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Le FME est né, vive le FME !

Philip Hall et Adrian Paturle font le point sur le mécanisme de l’ESM : Les dirigeants européens se sont très largement inspirés du fonctionnement du FMI...

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Continuant à anticiper le prochain Conseil, les autorités européennes ont publié, le 21 mars 2011, un « term sheet » détaillé sur le fonctionnement de l’ESM [1] à partir de 2013. Ce document ne surprendra guère les marchés ; tout, ou presque, figurait dans les décisions et communiqués antérieurs de l’Eurogroupe et de l’ECOFIN. C’est néanmoins l’occasion de faire le point sur le mécanisme de l’ESM, de le commenter et de constater que les dirigeants européens se sont très largement inspirés du fonctionnement du FMI.

La taille totale du dispositif est de 500Mds€. Aucune augmentation par rapport à la situation actuelle, puisque la somme des deux dispositifs en vigueur conduit exactement au même nombre (440 EFSF [2] + 60 EFSM [3]). Cette taille parait suffisante puisqu’elle permet, en plus de l’aide à l’Irlande et à la Grèce (qui est hors EFSF), le refinancement du Portugal, de l’Espagne et deux prochaines années d’échéances italiennes.

Le statut de l’ESM est précisé. Il s’agira d’une organisation intergouvernementale de droit public international créée par un traité... comme le FMI. Un tel statut favorisera la notation de l’émetteur et sa perception par le marché, alors que l’EFSF est encore vu par certains comme un gigantesque CDO. Ce statut reste légèrement en deçà de ce qu’espérait le Parlement européen, qui militait pour la création d’une institution communautaire. Les raisons de ce choix sont principalement comptables, puisque la dette d’un organisme communautaire aurait dû être consolidée proportionnellement par les membres de la zone Euro, contrairement à une organisation intergouvernementale. Gageons que les analystes et les agences de notation feront fi de cette subtile distinction comptable et intégreront l’ESM dans les passifs conditionnels des membres de la zone Euro.

La gouvernance de l’ESM paraît satisfaisante. Les décisions importantes sont prises suivant la règle de la « décision mutuelle » (unanimité de ceux qui ne s’abstiennent pas), ce qui peut paraître contraignant, mais est en réalité assez courant dans les organisations communautaires et ne devrait pas limiter la capacité d’action de l’ESM.

Le rating de l’ESM sera AAA. Devant les difficultés (à ce jour non résolues) rencontrées par l’EFSF pour disposer d’une capacité d’intervention de 440Mds€, tout en conservant un rating AAA, certains avaient suggéré de laisser l’EFSF être noté AA - une très mauvaise idée selon nous. L’ESM sera bien noté AAA et pour y parvenir les dirigeants européens ont inventé un nouveau concept : le levier négatif ! Pour pouvoir prêter un maximum de 500Mds€, l’ESM disposera de 700Mds€ de capital... principalement sous forme de capital non appelé. La structure financière sera extrêmement solide, puisque l’engagement donné par des états AAA de fournir du capital suffit à fournir les 500Mds€ annoncés. C’est là l’explication du « levier négatif ». Ce schéma est nettement plus proche du schéma appliqué au FMI, que du schéma de l’EFSF. Sagement, il a été acté que l’ESM pourra appeler du capital non libéré suivant une décision à la majorité simple en cas de perte constatées sur un actif.

La palette d’outils disponibles n’est pas définitivement arrêtée. Le term sheet final paraît simplifié par rapport aux discussions antérieures, puisque seuls deux modes d’interventions sont envisagés : un prêt à court / moyen terme et un achat sur le marché primaire. Toutefois, et c’est une nouveauté importante par rapport aux annonces du 11 mars (et à la position dure du gouvernement allemand sur ce point), la porte est ouverte à l’utilisation de nouveaux outils (CDS, marché secondaire).

