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La bulle qui n’en est pas une : l’immobilier chinois

Pour beaucoup de personnes, la Chine est un géant sur le point de basculer. Comme tout dragon, il a un point faible, un trou dans sa carapace permettant à l’épée d’un chevalier de l’atteindre. Mais quel est donc cette faiblesse du système ? L’analyse de Roy Scheepe, Senior Client Portfolio Manager Asian Debt chez ING IM.

La Chine fait tout en grand. Sa population est la plus vaste au monde. Le pays possède des territoires immenses. Et il semble aimer les immeubles gigantesques et les projets immobiliers ambitieux dans des villes reculées. Du moins, c’est l’idée que les médias véhiculent : ils montrent à profusion des immeubles construits pour des milliers de personnes, mais n’abritant personne, des « villes fantômes » comme on les appelle.

Pas de traces de villes fantômes

Un marché immobilier surchauffé fait immédiatement penser aux dégâts causés à l’économie américaine par l’effondre-ment de l’immobilier américain. Les surcapacités de l’immo-bilier chinois pourraient-elle causer les mêmes dommages ? Toute personne ayant visité les principales villes chinoises peut raconter qu’elle a vu de nouveaux immeubles commer-ciaux vides. Peu d’entre elles, peuvent cependant affirmer avoir rencontré des villes fantômes en dépit des images qui abondent.

Nous suivons le marché immobilier de près, car il s’agit d’une part de plus en plus importante de notre univers d’investissement, compte tenu du nombre de promoteurs immobiliers émettant des obligations sur le marché mondial. Nous avons récemment visité la Chine et sommes arrivés à la conclusion que la bulle n’est pas sur le point d’exploser. En réalité, nous ne sommes même pas convaincus qu’elle existe !

Une urbanisation progressive

Certes, il existe des villes fantômes. Certaines sont des projets vendus, mais pas occupés, d’autres sont des projets voués à l’échec. Nos recherches indiquent toutefois que ces derniers constituent des exceptions et non la norme.

Il est important de se rappeler que le secteur immobilier est un secteur sensible à la politique, soumis à une sévère réglementation. L’une des priorités des décideurs politiques est que les prix des logements soient abordables. Eu égard à la population chinoise de 1,4 milliard de personnes, il importe en effet qu’il ait des logements en suffisance.

Au cours des 20 dernières années, on a assisté à une urbanisation progressive en Chine. Aujourd’hui près de 50% de la population habite dans de grandes villes et nous nous attendons à ce que ce pourcentage atteigne 70% d’ici 2030. Les créations d’emplois, le développement économique et la demande immobilière ont dès lors surtout été présents dans les grandes villes. Alors que la construction des logements ne suit pas dans les métropoles en pleine expansion, comme Chongqing dans le centre de la Chine, des projets trop ambitieux réalisés dans des villes plus petites et isolées transforment celles-ci en villes fantômes qui font la une dans les médias.

Les prix sont globalement raisonnables

De façon générale, le marché immobilier chinois est plutôt sain et les prix sont relativement abordables. Sur la base des données de Soufun et du CEIC, Morgan Stanley Research note que les stocks des huit principales villes [1] s’élèvent à près de 11 mois, tandis que les prix immobiliers correspondent à 7-9 fois le revenu annuel, ce qui correspond à environ 35 à 50% du revenu mensuel. Plus récemment, la croissance des prix immobiliers a ralenti par rapport à la croissance des revenus, de sorte que ce ratio s’est amélioré.

Malheureusement, l’accès au logement est devenu plus difficile au fil des années dans les quatre plus grandes villes [2]. À Beijing, par exemple, les prix s’élevaient à pas moins de 18 fois le revenu annuel en 2010. Heureusement, ce niveau est depuis lors redescendu à 14 fois le revenu annuel en 2012. Ceci correspond cependant encore à près de deux fois la moyenne nationale. Dans le passé, les autorités se sont efforcées d’enrayer la hausse des prix dans ces villes, mais la demande a eu raison de ces mesures et les prix ont malgré tout augmenté. Les mesures sont cependant parvenues à ralentir le rythme de la hausse des prix - au lieu de provoquer une baisse -, ce qui a permis un certain rattrapage par les revenus.

