux sur lequel est indexée une partie importante de l’activité de crédit et de refinancement des banques) seraient corrélés aux taux longs allemands.

Il est en tout cas utile de stresser ce risque puisque c’est un risque majeur pour un établissement bancaire (comme nous le verrons ci-dessous). Et ce même si mon scénario macroéconomique et de marché n’est pas celui-ci puisque j’anticipe tout au contraire une configuration de krach obligataire mondial dans les mois qui viennent.

Rappelons que le risque de baisse des taux longs (ils ont certes déjà beaucoup baissé) mais surtout le maintien de ceux-ci à un bas niveau durablement pénalise la rentabilité de la banque commerciale par le canal de la production future de crédits à taux fixe (surtout lorsque dans le même temps le coût de la ressource levée pour refinancer l’activité de crédits est relativement inerte)

Ce risque –au-delà des risques de survie que sont les risques de liquidité et de solvabilité - est le risque majeur des établissements financiers qui produisent essentiellement des crédits à long terme à taux fixe (il suffit pour s’en convaincre de se référer au système bancaire japonais qui a été détruit par le maintien de taux longs durablement bas). Certes il existe des instruments dérivés de couverture du risque de taux long qui permettent de générer quasiment systématiquement des gains de marge nette d’intérêt dans un environnement de taux longs bas et de compenser le manque à gagner sur la production de crédits à taux fixe. Mais le problème est que ces couvertures seraient difficilement rentabilisables aujourd’hui compte tenu des niveaux de taux longs déjà assez bas sur lesquels nous nous situons aujourd’hui. Il existe néanmoins des possibilités de couverture de ce type de risque par l’utilisation de produits structurés simples et sans effet de levier spéculatif.

Voilà donc aujourd’hui ce qui nous semble constituer les 3 types de stress tests véritablement utiles pour les investisseurs au sens large (institutionnels et privés)

Mory Doré , Novembre 2012

Notes

[1] «  Le fonds d’épargne dispose d’un portefeuille d’actifs financiers d’une centaine de milliards. La gestion de ceux-ci n’a fait l’objet d’un « règlement » conclu avec l’État que depuis mars 2011. Une réflexion plus systématique sur la gestion de ce portefeuille important (supérieur à celui de la « section générale » de la Caisse des dépôts), tant pour le marché de la dette française que même pour le marché actions, paraît indispensable, singulièrement dans la perspective (possible, mais pas certaine) d’un accroissement rapide de la collecte centralisée qui ne trouverait pas immédiatement à s’employer. Le pire serait de constater dans deux ans que la nouvelle collecte de l’épargne sur livrets a simplement servi à acheter, au fil de l’eau, des obligations de la République  »

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