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Point sur la situation grecque

La Grèce sortira-t-elle ou pas de la zone euro ? Quels scenarii sont envisageables ? Les taux core reflètent-ils une situation de bulle ? Que peut et va faire la BCE ? L’analyse de Natixis Asset Management…

1/ Décryptage macroéconomique

• Contexte

Les interrogations sur la Grèce se font plus pressantes. Les investisseurs s’interrogent, provoquant une dynamique des marchés financiers incertaine.

L’environnement macroéconomique grec est dégradé, l’activité baisse sans discontinuer depuis 2009 et le chômage augmente rapidement. Dans ce contexte, les élections générales du 6 mai 2012, ne dégageant pas de majorité et donnant un poids forts aux partis extrêmes, ont reflété le malaise de la société grecque dans cet environnement dégradé.

Cela a été le catalyseur d’une nouvelle perception de la place de la Grèce au sein de la zone euro. En effet, ces élections ont mis en avant l’absence de consensus quant à la politique d’austérité menée par les différents gouvernements sous l’égide de la Troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International). Ce changement de perspectives a renouvelé les interrogations sur la Grèce qui est, depuis l’automne 2009, le "caillou dans la chaussure" européenne.

Aucun gouvernement n’a pu être mis en place. Dès lors, de nouvelles élections auront lieu le 17 juin.

Les tensions vont être extrêmes au moins jusqu’à cette date. Les sondages ne sont pas encore décisifs mais ils ne montrent pas d’inversion par rapport aux tendances constatées lors des élections générales. Le leadership se partage entre le parti de centre droit "Nouvelle Démocratie" et le parti de gauche "Syriza", au-delà du "Pasok", le parti socialiste. Le "Pasok", parti de Monsieur Papandréou, est en net retrait par rapport aux deux autres.
Ces deux leaders s’opposent sur les mesures d’austérité supportées par l’économie grecque. Cependant, aucun des deux ne remet en cause l’appartenance à la zone euro.

L’aide de la Troïka à la Grèce est conditionnée au respect d’engagements sur l’équilibre à terme des finances publiques. La dureté des plans mis en œuvre ont engendré le repli de l’activité grecque provoquant le risque d’instabilité politique observé depuis les élections.
L’enjeu est aujourd’hui de savoir si cette option de rééquilibrage rapide des finances publiques est viable ou pas et si le non-respect de ces engagements se traduirait par un arrêt des aides à la Grèce provoquant, de fait, le défaut de l’État grec puis sa sortie probable de la zone euro.

• Trois types d’arbitrages envisagés

Un arbitrage économique

La sortie de la Grèce de la zone euro se traduirait par une dépréciation forte de sa nouvelle monnaie (au moins 50 %), un choc négatif sur l’activité (le FMI évoque un recul de 10 %) et une hausse significative et durable de l’inflation. L’espoir est de retrouver une meilleure compétitivité, de capter davantage la dynamique du commerce mondial et finalement de se replacer sur une trajectoire plus robuste.

Cependant, les exportations représentent un poids réduit dans l’activité face aux importations qui sont bien plus importantes. Le choc pour le consommateur grec est fort. La base industrielle réduite limite la capacité d’un redressement industriel rapide susceptible de dégager de la productivité et des revenus. Le rebond d’une dévaluation ne serait peut-être pas aussi robuste qu’attendu.

Pour les européens, le choc pourrait être important même si la Grèce ne représente qu’un poids limité dans les exportations (en moyenne 1 % des exportations des pays de la zone euro). Néanmoins, une sortie de la Grèce se traduirait par des pertes pour les pays ou les institutions détenant des actifs grecs, provoquant ainsi des ajustements supplémentaires pénalisant l’activité.

Par ailleurs, cela engendrerait un choc d’incertitude fort sur le mode de fonctionnement de la zone euro. Cette inquiétude pourrait peser sur les comportements d’investissement productif pénalisant ainsi la croissance à long terme. De plus, des effets de contagion pourraient être perçus, accentuant ainsi le sentiment d’une maîtrise limitée de la situation par les autorités européennes. L’impact serait alors durable sur l’activité.