Importance de l’immobilier pour l’économie

Eu égard au ralentissement de la croissance économique et compte tenu de l’importance de l’immobilier pour l’économie (25% du PIB total), les autorités souhaitent désormais que l’immobilier continue à croître régulièrement. L’importance de l’immobilier pour les pouvoirs publics est notamment illustrée par le fait que près de 30 à 40% des recettes totales des gouvernements locaux proviennent des ventes de terrains et des taxes liées à celles-ci [3]. Par conséquent, les autorités pourraient introduire de nouvelles mesures pour les grandes villes où les prix ont grimpé trop rapidement, mais ne devraient pas appliquer de telles mesures aux autres villes.

En Chine, le marché immobilier est peut-être plus important pour l’économie que dans d’autres parties du monde. Des recherches menées par la Banque mondiale ont ainsi montré que l’immobilier représentait près de 20% de la richesse personnelle aux États-Unis et en Europe, mais pas moins de 60% de cette richesse en Chine. De nombreux facteurs contribuent à ce phénomène, comme des éléments culturels et la structure du système financier, mais le principal est que posséder son propre logement est synonyme de disposer d’une importante réserve de richesse. Un marché immobilier florissant a dès lors des effets de richesse positifs bien plus élevés qu’un solide marché boursier puisque les ménages chinois détiennent relativement peu d’actions.

De solides volumes de transactions

Les données publiées pour le premier semestre de 2013 montrent que le marché immobilier reste sain. En matière de surface brute au sol, les transactions ont augmenté de 30% en glissement annuel par rapport aux volumes plutôt faibles enregistrés au début de 2012 étant donné les marchés redoutaient alors que le gouvernement ne prenne des mesures supplémentaires pour freiner le marché immobilier. La tendance positive s’est poursuivie jusqu’en septembre 2013, les prix des 70 villes suivies par le Bureau National des Statistiques chinois ayant progressé de 8,7% en glissement annuel. Les promoteurs immobiliers que nous suivons, qui incluent un grand nombre des principaux acteurs du secteur, s’attendent à une croissance des ventes de 20-30% pour l’année 2013 par rapport à 2012.

Des risques pesant sur nos perspectives

Il est inutile de dire que notre estimation de la résistance du marché immobilier pourrait s’avérer erronée. Les risques que nous identifions incluent un net ralentissement de la croissance dans d’autres secteurs de l’économie, lequel serait susceptible d’entraîner à son tour une correction du marché immobilier. Alors que le gouvernement prend des mesures pour remédier à des problèmes tels que les surcapacités dans certaines industries (comme l’acier), il n’est pas exclu qu’il commette des erreurs dommageables et irréversibles.

Les villes fantômes sont le reflet d’une allocation inefficace du capital. Des promoteurs immobiliers ont mal estimé la demande et ont construit trop rapidement dans certaines villes. Comme déjà mentionné, nous ne considérons pas ceci comme une menace pour la santé du marché immobilier et de l’économie chinoise en général, mais nous reconnaissons qu’il existe un danger de contagion.

Enfin, l’autre grand risque pesant sur nos perspectives est lié au système financier chinois. Le gouvernement s’efforce de libéraliser le système, tout en éliminant les excès (endettement et octroi de crédit). Si cette transition vers un marché financier plus sain et davantage déterminé par les marchés devait échouer, les promoteurs immobiliers pourraient perdre d’importantes sources de financement et être incapables de réaliser les acquisitions de terrains nécessaires ou de mener à terme leurs projets.

Roy Scheepe , Novembre 2013

Notes

[1] Beijing, Shanghai, Guangzhou, Shenzhen, Hangzhou, Suzhou, Nanjing, Chongqing

[2] Beijing, Shanghai, Guangzhou, Shenzhen

[3] Source : Citi Research

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