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La Chine face à ses échéances de dettes

La montagne de dettes des entreprises et des gouvernements locaux chinois surendettés, dues à des prêteurs agissant en dehors du secteur bancaire traditionnel, fait peser la menace d’ne vague de défauts.

Le surendettement des entreprises et des gouvernements locaux chinois, dont les crédits venant à échéance cette année et dus à des prêteurs agissant en dehors du secteur bancaire traditionnel s’élèvent à plus de 500 milliards USD, devrait entraîner une vague de défauts dans le pays. Le moment est mal choisi pour la deuxième économie mondiale qui voit également sa croissance ralentir fortement. En janvier et février, les ventes au détail, les placements en immobilisations corporelles et la production industrielle ont affiché des chiffres très en-deçà des prévisions consensuelles. Les analystes du Credit Suisse ont donc abaissé leur prévision de croissance du PIB à 6% pour le premier trimestre, soit la plus faible hausse trimestrielle en cinq ans. Questions clés : les décideurs chinois viendront-ils en aide aux emprunteurs en difficulté ? Prendront-ils des mesures pour stimuler la croissance si ce qui s’apparente de plus en plus à une crise de la dette menace les perspectives économiques globales ?

40% de l’ensemble des prêts sont consentis par le système bancaire parallèle

Le problème de la dette en Chine découle du développement extrêmement rapide, ces six dernières années, du secteur bancaire parallèle qui mêle des entités ad hoc, des produits de gestion de patrimoine et des trusts peu réglementés. Ces produits permettent aux gouvernements locaux et aux petites entreprises n’ayant pas accès aux crédits institutionnels d’emprunter malgré tout d’importantes sommes d’argent. Et c’est précisément ce qu’ils ont fait. Dans le rapport « Embracing Higher Risks » (Prises de risques plus élevées) publié ce mois-ci, Dong Tao, responsable Non Japan Asia Research du Credit Suisse, explique que « le système bancaire parallèle octroie plus de 40% de l’ensemble des prêts et est le canal d’accès aux prêts marginaux privilégié ». L’an passé, Dong Tao estimait le volume des financements non bancaires en Chine à 22,8 billions de yuans (3,7 billions USD), soit 44% du PIB de la Chine

Avec l’été viennent les défauts

Après des années quasiment dépourvues de défauts, certains problèmes commencent à se poser. Une compagnie minière spécialisée dans le charbon à qui China Credit Trust Co. avait octroyé un prêt de 3 milliards de yuans (480 millions USD) a évité de peu le défaut de paiement en janvier grâce à la reprise de sa dette par un tiers inconnu. Les investisseurs ont récupéré le principal, mais ont dû renoncer au dernier paiement d’intérêts. Fin février, une société chinoise a pour la première fois fait défaut sur des obligations d’entreprises onshore ; il s’agit de Shanghai Chaori Solar Energy Science & Technology Co. Et d’autres devraient suivre : au cours d’une conférence téléphonique en mars, Dong Tao du Credit Suisse a déclaré aux investisseurs qu’il était possible que les marchés enregistrent une douzaine de défauts par semaine cet été.

Le Credit Suisse ne considère pas que ces défauts de paiement annoncés constituent un risque systémique à l’égard des systèmes financierschinois et international. Au mois de mars, les analystes de la banque en charge des titres à revenu fixe ont publié un rapport intitulé « To Blink Or Not To Blink » (Intervenir ou non ?). Dans ce rapport, ils mettent toutefois en garde sur le risque de chute des liquidités si les investisseurs privés se mettaient à fuir les produits de gestion de patrimoine. En effet, ces produits constituent la première source de financement des obligations d’entreprises et des trusts, qui ont totalisé 21% des émissions de crédit en 2013. Ce scénario risquerait donc de pénaliser fortement la croissance.

La dette des gouvernements locaux atteint 1,76 billion USD

Comme souvent avec la Chine, les intentions des dirigeants du pays quant à la résolution du problème de la dette ne sont pas tout à fait limpides. La Banque populaire de Chine souhaite de toute évidence le désendettement du pays, comme en attestent les pensions de titres émises à deux reprises cette année pour détourner les liquidités des marchés financiers, explique Dong Tao. Les autorités chinoises essayent quant à elles de transformer le modèle économique du pays presque exclusivement basé sur les exportations de biens et la construction d’infrastructures, et qui exige des emprunts considérables, en un modèle plus axé sur la demande intérieure.