Un arbitrage financier

La Grèce a des engagements vis-à-vis du reste du monde. Elle a reçu des aides de la part du Fonds de Stabilisation Européen, du FMI ou de divers gouvernements. Les opérations des banques grecques se sont traduites, naturellement, par des actifs mis en pension dans le Système Européen de Banques Centrales. Si la Grèce venait à faire défaut, ces montants seraient singulièrement dépréciés et la perte élevée pour les européens non grecs. Les perturbations engendrées auraient alors un impact durable.

Les européens ont mis en place des instruments pour faire face à des fragilités de ce type. Le Fonds Européen de Stabilité et le Mécanisme Européen de Stabilité (sous réserve de ratification) pourraient disposer d’une puissance de feu de 750 Milliards d’euros à terme. À cette somme considérable s’ajoute la contribution du FMI pour un montant global avoisinant les 1 000 Milliards d’euros.

Ainsi, les effets directs d’un défaut et/ou d’une sortie de la Grèce seraient susceptibles d’être absorbés. Toutefois, l’Histoire ne peut s’arrêter à cet arbitrage puisque l’on doit envisager des effets de contagion vers d’autres pays tels l’Espagne ou l’Italie. Dès lors, il n’est pas certain que les montants en jeu soient suffisants et la BCE aurait à intervenir pour stabiliser la situation.

Un arbitrage politique

La Commission Européenne ne souhaite pas créer un précédent avec la sortie d’un pays de la zone euro. Cette situation est d’autant plus problématique que les textes indiquent qu’une sortie de la zone euro serait accompagnée d’une sortie de l’Union Européenne. Ce phénomène serait d’autant plus déstabilisant que les institutions européennes sont d’abord des constructions politiques. La possibilité d’une sortie pourrait remettre en cause le fondement de ces institutions et inciter d’autres pays à sortir.

C’est la combinaison de ces trois arbitrages (économique, financier et politique) qui donnera le ton sur la façon dont la Grèce et la zone euro vont fonctionner. La Grèce serait fragilisée par une sortie mais la zone euro aussi, il pourrait donc y avoir un terrain de négociations. Ce qui est certain, c’est que les européens non grecs doivent négocier pour modifier les institutions grecques afin que celles-ci deviennent plus robustes et plus efficaces. C’est une condition nécessaire à la croissance et elle n’est pas remplie aujourd’hui. S’il n’y a pas cette exigence des européens, il est quasi certain que le même scénario se reproduira dans deux ans.

• La Grèce sortira-t-elle ou pas de la zone euro ?

On rentre sur ce point dans le domaine des conjectures. Les économies européennes ne sont pas très robustes et l’emploi y progresse peu. Est-on prêt à absorber un choc potentiellement de grande ampleur avec la sortie de la Grèce ?

Cependant, peut-on se satisfaire d’une situation de croissance limitée dont l’origine est probablement dans les dysfonctionnements de la zone euro et sur lesquels la Grèce a eu un impact majeur et durable ?

La sortie de la Grèce pourrait laisser imaginer un retour à la croissance. La zone euro a besoin de réformer ses institutions, c’est une des leçons de cette crise.
Doit-elle y associer la Grèce ? C’est la question majeure à court terme qui sera conditionnée par le résultat des élections du 17 juin.

• Quels scenarii sont envisageables ?

En préalable, la situation grecque s’améliore sur ses finances publiques avec un solde budgétaire primaire (solde hors paiement des intérêts) tendant vers l’équilibre (- 1 % du PIB en 2012 dans les prévisions du printemps de la Commission Européenne contre – 10,4 % en 2009). Cet effort est important mais le solde extérieur est encore déficitaire de l’ordre de 8 % du PIB, selon la Commission, en 2012. Ce déséquilibre reflète un besoin de financement de la Grèce par l’extérieur. Cela signifie bien que la Grèce a encore besoin d’aide.

Le premier scénario est le plus favorable avec une victoire large des partis de gouvernement ("Nouvelle Démocratie" et "Pasok") lors des élections du 17 juin. Le sentiment de la "rue" a changé et un gouvernement peut être constitué. La Grèce ne sort pas de la zone euro et le gouvernement peut négocier un ajustement des conditions de rééquilibrage budgétaire afin de permettre, à terme, de stabiliser l’activité. Si une telle négociation échouait, de nouvelles tensions réapparaîtraient rapidement.
Ce schéma doit aussi s’accompagner d’une modernisation des institutions afin de ne pas se retrouver de nouveau confronté aux mêmes questions dans deux ans.

