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Mais comment ont-ils pu…

Selon Bill Gross, gérant du portefeuille Janus Global Unconstrained Bond Fund, les marchés arrivent à un point où ils n’offrent que peu de rendement et de moins en moins de liquidité. Les investisseurs devraient peut-être penser à « retirer des jetons de la table »…

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Ah, les comptines pour enfants ! La petite scène ci-dessus, dans laquelle Guignol tape sa femme pour une part de gâteau, tout comme les nombreux autres héros de comptines et de rimes pour enfants, sont révélateurs de l’esprit qui régnait au début du XXème, époque marquée par la domination masculine et où il était permis de frapper sa femme. Il a y plus de 100 ans, les petites bandes dessinées ne permettaient aux femmes de prendre leur revanche qu’avec une poêle à frire dans la cuisine…

Aujourd’hui, fort heureusement, nous désapprouvons tout cela. Plus proche de nous, la série Mad Men d’AMC nous renvoie à l’époque où tout le monde fumait dans les bureaux, même votre voisin dans l’avion. Notre réaction immédiate est de nous demander : « mais comment pouvaient-ils  ? ». En effet, depuis, nous nous sommes adaptés et ajustés à de nouveaux standards sociaux, moraux et éthiques.

Race, genre, orientation sexuelle…. dans tous les domaines, les états d’esprit ont évolué. Pour chacune de ces problématiques, nous pourrions nous écrier « mais comment ont-ils pu faire cela ? » tout en comprenant certaines des raisons de ces comportements. Peut-être qu’à l’époque, on ne voyait pas le problème, le moment n’était pas venu, ou il fallait un Martin Luther King, une Betty Friedan ou un Harvey Milk pour faire changer les mentalités.

Dans chaque cas de figure, la question « comment ont-ils pu ? » ne peut avoir pour réponse que « oui c’était comme ça avant, mais maintenant, ça l’est un peu moins ».

Je trouve particulièrement intéressant de me projeter dans l’avenir et de tenter d’identifier ce qui, dans notre société, pourrait également choquer nos petits-enfants. C’est un exercice difficile, car tout comme les fumeurs des années soixante de Mad Men, nous avons du mal à concevoir un environnement qui soit différent du nôtre.

Peut-être que le changement se fera sentir au niveau de l’alimentation et de la gastronomie. Du Maïs dans tous nos aliments et boissons, des modifications génétiques : « comment ont-ils pu manger cela ? » Ou peut-être les voitures pilotées par des robots qui feront dire à nos petits¬enfants : « mais ils étaient fous ! Pas étonnant qu’il y ait eu tellement d’accidents ! ». Peut-être que l’idée d’aller à l’université figurera parmi les futurs inconcevables. « Dépenser 200 000 $ pour faire la java pendant 4 ans - comment était-ce possible ? ». L’avenir nous le dira, ou plus précisément nos enfants nous le diront. Ils façonneront leur monde et leur environnement et développeront des standards éthiques qui les façonneront à leur tour, tel un engrenage. Guignol et sa femme en seraient stupéfiés.

... les banquiers centraux du monde entier se trouvent aujourd’hui dans un processus de découverte permanente, qu’ils espèrent permettra de dynamiser les économies respectives sans créer l’horreur inflationniste des années 1970

En parlant de l’avenir et des leçons passées, les banquiers centraux du monde entier se trouvent aujourd’hui dans un processus de découverte permanente, qu’ils espèrent permettra de dynamiser les économies respectives sans créer l’horreur inflationniste des années 1970. Chacune des banques centrales cherche à atteindre le même objectif de base : résoudre une crise de la dette en créant davantage de dette. Est-ce possible ? II y a quelques années, j’ai écrit que cette mission - qui semble en dépit du bon sens - pouvait être accomplie mais j’ai émis plusieurs réserves : 1) les conditions initiales ne doivent pas être onéreuses ; 2) les politiques monétaires et budgétaires doivent être coordonnées et mener à des niveaux de croissance acceptables ; et 3) les investisseurs privés doivent continuer à participer à la mascarade engendrée par ces politiques sur les marchés de capitaux.

Je reprends chacune de ces réserves plus en detail :

1. ma référence aux conditions initiales porte sur les freins structurels qui pèseraient sur le retour à des rythmes de croissance nominaux « normaux ». Il va de soi que le ratio dette/PIB d’un pays influe énormément sur ses chances de succès. II est difficile, par exemple, d’imaginer que le Japon puisse s’extraire du bourbier de sa dette en créant simplement plus de dette et en rachetant 100%, voire plus, des titres (neufs et existants). De la même manière, la Grèce (qui a déjà subi plusieurs restructurations), ainsi que d’autres pays voisins périphériques de la zone Euro, amorcent leur guérison avec beaucoup de retard par rapport au ratio dette/PIB. Mais iI y a d’autres conditions initiales tout aussi significatives, des freins structurels que j’avais déjà envisagés en 2009 dans ma version d’une « nouvelle normalité » : le vieillissement de la population, la technologie / course contre la machine, et le renversement en cours du processus de mondialisation. Tous ces facteurs sont capables de nuire à la croissance et doivent être pris en compte. L’économiste et ancien Secrétaire du Trésor, Larry Summers, a regroupé ces facteurs sous le concept de « Stagnation Séculaire », une appellation tout à fait correcte et une autre manière de décrire cette Nouvelle Normalité et ses effets potentiellement délétères sur la croissance future.

