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Les annonces sur le bilan de la FED, déterminantes pour les marchés actions

Depuis le début de l’année, deux chocs de taux réels se sont produits aux Etats-Unis suite aux précisions relatives au plan de réduction de son bilan par la Fed. Ils ont tous les deux déclenché une phase de baisse des marchés actions mais une distinction nette est à faire entre secteurs « growth » et secteurs « value », les premiers étant bien plus pénalisés que les seconds.

Depuis le début de l’année, deux évènements ont changé la perception des investisseurs au sujet de la politique de bilan de la Fed :

  • La publication le 5 janvier des minutes du FOMC de décembre 2021 : la réduction du bilan y était mentionnée des dizaines de fois et c’est à partir de ce moment que les marchés ont pris au sérieux le fait que la Fed allait entreprendre cette politique en 2022.
  • Le discours le 5 avril de Lael Brainard, vice-présidente du Board et probablement la membre la plus « dovish » du FOMC, au cours duquel elle a indiqué que le bilan de la Fed serait réduit « considérablement plus rapidement » que lors de l’épisode précédent de Quantitative Tightening de la Fed (2017/2018/2019). Le lendemain, les minutes du FOMC de mars évoquaient un rythme de réduction de bilan de 95 Mds $ par mois (contre 50 Mds $ par mois au maximum lors de l’épisode de 2017/2018/2019).

Dans la littérature académique, la politique d’achats de titres est souvent associée à un « effet de signal » que les taux directeurs resteraient bas plus longtemps (dans le cas contraire, les actifs achetés par la banque centrale se déprécieraient rapidement). On peut donc faire l’hypothèse que les annonces sur la réduction du bilan d’une banque centrale, c’est-à-dire l’inverse de la politique d’achats de titres, aient un effet opposé, au moins dans une certaine mesure. Communiquer sur la volonté de réduire agressivement son bilan envoie le signal que la banque centrale peut avoir envie de remonter ses taux directeurs plus rapidement et plus agressivement que prévu. Une autre interprétation, que l’on retrouve dans le dernier Global Financial Stability Review du FMI, est que les taux longs réels aux Etats-Unis auraient baissé de 50 à 60 points de base à cause des achats de titres réalisés en 2020 et 2021 et que la réduction du bilan devrait théoriquement mener à une décompression de la prime de terme.

En tout cas, on peut constater que les deux événements mentionnés plus haut ont occasionné un choc de taux réels significatif : dans les deux cas, les taux réels 10 ans ont augmenté d’environ 30 points de base sur les 2 semaines qui ont suivi.

Le 19 avril, les taux réels ont même atteint 0% alors qu’ils étaient négatifs depuis plus de deux ans. Enfin, depuis le début de l’année, les taux réels 10 ans ont ainsi monté d’environ 100 bps, ce qui est quasiment aussi puissant que le mouvement observé lors du « taper tantrum » de 2013.

L’évolution des taux réels est particulièrement importante pour les classes d’actifs risquées. Comme l’expliquent par exemple les économistes du FMI : « les investisseurs ne s’arrêtent souvent pas aux taux nominaux et fondent leurs décisions sur les taux réels, qui les aident à déterminer le rendement des actifs. Des taux réels bas incitent les investisseurs à prendre plus de risque. » Pour cette raison, les baisses de taux réels ont été associées à des valorisations élevées des marchés actions. C’est notamment l’idée que l’on trouve dans le concept d’Excess CAPE Yield développé par Robert Shiller, où il compare l’inverse du ratio CAPE et les taux réels de long terme. Dans ce cadre, il est particulièrement frappant qu’une relation inverse assez nette se soit mise en place depuis 2018 entre l’évolution des taux réels 10 ans et du ratio Price-to-Earnings pour l’indice Nasdaq.

Une analyse simple, se focalisant sur la corrélation entre les performances hebdomadaires des différents secteurs du S&P 500 et les variations hebdomadaires des taux réels 10 ans, permet d’établir plusieurs points :

  • la corrélation n’a pas été pas stable dans le temps sur les 20 dernières années. Elle a parfois été positive, parfois négative…
  • mais la corrélation est devenue négative tous secteurs confondus de façon nette avec la crise covid en 2020,
  • enfin, la corrélation, qui était globalement la même pour les secteurs « growth » et les secteurs « value » avant 2017, a nettement divergé après cette date. Plus précisément, la corrélation est devenue nettement plus négative pour les secteurs « growth » que pour les secteurs « value » et cette dichotomie a perduré depuis. La corrélation est devenue bien moins forte, voire négative pour les secteurs technologie, immobilier et services publics mais elle est restée positive pour les financières et dans une moindre mesure pour le secteur énergie.

Le lien entre taux réels et marchés actions a été particulièrement fort depuis le début de l’année 2022. Il est remarquable que les deux chocs de taux réels évoqués plus haut, causés en large part par les nouvelles informations sur la stratégie de réduction du bilan de la Fed, ont induit une phase de baisse des grands indices boursiers et en particulier une nette sous-performance des secteurs « growth » par rapport aux secteurs « value ». Cela illustre à quel point la communication de la Fed sur le durcissement à venir de sa politique monétaire a déjà largement pénalisé les marchés actions américains cette année et que c’est vraisemblablement un facteur plus important que d’ordinaire pour eux.

Pour le moment, l’année 2022 a été particulièrement compliquée pour les marchés actions américains et il est remarquable que les phases baissières aient été déclenchées par des chocs de taux réels, provenant eux-mêmes directement de nouvelles informations sur la stratégie de réduction du bilan de la Fed. Le durcissement régulier de la communication de la Fed sur les derniers mois a été l’un des déterminants les plus importants de l’évolution des marchés actions et permet d’expliquer des différences de performances significatives selon les secteurs...

Bastien Drut , Avril 2022

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