Le processus et le pricing sont clarifiés. Le processus d’octroi des facilités de l’ESM est clarifié et il ne contient pas de surprise notable. Une fois un processus d’ajustement macroéconomique et budgétaire agréé et la participation du secteur privé estimée (plus de détails sur ce sujet ci-dessous), l’ESM discutera les termes de la facilité avec l’état concerné. La Commission, avec le FMI et en consultation avec la BCE, suivra l’évolution dans le temps des ajustements macroéconomiques demandés. Le processus paraît copié sur celui du FMI. Sur le plan du pricing, les règles du jeu sont remarquablement claires et uniformes, ce qui ne manquera pas d’intéresser les irlandais qui ne bénéficient pas de la même ristourne que les grecs : le prix sera fixé au coût de financement de l’ESM augmenté de 200bps, plus 100bps pour la partie du prêt qui dépasse trois ans.

La participation du secteur privé est le sujet sur lequel les dirigeants européens étaient le plus attendus par le marché. Là encore, peu de surprises, puisque l’essentiel figurait dans la décision du conseil de décembre dernier.
- Avant tout octroi de prêt, la Commission et le FMI devront estimer, en liaison avec la BCE, si la dette du pays est « soutenable ». Encore une fois, ce sont les méthodologies développées par le FMI qui seront utilisées.
- Si la dette est soutenable, les créanciers seront simplement incités à garder leurs expositions, à l’image de ce que le FMI (je sais, je me répète) a mis en place en Europe de l’Est avec l’initiative de Vienne. L’idée sous-jacente est d’éviter un comportement qu’un théoricien des jeux qualifierait de non coopératif et sous optimal : aucune banque n’a intérêt à ce que les autres retirent leurs expositions, mais toutes ont intérêt à retirer les leurs en premier, ce qui pourrait provoquer des ventes d’expositions massives et soudaines, dangereuses pour la stabilité de l’Euro.
- Si la dette est jugée non soutenable, le document précise la décision de décembre 2010 en définissant les critères appliqués à une éventuelle restructuration négociée avec les créanciers. Le seul à retenir est le critère d’équité, qui indique que les solutions réduisant la « valeur actuelle nette » de la dette ne devront être utilisées qu’en dernier recours.

Notre analyse des contributions du secteur privé est la suivante. Ce principe de burden sharing est absolument nécessaire pour obtenir l’adhésion de l’Allemagne au dispositif. Les dirigeants ont toutefois cherché à lui donner la tonalité la plus « soft » possible en insistant sur certaines pratiques qui sont compatibles avec les attentes des marchés et permettent d’éviter les défauts de paiement : équité, discussions avec les investisseurs, insertions de CAC [4], etc. Nous pensons qu’une restructuration de la dette grecque est possible, mais, d’une part, que si elle doit se faire, elle se fera avant 2013 et, d’autre part, qu’elle se fera au moyen d’une offre d’échange non coercitive. On remarquera que le commentaire suivant lequel les dettes « non soutenables  » sont « peu probables », a été supprimé du document final, ce qui pourrait traduire un sentiment légèrement plus négatif sur la situation de certains pays. Rappelons toutefois un élément important. Lorsque le FMI est intervenu en Grèce, il a accordé ce que l’on appelle dans le jargon du FMI un « accès exceptionnel », qui ne peut être accordé que si plusieurs conditions sont remplies :

  • (a) il existe un important besoin de financement non couvert
  • (b) la dette est jugée soutenable à moyen terme,
  • (c) le FMI estime que le pays pourra retrouver l’accès au marché de capitaux et
  • (d) les chances de succès du programme d’ajustement sont élevées.

Le FMI a conclu positivement sur tous ces points, ce qui montre que la dette grecque est jugée soutenable. En réalité, il est peu probable que les institutions de l’Union en arrivent à juger qu’un pays de l’Union, qui est sujet au pacte de stabilité et à la surveillance des autorités communautaires, en est arrivé à un point tel que sa dette est non soutenable sans que l’Union ait réagi avant. Ce cas nous semble donc très improbable.