2. les politiques monétaires et budgétaires doivent travailler main dans la main. Elles doivent être stimulantes et non contre productives. Par exemple, il est peu logique que la zone Euro mène une politique budgétaire de rigueur, en ligne avec l’équilibre budgétaire allemand, et qu’en parallèle, elle lance du quantitative easing et applique des taux d’intérêts négatifs. Il en va de même pour la politique monétaire de relance exceptionnelle initiée par la banque centrale japonaise d’une part, et de la hausse de la taxe sur la consommation de l’autre. Cette critique pourrait même s’étendre aux Etats-Unis, et au rééquilibrage restrictif de son déficit budgétaire (de 10% à 3%) au cours des 5 dernières années. En fait, aux Etats-Unis comme ailleurs, très peu d’accent a été mis sur l’investissement public et sur les dépenses d’infrastructure. II n’a toujours été question que de politique monétaire - dont les principaux bénéfices ont alimenté les marchés à défaut de servir l’économie réelle. La dette qui se crée actuellement n’est pas un moteur de croissance réel le et ne résout pas la crise de l’endettement - elle sert aux grandes entreprises pour racheter des actions, accentuant ainsi l’inégalité croissante entre les très riches et la classe moyenne.

3. Encourager les investisseurs privés à rester dans le jeu sur nos marchés financiers, même si ces derniers commencent à ressembler à un système pyramidal, peut sembler idiot. La réponse a été, et reste toujours : mais ou peuvent-ils aller ? Peut-être que Google Maps peut leur montrer le chemin ... Mais à la marge, il existe des alternatives aux taux d’intérêts négatifs, aux taux de capitalisation artificiellement bas, OU a l’escalade des PER provoquée par les marges record des entreprises. Et même si les investisseurs doivent bien investir quelque part, ils ne sont pas tenus de le faire dans leur pays ou dans un pays spécifique. Si les Bunds allemands génèrent un rendement de -0,05%, alors pourquoi ne pas s’intéresser à de la dette brésilienne à 12,50% ? Aujourd’hui, malgré son rendement négatif, l’obligation allemande reste privilégiée. Mais il convient néanmoins de se poser la question. Créer davantage de dette avec des taux artificiellement bas crée des tensions sur les devises et de la volatilité sur les taux qui déforment le capitalisme mondial. En effet, tenter de résoudre une crise de la dette en créant de la dette ne réglera pas le problème si une très forte volatilité déforme le flux historique des marchés et des échanges commerciaux.

Et bien entendu, la théorie économique suggère que les taux d’intérêt artificiellement bas ne mènent pas, inexorablement, à plus de consommation et de croissance économique, mais à davantage d’épargne pour répondre aux dépenses futures comme l’éducation, la santé et la retraite. Si un ménage requiert 250 000 $ pour l’un (ou tous) de ces engagements futurs, il sera deux fois plus difficile d’y arriver avec un taux à 5 ans de 1,5%, qu’avec un taux de 3%.

A ma question précédente : « peut-on résoudre une crise de la dette avec davantage de dette », aucune de mes trois réserves n’apporte d’éléments de réponse rassurants. II est donc difficile pour moi d’envisager un retour à la normale de mon vivant, sachant que je suis plus âgé que la plupart d’entre vous. J’imagine que les générations futures interrogeront leurs décideurs politiques, tout comme nombre d’entre nous nous posons la question sur le droit de fumer dans les lieux publics, sur la discrimination contre les homosexuels, ou sur tout autre tort en voie d’être résolu.

Les marchés arrivent à un point où ils n’offrent que peu de rendement et de moins en moins de liquidité. Les investisseurs devraient peut-être penser à «  retirer des jetons de la table »…

Comment ont-ils pu ? Comment les décideurs politiques ont-ils pu laisser ainsi filer la dette publique, puis ne pas avoir pensé à réglementer le système ? Comment ont-ils pu s’imaginer que faire tourner la planche à billets et créer de la dette pouvait générer de la richesse, et non créer encore et encore de la dette ? Comment est-ce que les autorités budgétaires ont pu laisser faire et tenter d’équilibrer les budgets, au lieu d’emprunter à des taux attractifs et investir cet argent dans des projets d’infrastructure et d’innovation ?

Les marchés arrivent à un point ou ils n’offrent que peu de rendement et de moins en moins de liquidité. Les investisseurs devraient peut-être penser « à retirer des jetons de la table » en renforçant la qualité des actifs, en réduisant la duration et en se préparant à un arrêt (au mieux) de l’appréciation des actifs, engendrée par un postulat erroné de la banque centrale : taux artificiellement bas, QE et création de fausse richesse pour les classes ouvrières. Nous savons tous que les comptines et les rimes pour enfants ne finissent pas toujours en conte de fées...

Bill Gross , Décembre 2014

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