Envolée des matières premières,
pénuries, inflation, durcissement
annoncé des conditions monétaires
aux États-Unis, perturbations en
Chine, rebond de la Covid-19…
Les marchés actions n’ont été que
peu affectés par ce foisonnement
d’inquiétudes et ont fait preuve
d’une remarquable résilience.
Ils tutoient à nouveau leurs
sommets historiques à la faveur
de bons résultats trimestriels
des entreprises.
Rallye de fin d’année en vue ?
L’envolée du Bitcoin illustre bien la psychologie du moment. La
plus connue des cryptomonnaies a gagné pratiquement 50 %
depuis la fin du mois de septembre et atteint un nouveau plus
haut historique. Et pourtant, rarement les cryptomonnaies
n’avaient concentré autant d’attaques et de controverses que
durant ces dernières semaines : réprimées en Chine, décriées
pour l’empreinte carbone dégagée par les « miners », rumeurs de
régulation et de contrôle par les autorités américaines, suspectées
dangereuses par les Banques Centrales… Les acheteurs intéressés
n’ont pas été sensibles à ces attaques. La création d’un ETF indexé
sur le contrat à terme du Bitcoin a été un véritable succès, avec
plus de 1 Md$ d’actifs collecté en deux jours.
Comme sur les cryptomonnaies, l’environnement globalement
anxiogène n’a pas pesé sur les marchés. Les bons résultats des
entreprises publiés ont pris « à contre-pied » des investisseurs
qui étaient trop prudents : selon une enquête réalisée début
octobre par le journal financier Barron’s, 80 % des investisseurs
professionnels américains interrogés s’attendaient à une
correction de Wall Street dans les 6 mois, c’est-à-dire une baisse
comprise entre 10 % et 20 %. Et évidemment, quand tout le
marché attend la même chose, cela n’arrive pas.
Les principaux indices actions occidentaux ont ainsi retrouvé
leurs plus hauts niveaux historiques et semblent confirmer la
tendance positive en vigueur depuis plusieurs mois. Faut-il y
adhérer pleinement ? Possible, mais il se peut aussi que nous
assistions à un phénomène de « rachat de short » (rachat de
positions vendeuses à découvert) éphémère et il nous semble
difficile de reprendre du risque dans un contexte économique
et politique assez compliqué, dominé par deux sujets majeurs :
- Le risque d’un ralentissement de l’économie. Depuis quelques
mois, les indicateurs de confiance des consommateurs baissent,
particulièrement aux États-Unis. Statistiquement, il s’agit
d’un indicateur assez fiable qui précède de plusieurs mois un
retournement de la conjoncture. Un tel scénario est possible :
après un rebond post-pandémique très intense, dû à des retards
de consommation et alors que les ménages avaient épargné, la
hausse des prix, et particulièrement de l’énergie, pourrait peser.
Des hausses de salaires sont prévues en contrepartie, ce qui ne
pèserait pas trop sur les entreprises car la productivité reste
bonne pour l’instant. Mais ce risque de ralentissement pourrait
également être accentué par des politiques budgétaires qui
seront plus restrictives. Nous allons arriver à la fin du « quoi
qu’il en coûte » un peu partout dans le monde. Aux États-Unis,
les deux plans de relance n’ont pas été votés en l’état et seront
moins importants qu’escompté : de 6 Mds$ prévus au départ
pour les deux plans (infrastructure et social), il ne devrait rester
que 2,5 Mds$. Il y aura ainsi dès l’année prochaine un stimulus
budgétaire moins important que cette année. En zone Euro, un
consensus se dessine dans les pays du Sud pour continuer à
soutenir l’économie, en dépit de « cagnottes fiscales » meilleures
que prévues (en réalité, un déficit budgétaire moins grand
qu’attendu). Les pays du Nord, et surtout l’Allemagne, ne se sont
pas encore clairement prononcés sur la stratégie budgétaire pour
les prochaines années. Mais il paraît clair qu’il y aura divergence
de vues au sein de la zone... Par ailleurs, des hausses d’impôts
pourraient également se profiler à terme, ce qui accentuerait la
méfiance des ménages. Pour l’instant, la croissance est attendue à 4,5 % dans le monde mais avec des risques de révision à la
baisse.
Dans ces conditions, la remontée des anticipations d’inflation
observée ces derniers mois devrait s’estomper, et ce serait
la bonne nouvelle. Depuis plusieurs mois, nous assistons à un
rebond assez spectaculaire de l’inflation, ce qui est logique avec
le redémarrage économique très intense qui a suivi la crise de la
Covid-19. L’inflation implicite inscrite dans le cours des obligations
indexées américaines à 10 ans a également nettement remonté,
passant en un an et demi de près de 1,00 % à 2,65 %, ce qui est
proche du plus haut niveau depuis 20 ans. Il s’agit selon nous
d’un indicateur très important à surveiller. C’est en effet cette
perception d’inflation à long terme par les marchés qui est
importante aux yeux des Banques Centrales : cela montre leur
crédibilité et limite la pression sur les marchés obligataires. Pour
l’instant, les investisseurs acceptent des rendements réels négatifs.