L’objectif d’insertion des CAC est réitéré - pour ceux qui n’avaient vraiment pas suivi le film. Nous l’avons déjà écrit, les CAC ne sont pas une nouveauté et traduisent simplement une vieille astuce politicienne : faire du neuf avec du vieux. En 2003, le président de l’ECOFIN, M. Christodoulakis, annonçait que tous les pays de l’Union auraient des CACs dans leurs émissions obligataires avant la fin de l’année... A titre d’exemple, les émissions grecques sous droit anglais (mais pas en droit grec) contiennent des CAC, avec des seuils à 66% (émissions avant 2004) ou 75% (post 2004). De même aux US, en Italie, etc. La décision prise pour le futur ESM est d’utiliser un format archi-standard, déjà utilisé dans le monde entier et de l’appliquer uniformément en Europe. La seule question pertinente en suspens nous paraît être le seuil de super majorité retenu (nous ne sommes d’ailleurs pas certain qu’il sera le même partout en Europe, le term sheet reste ambigu sur ce point). Le bon sens comme la recherche académique publiée sur ce sujet laissent à penser que les allemands voudront des seuils proches de 50%, alors que les grecs, irlandais, etc. militeront pour des seuils proches de 85%, voire plus. Qui l’emportera ? Pour notre part, nous voyons un seuil à 75%, proche de la pratique de marché.

Les facilités de l’ESM seront « seniors » de la dette « privée » et subordonnées par rapport à la dette FMI. Là encore, rien de neuf, tout cela avait déjà été dit, mais profitons-en pour discuter de cet aspect de l’ESM qui a été peu commenté dans la presse. Si l’objectif de l’ESM est d’éviter la « faillite » des états, on peut se dire que cette subordination n’a pas grande portée pratique. Mais la réalité est un peu différente. Tout d’abord, rappelons que la définition ISDA d’un “restructuring event”, qui peut donc déclencher un CDS, comprend “(iv) a change in the ranking in priority of payment of any Obligation, causing the Subordination of such Obligation to any other Obligation”. Le rang privilégié de l’ESM a été affirmé ce qui est sans doute la seule vraie mauvaise décision prise par les dirigeants européens puisqu’elle augmentera deux facteurs importants de la crise des souverains : la spéculation à la baisse sur les CDS et la fragilité des ratings.

Adrian Paturle , Philip Hall , Mars 2011

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Notes

[1] L’ESM, pour European Stability Mechanism, est un terme ambigu qui désigne à la fois l’ensemble des mesures de soutien aux pays de la zone Euro ayant des difficultés de refinancement et le mécanisme permanent dont la création a été actée par le sommet de l’Eurogroupe du 28 novembre 2010 et qui devrait intervenir en 2013, une fois les modifications nécessaires au traité de l’Union ratifiées par les différents parlements européens.

[2] L’EFSF, pour European Financial Stability Facility, est une société de droit privé, basée à Luxembourg, dont le capital est, depuis mai 2010, et suite à la décision du Conseil ECOFIN du 7 mai 2010, détenu par les 17 Etats membres de la zone Euro, avec la même structure de capital que celle de la BCE. Ces mêmes Etats (hors Grèce) apportent en outre leurs garanties non solidaires à la dette de l’EFSF, pour un total maximum théorique de 440Mds€. L’EFSF n’est pas intervenu dans le plan de soutien à la Grèce, car il a été créé à la suite de la crise grecque, mais il contribue au plan de soutien irlandais.

[3] L’EFSM, pour European Financial Stability Mechanism, est une ligne du budget de l’Union européenne, gérée par la Commission Européenne, dont la capacité maximale est actuellement de 60Mds€ et qui permet à l’Union d’octroyer des prêts bilatéraux (Hongrie, Irlande). Contrairement aux autres dispositifs, cette facilité n’est pas limitée à la zone Euro, puisqu’en théorie tous les pays peuvent en bénéficier et tous y contribuent via le budget général de l’Union.

[4] Collective Action Clause

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