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Opinion
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Depuis une vingtaine d’années, le monde de l’investissement intègre de manière de plus en plus poussée les facteurs liés à des enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance aux décisions d’investissement, qui ne reposent donc plus exclusivement sur des éléments financiers.
Cette finance dite ESG prend de plus en plus d’ampleur et constitue aujourd’hui une part importante, voire dominante de la demande des investisseurs finaux. Les enjeux ESG sont désormais centraux aussi bien par la nécessité de notre société d’évoluer que par leur omniprésence dans la stratégie des entreprises.
Les critères extra-financiers ont donc toute leur place dans l’analyse fondamentale des entreprises mais les règles d’application de l’ESG doivent être adaptables pour éviter les écueils. Nous pensons notamment à l’antagonisme entre la réglementation ESG locale et la géopolitique mondiale. L’ESG avance depuis toujours à l’intérieur d’un cadre considéré comme stable, celui de la mondialisation. Or, on voit depuis 2018 et le début de ce qu’on a appelé la guerre commerciale entre la Chine et les USA que ce cadre pourrait être remis en question. La crise ukrainienne est une nouvelle alerte sur la pérennité de ce développement économique et social sans frontières.
De cruels dilemmes en perspective dans l’ESG
Si le processus multi décennal de la mondialisation cède la place à une régionalisation de l’économie, la grille d’analyse de l’ESG peut-elle rester fiable et surtout se suffire à elle-même ? La décarbonation de l’économie européenne, par exemple, qui passe par un arrêt de la production d’électricité à base de charbon, dépend en partie du gaz russe pour la période dite de transition. Si cet approvisionnement s’avère durablement coupé, trouver la meilleure solution sera problématique, avec le risque de devoir provisoirement relancer le charbon. Car l’objectif final n’est pas seulement de réussir la transition énergétique, mais également d’intégrer les impacts sociaux que cela peut impliquer, d’où la notion de transition juste.
La finance verte prônant une exclusion des énergies fossiles au premier euro se retrouve alors face à un dilemme : comment investir dans la transition énergétique sans le charbon et le gaz ? Est-il « juste » de prendre le risque de pénaliser l’économie européenne en privilégiant les critères environnementaux et moraux aux critères sociaux ? Comment résoudre le problème de la dépendance extérieure de l’Europe à des matières premières comme la potasse, nécessaire pour les engrais et aujourd’hui quasiment exclusivement importée de la zone Russie-Biélorussie-Ukraine ? Devons-nous faire fi de nos réticences sur la gouvernance des sociétés qui opèrent dans ces géographies ?
Concilier impacts sociaux et choix environnementaux
Difficilement imaginables lorsque la quasi-totalité des pays de la planète allait dans le sens d’une ouverture croissante sur l’extérieur, de tels dilemmes risquent de se multiplier, remettant en cause l’idée d’un ESG trop dogmatique, comme le fait d’exclure des portefeuilles dès le premier euro de chiffre d’affaires les sociétés présentes dans l’armement, les mines ou les énergies fossiles. Des exclusions aussi intransigeantes pourraient au contraire conduire à un affaiblissement de l’économie européenne et rendre finalement caducs tous les efforts entrepris en matière d’ESG.
La solution ne réside pas dans une simple grille de critères, mais dans une finance éclairée, c’est-à-dire pragmatique et cultivant une vision holistique. Nous pensons sincèrement que la prise en compte de l’ESG par la finance est créatrice de valeur pour les entreprises et pour la société en général mais l’extra financier doit voir plus large que le résultat immédiat et notamment mieux intégrer les notions d’amélioration.
La transition vers des énergies bas carbone est essentielle, mais elle sera longue et coûteuse ; les énergies fossiles vont rester primordiales pour quelques temps encore, à moins de prôner une décroissance brutale, source de dégâts sociaux possiblement considérables.
Le besoin d’une finance éclairée
L’accompagnement s’impose donc. Il nous faut admettre que cette manière de faire passe parfois par des choix extrêmement contre-intuitifs. Par exemple, admettre que des groupes pétroliers soient aussi des acteurs clés de la transition, parce que ce sont parfois eux qui investissent le plus et le plus rapidement vers les énergies renouvelables. Peut-être faut-il aussi reconnaitre que l’investissement dans l’armement, dans des sociétés comme Thales ou Airbus, reste positif pour la dissuasion et donc la paix, ce qu’une exclusion au premier euro de ce secteur, selon certains principes ESG, ne permet pas.
L’enjeu pour les acteurs du monde de la finance durable est donc de savoir, selon nous, ne pas pénaliser dès le début les « mauvais élèves » mais de sélectionner les entreprises qui sauront répondre aux défis de demain et de les accompagner dans leurs transitions afin de maximiser la création de valeur pour l’actionnaire mais aussi pour l’environnement, le social et la gouvernance.
Jean Duchein , Mai 2022
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