Ils semblent de ce fait croire, comme les Banques Centrales, que
la remontée de l’inflation n’est qu’un phénomène transitoire. Les
Banques Centrales ont réussi à créer des conditions favorables
aux financements des gouvernements, la charge de cette dette
n’augmentant pas. En conséquence, compte tenu du risque de
ralentissement économique et si les anticipations d’inflation se
calment, les marchés obligataires devraient globalement se
stabiliser : autour de 2 % sur le 10 ans américain et 0 % sur le
Bund. C’est le point le plus important. Rappelons que les niveaux
des taux d’intérêt à long terme sont le point d’ancrage pour
la valorisation de tous les actifs. Le risque principal pour les
marchés ne nous semble plus être celui d’une tension des taux
obligataires, mais plutôt celui d’un ralentissement économique
susceptible d’engendrer des révisions à la baisse des bénéfices
des entreprises.
- La problématique de la Chine. Le cas de la Chine est devenu très
important pour l’économie mondiale, par son poids (deuxième
économie en taille) et par sa nature : le pays est un marché très
important pour de nombreuses entreprises occidentales et est
devenu un maillon essentiel dans les chaînes de production
industrielles internationales. Or, force est de constater que depuis
quelques mois, sous l’impulsion du Président Xi Jinping, le pays
se situe dans une phase d’ajustements et de réorientations qui
créent beaucoup de perturbations à court terme. Le secteur
immobilier est ainsi particulièrement touché, et il représente au
total près de 30 % du PIB. La croissance du pays a été quasi nulle
au troisième trimestre. Si un rebond est probable au quatrième
trimestre, il y a peu de visibilité dans le contexte actuel. La décision
de mettre en place une taxe sur l’immobilier, dont les modalités
ne sont pas encore précisées, peut freiner drastiquement
l’investissement dans ce secteur. À plus long terme, les objectifs
sont louables et visent à rééquilibrer le modèle économique
chinois vers une « prospérité commune » : plus de solidarité
entre les classes sociales, une économie plus verte, favoriser la
natalité... Mais, cela peut signifier aussi une Chine plus fermée, qui
s’appuie essentiellement sur son énorme marché intérieur de
1,4 milliard de personnes, avec une natalité dynamisée, taille
critique suffisante pour le développement de grosses entreprises.
Et avec, de surcroît, une population plus isolée des idées
occidentales.
Ce scénario qui semble se dessiner serait un comble, tout juste
20 ans après l’entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation
mondiale du commerce). Cette entrée dans la mondialisation a permis au pays d’avoir accès aux marchés internationaux et
d‘accélérer ainsi son industrialisation et son développement grâce
à ses exportations très compétitives et ses échanges de savoir-faire avec l’Occident. En 20 ans, le PIB du pays a ainsi été multiplié
par 15. Si le pays devient plus présent sur la scène politique
internationale, parallèlement, la crise de la Covid-19 a peut-être
constitué une sorte de catalyseur pour accélérer ce repli sur soi.
Cependant, nous ne pensons pas que ces mesures marquent un
changement d’orientation complet et un retour en arrière vers un
monde économique complètement nationalisé. Le capitalisme
et le dynamisme entrepreneurial ne seront pas abandonnés,
particulièrement dans le domaine technologique très dynamique
et dans lequel la Chine a acquis une certaine avance. C’est ce
que vient de réaffirmer le Président Xi Jinping, soulignant que la
Chine avait les moyens d’être complètement autonome dans le
domaine technologique au cours des prochaines années. La part
de l’économie numérique dans le PIB du pays doit passer de 7,8 %
à 10 % au cours du plan quinquennal actuel qui doit s’achever
en 2025. En résumé, si le pouvoir n’a pas sa légitimité par les
urnes, il doit l’avoir par les résultats concrets de sa politique
de « prospérité partagée ». C’est la raison pour laquelle nous
pensons que la Chine reste « investissable » à long terme, car il
y a un contexte favorable au développement d’entreprises de
croissance. Les événements récents ont éloigné les investisseurs
internationaux du marché chinois. Une récente enquête d’opinion
auprès d’investisseurs professionnels américains réalisée par
le journal financier Barron’s est éloquente : 80% d’entre eux
n’envisagent pas d’acheter d’actions chinoises dans les 12 mois.
Cela s’explique par le contexte troublé que nous avons décrit,
mais aussi par le contexte géopolitique tendu entre les États-Unis
et la Chine. D’une certaine façon, c’est bon signe : cela signifie
que les investisseurs « courront » après le marché en cas de
rebond, surtout maintenant que les actifs chinois ont intégré les
indices internationaux. Car aux cours actuels, un rebond n’est
pas à exclure : les valorisations absolues et surtout relatives sont
devenues attractives.
En conséquence, si le risque de remontée incontrôlée des
taux d’intérêt semble s’estomper, le contexte économique,
géopolitique et sanitaire ne milite pas pour une prise de risque
immédiate dans les portefeuilles. Nous n’avons donc pas le
sentiment qu’il faille tenter de suivre le possible rallye de fin
d’année aveuglément. Nous préférons ainsi conserver des
pondérations actions en ligne avec les allocations stratégiques,
et renforcerons sur repli.