Le deuxième scénario est celui d’une majorité réduite des partis de gouvernement. Les partis extrêmes ont encore un poids significatif. Pour se stabiliser, le gouvernement doit négocier avec la Troïka et probablement restructurer ses engagements. L’objectif est d’éviter que la "rue" ne vienne en retour déstabiliser le gouvernement en place. Le gouvernement est contraint par l’étroitesse de la majorité. Là aussi, la mise en place de nouvelles institutions est nécessaire.

Le troisième scénario est celui d’une absence de majorité des partis de gouvernement, d’où l’incertitude de former un gouvernement stable dans le temps. Le risque alors pour le gouvernement est d’être rapidement contraint sur sa liquidité et être ainsi tenté de sortir de la zone euro. La première étape serait donc le défaut et la seconde la sortie de la zone euro. Cette dernière pourrait s’envisager de 2 manières :
- soit la sortie prend du temps et laisse à chacun le soin de l’organiser ;
- soit la sortie est immédiate et ne permet pas de mettre en place les firewalls prévus. La contagion serait alors brutale, profonde et violente. Le choc sur la zone euro serait considérable.

Le premier et le troisième scenarii sont ceux qui nous paraissent les moins probables (le premier scénario n’est d’ailleurs pas repris dans la suite du document). Quant à la probabilité du maintien de la Grèce au sein de la zone euro, elle nous apparaît comme étant la plus forte. Un préalable néanmoins : il faudra que la zone euro et la Grèce renouvellent leurs institutions et leur mode de gouvernance pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

2/ Point de vue de la gestion

• Comment la gestion de Natixis AM s’est-elle adaptée à cette nouvelle donne ?

L’incertitude est encore et avant tout politique à ce stade. Même si la croissance demeure faible, et peut être handicapée par l’austérité budgétaire, l’économie mondiale n’est pas en récession. Les grandes entreprises sont faiblement endettées et la valorisation boursière s’avère en effet raisonnable.

3 scenarii sont envisagés, S1 étant le scénario le plus probable.

Du point de vue des actifs risqués, l’optique la plus néfaste serait probablement la perception d’une dislocation de la construction européenne (S3).

Celle-ci peut s’appréhender :
- par une sortie de la Grèce de l’euro sans consolidation politique du reste de la zone,
- ou, à l’inverse, par un maintien de la Grèce en l’état, mais avec des négociations importantes pour apaiser les tensions internes, et ce, au détriment des autres États membres. Le marché y verrait probablement le début d’un laxisme généralisé et testerait les régions les plus faibles dans un effet domino très risqué pour la Bourse et le financement de certaines dettes.

Ceci n’est pas notre scénario central, mais, force est de constater, qu’il monte en puissance.

Nous penchons davantage :

- pour une sortie organisée de la Grèce (S2), avec un signal très fort des autorités européennes pour protéger le reste de la zone. Même si techniquement cette solution semble compliquée à élaborer dans un temps très court (peut-être permettrait-elle un passage aux euro-bonds si les autres pays poursuivent leurs efforts budgétaires et si les mécanismes de soutien sont utilisés à bon escient ?), elle aurait l’avantage de propulser les marchés très hauts et d’orchestrer une forte convergence des spreads des Etats restants.

- ou plus encore, pour un maintien politique de ce pays mais avec des conditions d’ajustement structurel longues et douloureuses (S1), sans véritable union politique par ailleurs dans la mesure où les modèles économiques sont trop divergents. Ce schéma continue de largement plafonner le potentiel des marchés actions, tant les effets sur la croissance de la zone seront importants et l’incertitude d’une rechute avec des effets de contagion longtemps présents (notamment vis-à-vis de l’Espagne).

Tout reste encore ouvert dans ce domaine et il faut se ménager des portes de sortie qui ne soient pas trop engageantes selon le virage politique entrepris car la variabilité des marchés pourra être forte et rapide. Pour faire face au scénario (S3), des couvertures actions de la zone euro sont régulièrement renouvelées. Cette optique, qui évite de trop sous-pondérer cette classe d’actif, laisse notamment une fenêtre pour le cas (S2) qui reste son symétrique avec un rebond brutal du marché si les investisseurs retrouvent des perspectives.

