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Euro : Le maillon manquant

Malgré le recul en juillet, l’indice euro reste en hausse depuis le début de l’année. Cette progression, cependant, masque un problème plus profond : l’euro manque toujours d’une base fiscale et financière solide —une véritable union des marchés de capitaux — qui en feraient une monnaie de référence mondiale. Des progrès sont en cours, mais...

Malgré le recul en juillet, l’indice euro reste en hausse depuis le début de l’année. Cette progression, cependant, masque un problème plus profond : l’euro manque toujours d’une base fiscale et financière solide —une véritable union des marchés de capitaux — qui en feraient une monnaie de référence mondiale. Des progrès sont en cours, mais ce « maillon manquant » maintient l’euro fort, sans pour autant le rendre suprême.

Depuis le début de 2025, l’euro s’est considérablement renforcé face au dollar américain, enregistrant une hausse de +13 % à la mi-juillet. Bien que cette appréciation soit impressionnante, elle reste loin des sommets historiques : l’euro s’échangeait au-dessus de 1,20, voire proche de 1,40, lors de cycles précédents. Le moteur principal de ce récent mouvement est davantage la faiblesse du dollar que la résurgence de l’euro. Face aux inquiétudes concernant la « weaponisation » (utilisation comme une arme) du dollar, au ralentissement de la croissance américaine, aux attentes de baisse des taux de la Fed et à l’incertitude budgétaire, les investisseurs diversifient leurs avoirs en s’éloignant du dollar. L’euro bénéficie ainsi d’un regain de crédibilité, grâce à la stabilité des politiques de la zone euro et à de meilleures perspectives de croissance. Bien que récemment renforcé, l’euro reste structurellement inachevé en tant que véritable monnaie de réserve mondiale. Selon l’évaluation de l’Atlantic Council (graphique 4), la zone euro dépasse les États-Unis en termes de part du commerce mondial (13 % contre 11 %) et bénéficie désormais d’une politique macroéconomique interne plus prévisible et stable. Cependant, il est à la traîne par rapport aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon en ce qui concerne la taille et la profondeur de ses marchés financiers.

UNE DYNAMIQUE EN CONSTRUCTION

C’est pourquoi la nouvelle Union de l’épargne et des investissements (SIU), lancée en mars 2025, est cruciale. Le SIU vise à canaliser les vastes économies privées européennes vers des investissements transfrontaliers productifs, à réduire la dépendance au financement étranger et à approfondir les marchés des actions et des obligations.

Cette initiative s’appuie sur les propositions d’union bancaire et des marchés de capitaux formulées après la crise financière mondiale. L’Europe dispose d’épargnes abondantes mais souffre d’un manque d’investissement, la contribution du secteur privé étant plus que jamais essentielle face aux besoins d’investissement significatifs et aux contraintes budgétaires (hors Allemagne). Actuellement, 80 % de l’épargne en Europe est détenue sous forme de dépôts bancaires, souvent confinés à des économies nationales. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), ce « biais domestique » s’explique par des barrières réglementaires qui limitent l’activité financière transfrontalière et freinent le développement de marchés des capitaux unifiés. Par exemple, la faible émission d’actifs titrisés en Europe découle de réglementations non uniformes et de charges en capital élevées, rendant difficile la création de titres hypothécaires regroupant plusieurs pays de l’Union européenne (UE). La Commission européenne a proposé en juin 2025 un ensemble de réformes pour remédier à ces obstacles – un pas dans la bonne direction. En somme, le SIU stimule la croissance, renforce l’autonomie stratégique en réduisant la dépendance aux financements extérieurs et consolide le rôle mondial de l’euro grâce à des marchés de capitaux plus profonds et plus liquides dans la zone euro. L’émission prévue d’obligations au niveau de l’UE, à mesure que l’Europe prend en charge sa propre défense, pourrait également contribuer de manière significative à ces objectifs.

La stratégie de financement conjoint de l’UE, qui a initialement gagné du terrain avec des initiatives comme NextGenerationEU, constitue une première étape vers une dette commune. Ces euro-obligations supranationales, garanties par le budget de l’UE, représentent une forme embryonnaire de dette commune. Bien que leur ampleur reste limitée, elles posent les bases d’un actif sûr paneuropéen – une condition essentielle pour que l’euro devienne une monnaie de réserve. Le programme SAFE (Security Action For Europe), proposé dans le cadre du plan ReArm Europe en janvier 2025, prévoit de fournir 150 milliards d’euros sous forme de prêts à long terme et à faible coût aux États membres pour leurs plans de défense nationale, financés par des emprunts de l’UE. Cette intégration progressive, bien que lente, est perçue comme structurellement « euro-positive » à long terme. En outre, la politique budgétaire expansionniste de l’Allemagne est également considérée comme un soutien pour l’euro, en élargissant le pool d’actifs sûrs libellés en euros et en stimulant la liquidité et la croissance. Par ailleurs, l’introduction de l’euro numérique par la Banque centrale européenne (BCE) constitue une initiative prometteuse, bien que son impact dépende de son adoption à grande échelle.

PERSPECTIVES À COURT TERME

À court terme, la dépréciation du dollar pourrait marquer une pause dans les semaines à venir, car de nombreuses mauvaises nouvelles sont déjà intégrées dans les prix. De plus, malgré les baisses de taux prévues aux États-Unis, le différentiel de taux d’intérêt reste favorable au dollar. Cela ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour l’Europe et le reste du monde, à un moment où les droits de douane refont surface dans les discussions. En effet, la baisse du dollar a agi comme une forme de « droit de douane » supplémentaire pour les exportateurs mondiaux. Cependant, à moyen terme, la trajectoire de l’euro reste positive et dépendra de plus en plus des progrès en matière de réformes institutionnelles et d’intégration des marchés de capitaux. Ailleurs, le franc suisse (CHF) demeure une monnaie de financement solide, les craintes déflationnistes s’estompant. Le yen (JPY), quant à lui, reste pris entre deux feux : les élections générales au Japon se sont déroulées dans un contexte d’incertitude accrue sur les droits de douane américains, tandis que l’écart de taux d’intérêt entre les États-Unis et le Japon continue de peser sur le cours USD/JPY. Enfin, l’alternative la plus solide au dollar reste l’or, qui fonctionne désormais comme une seconde monnaie de réserve de facto (dépassant même l’euro), en particulier dans les marchés émergents.

Bénédicte Kukla , 12 août

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