Taux bas, quelles espérances de rendement ?

Selon Emmanuel Régnier, Gérant Allocations d’actifs chez CCR-AM, la question des implications d’un environnement de taux bas prolongés sur les rendements futurs des actifs se pose. À ce titre, deux pistes lui paraissent mériter d’être explorées...

Il n’aura échappé à aucun investisseur que nous sommes aujourd’hui dans un environnement de taux bas dans la plupart des grandes économies des pays développés, caractérisé par des taux directeurs proches de leur plancher et des politiques monétaires accommodantes et créatives de la part des banques centrales. Cet environnement de taux bas peut-il être durable et quelles peuvent en être les conséquences en termes d’investissement ?

Une des réflexions les plus communément entendues à ce sujet est la suivante : « les taux sont si bas qu’ils ne peuvent que remonter ». Car bas, les taux sont ! Le 10 ans américain offre aujourd’hui un rendement aux alentours des 2,0%. Il faut remonter plus de 70 ans en arrière pour trouver une situation similaire. Le scénario d’une remontée des taux semble dès lors faire consensus au sein de nombreux stratégistes sellside, dont beaucoup anticipent une normalisation, un début de « retour à la moyenne » (comme c’était d’ailleurs le cas en 2011 à la même époque…), certains n’hésitant même pas à brandir le spectre d’un krach obligataire.

Les taux sont si bas qu’ils ne peuvent que remonter

Il est tout à fait possible que ce scénario se matérialise, mais si les taux apparaissent aujourd’hui extrêmement bas, tout du moins à l’échelle d’une carrière dans la gestion d’actifs, les investisseurs ne doivent pas pour autant écarter la possibilité de taux durablement bas, voire à des niveaux inférieurs à ce qu’ils sont actuellement. Après tout, si le 10 ans d’état américain se situait aux alentours des 2,0% en 1941, il aura passé la majeure partie des 10 ans qui suivirent à osciller entre 2,0% et 2,5%. L’exemple du Japon est également parlant : en 1997, le 10 ans japonais atteignait le rendement (extrêmement faible pour l’époque) de 2,0%. Aujourd’hui, près de 15 ans plus tard, ce même 10 ans d’état japonais offre un rendement inférieur à 1,0%. Comme le souligne Christopher Wood, du bureau d’analyse CLSA et fin observateur du Japon et de l’Asie en général : il est beaucoup plus facile pour une banque centrale d’instaurer une politique de taux bas que d’en sortir… Soulignons également que même le taux zéro ne constitue pas un plancher : rien n’interdit des taux négatifs ! Pour l’anecdote, à l’heure actuelle, le 2 ans suisse offre un rendement négatif de -0,03%.

Quoi qu’il en soit, la question des implications d’un environnement de taux bas prolongés sur les rendements futurs des actifs se pose. À ce titre, et sans prétendre à l’exhaustivité, deux pistes nous paraissent mériter d’être explorées.

La théorie classique

Elle émet pour hypothèse que le rendement espéré d’un actif, par exemple les actions, est égal au taux sans risque plus une prime de risque. Toutes choses égales par ailleurs, des taux bas impliquent un rendement espéré plus faible. Cette hypothèse est validée empiriquement comme l’illustre la pente descendante de la ligne de régression du graphique page précédente, présentant des données sur le marché américain depuis 1871 : en moyenne, plus les taux sont faibles, plus la performance des actions sur les 10 ans qui suivent sera modeste.

Le constat est simple : les investisseurs doivent revoir à la baisse leurs espérances de rendement. C’est ce que Bill Gross, gérant de Pimco appelle le « new normal », la nouvelle norme. Ainsi, si l’on considère qu’historiquement sur les 200 dernières années la prime de risque du marché des actions américaines s’est située aux alentours de 3 à 3,5%, les investisseurs doivent s’attendre à un rendement moyen (dividendes inclus et avant les frais prélevés par leur gérant d’actifs…) de l’ordre de 5,0 à 5,5% annualisé sur les 10 prochaines années (rendement espéré = taux sans risque (2%) + prime de risque (3%)). Il s’agit évidemment d’un raisonnement simpliste ne prenant pas en compte les autres variables (environnement économique, valorisations, etc), mais c’est tout simplement 2 fois moins que la performance annualisée servie par le S&P 500 depuis 30 ans, et 4 fois moins que les presque +20% annualisés observés entre 1982 et 2000, qui ont constitué la norme pour beaucoup d’épargnants.

La finance comportementale

Elle offre ici un éclairage intéressant. En effet, les politiques de taux bas ont également des implications importantes en termes de comportement des différents acteurs du marché. Les tentatives de ceux-ci pour obtenir dans le futur un niveau de rendement plus conforme aux données historiques (ancrage sur l’expérience passée) - malgré le contexte indiquant clairement que le niveau réaliste se situe plus bas - peuvent les pousser à concentrer leurs investissements sur des actifs toujours plus risqués. Ce phénomène se trouve renforcé par l’environnement de liquidité.

L’environnement de taux bas actuel apparaît dès lors comme un terreau particulièrement favorable à la création de bulles.

L’abondance de liquidités est en effet, comme l’ont démontré l’économiste Hyman Minsky ou l’historien Charles Kindleberger, une des conditions nécessaires à la création des bulles. Nul doute que les politiques de taux bas de la part des banques centrales au cours des dernières années, tant aux états-Unis qu’en Europe, au Japon ou au Royaume-Uni, constituent à ce titre un risque. Ceci est particulièrement vrai dans un contexte où la croissance est rare et où les opportunités d’investissement susceptibles d’enthousiasmer les investisseurs se font moins nombreuses. L’environnement de taux bas actuel apparaît dès lors comme un terreau particulièrement favorable à la création de bulles.

Des rendements moyens espérés plus faibles, mais des éruptions temporaires de performance pour qui saura surfer les bulles : autant d’implications à prendre au sérieux à l’heure d’élaborer toute stratégie d’investissement.

Emmanuel Regnier , Mai 2012

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