Cependant, les responsables, déterminés à procéder au désendettement, seront probablement réticents à intervenir si les gouvernements locaux ayant recouru aux produits de banques parallèles pour lever des fonds destinés à leurs projets d’infrastructure (dont beaucoup n’étaient de toute façon pas viables) sont incapables de payer ce qu’ils doivent. La dette des gouvernements locaux s’élève aujourd’hui à 10,9 billions de yuans (1,76 billion USD), dont 3,5 billions (560 milliards USD) qui arriveront à échéance au second semestre 2014. Dong Tao estime qu’un ensemble spécifique de trusts créés en 2012, représentant 2,3 billions de yuans (370 milliards USD) de dettes arrivant à échéance au second semestre, présente des risques inhabituels. Il a par ailleurs ajouté lors de la conférence que « de manière générale, le gouvernement central estime que les gouvernements locaux ont besoin de recevoir une leçon. »

L’excès de défauts risque d’effrayer les investisseurs

L’élimination du risque moral sur les marchés obligataires chinois constituerait probablement l’un des signaux les plus forts d’une réelle intention du pays de moderniser ses marchés des capitaux. Cependant, laisser les nombreux trusts et autres véhicules spécifiques dans leurs difficultés pourrait avoir de graves répercussions. Les taux d’épargne élevés et les options de placement limitées en Chine alimentent la demande de produits de banques parallèles au sein des millions d’investisseurs individuels en quête de taux d’intérêt supérieurs aux taux d’intérêt créditeurs dérisoires que proposent les banques traditionnelles. Mais le problème suivant se pose : ces véhicules de placement à court terme financent des projets d’infrastructure à long terme. Cette asymétrie d’échéances n’est pas problématique en soi tant que les prêts peuvent être renouvelés. Cela dit, si les marchés des capitaux à court terme se tarissent, la situation peut vite s’envenimer. Quelques défauts n’auraient que des conséquences limitées. Toutefois, s’ils survenaient en nombre, les investisseurs pourraient prendre peur. Cela risquerait de menacer l’intégrité du système et obligerait probablement le gouvernement central à intervenir. Si les gouvernements locaux se retrouvent soudain dans l’incapacité de reconduire leurs dettes, le Credit Suisse estime que les responsables chinois pourraient mettre en place des banques de défaisance afin de gérer les crédits en souffrance. Certes, ces plans de sauvetage ne donneraient pas une leçon des plus marquantes au sujet des emprunts excessifs, mais ils pourraient éviter que n’éclate un mouvement de panique.

De nouvelles mesures de stimulation à venir

Si des questionnements subsistent quant à la manière dont le gouvernement compte gérer ces problèmes qui semblent imminents sur les marchés du crédit chinois, on sait néanmoins que de nouvelles dépenses publiques sont prévues, comme l’a mentionné le professeur David Daokui Li de l’Université Tsinghua à l’occasion de la 17e conférence annuelle du Credit Suisse sur l’investissement en Asie tenue à Hong Kong cette semaine. La Commission nationale du développement et de la réforme a récemment approuvé cinq projets de construction ferroviaire, ce que le Credit Suisse a qualifié de « mesure de stimulation mineure ». Dong Tao a fait savoir la semaine dernière dans un rapport succinct qu’il anticipait davantage de mesures de stimulation, notamment des projets de développement des énergies propres et des mesures destinées à réduire la pollution de l’air, du sol et de l’eau en Chine. Cependant, des mesures de stimulation budgétaire devraient uniquement permettre de stabiliser l’économie. « Cette administration a fixé des critères en matière de stimulation plus élevés que ceux de l’administration précédente et elle est également plus prudente vis-à-vis de la dette des gouvernements locaux, explique Dong Tao dans le rapport. C’est pourquoi les mesures de stimulation budgétaire devraient être mesurées et sélectives. »

La crise de la dette ne devrait pas dépasser les frontières chinoises

Les leaders chinois vont traverser quelques mois difficiles durant lesquels ils vont tenter de freiner le recours excessif du pays au crédit en tempérant l’activité économique. Les emprunteurs, quant à eux, espèrent ne pas être les premiers à faire les frais de la « leçon » du gouvernement. Mais qu’en est-il du reste du monde ? D’après le Credit Suisse, les turbulences qui devraient affecter la Chine et ses emprunteurs pendant quelques temps ne devraient pas nuire à l’économie mondiale outre mesure. La Chine est loin de peser autant sur la demande finale totale à l’échelle mondiale que l’Europe ou les Etats-Unis. Ces deux pays devraient connaître une croissance régulière cette année alors que la croissance du PIB mondial est estimée à 3,8%. Si la Chine était effectivement confrontée à une crise de la dette, celle-ci devrait donc rester cantonnée à ses frontières. Bien entendu, une probabilité n’a pas valeur de certitude, comme semblent le découvrir certains prêteurs chinois.

Ashley Kindergan , John Watling , Avril 2014

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