En revanche, compte-tenu de notre optique centrale en ce moment (S1), notre démarche tactique consiste essentiellement à privilégier les actions américaines en changes non couvertes et dans une moindre mesure les régions émergentes, opter pour des secteurs plus défensifs en jouant la génération de dividendes dans un marché sans tendance, et s’exposer sur le crédit pour compenser le risque (semi-core) ou la faible rémunération (bund) de la dette souveraine. Tant que cette configuration perdure, les matières premières ne constituent pas réellement un outil de diversification (à l’exception de l’or), en raison de leur forte corrélation aux actions.

• L’évolution de ce scénario infléchit-il notre vision sur les taux ?

L’évolution récente des marchés obligataires a, au contraire, conforté la vision que nous défendons. Nous pensons depuis de nombreux mois que la situation de l’Espagne est beaucoup plus problématique que celle de l’Italie. Nous ne sommes donc pas surpris par l’évolution des marchés, qui reflète aujourd’hui davantage la réalité des fondamentaux des différentes dettes en présence.

En revanche, il n’y a aujourd’hui aucune rupture de nature à infléchir notre position. Le fait que la Grèce ne parvienne pas à établir un gouvernement ne constitue pas, en soi, une rupture. De la même façon, l’Espagne et l’Italie gardent l’accès aux marchés des capitaux et peuvent continuer de se refinancer autour de 6 % à 7 % sur les marchés.

À l’inverse de l’été dernier, le calendrier des adjudications se déroule pour l’instant "normalement", notamment grâce aux opérations de LTRO (Long Term Refinancing Operation). En conséquence, la situation en Espagne ne peut pas être qualifiée d’"explosive" actuellement. Les investisseurs internationaux n’ont d’ailleurs pas adopté de positions courtes massives sur les dettes d’états périphériques. Tout au plus, s’abstiennent-ils de se positionner sur ces marchés, laissant la place à un système bancaire domestique resolvabilisé par les deux LTRO.

En matière de gestion, nous restons "longs" sur l’Allemagne (en misant sur un aplatissement de la courbe, à la fois via une hausse sur la partie courte et une baisse sur la partie longue) et "courts" sur les périphériques. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous permettre d’être excessivement sous-pondérés (notamment sur l’Italie), au risque de nous retrouver en porte-à-faux en cas de solidarité des pays core et donc, de renversement brutal de la tendance actuelle.

• Les taux core reflètent-ils une situation de bulle ?

Jusqu’à récemment, le maintien du 10 ans allemand autour de 1,80 % pouvait s’expliquer par des considérations purement fondamentales (croissance atone). Son repli depuis 2 mois à 1,40 % traduit donc quelque chose de nouveau : c’est le résultat de l’intervention de la BCE, dont les LTRO ont alimenté la demande de papiers, et d’une prime de "fuite vers la qualité".

Conclure à une bulle sur les taux core serait donc inapproprié. La récente baisse des taux allemands ne reflète pas un écartement entre prix réel et prix théorique, mais découle directement de la stratégie de la BCE (à l’instar de celle de la Fed, qui cherche par d’autres moyens à aplatir la courbe des taux dans le but de soutenir le marché immobilier local). Certes, certains investisseurs peuvent chercher à profiter des accès de panique sur les périphériques en se positionnant ponctuellement sur la partie longue des courbes core.
Caractéristiques des bulles, ces mouvements spéculatifs sont toutefois très limités dans leur ampleur et n’expliquent que quelques points de base du niveau actuel des taux longs.

• Que peut et va faire la BCE ?

La BCE intervient au-delà de ses prérogatives quand elle constate une dégradation rapide de l’environnement de marché. Son intervention se fonde uniquement sur les momentum de marché, non sur la défense d’une tendance, ou encore moins d’un niveau.

Voilà d’ailleurs pourquoi la BCE n’achète aucun papier aujourd’hui et ne le fera pas, tant qu’elle ne constatera pas de rupture sur les marchés.

Franck Nicolas , Olivier de Larouzière , Philippe Waechter , Mai 2012

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