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Hausse de l’inflation aux Etats-Unis : Temporaire jusqu’à quand ?

L’inflation a fortement accéléré en avril aux Etats- Unis, essentiellement en raison d’effets de base et de régularisations de prix dues à la réouverture, qui ne devraient pas perdurer dans le temps. C’est le narratif sur lequel la Fed dit se baser pour son approche très patiente en termes de normalisation de la politique monétaire...

L’inflation a fortement accéléré en avril aux Etats- Unis, essentiellement en raison d’effets de base et de régularisations de prix dues à la réouverture, qui ne devraient pas perdurer dans le temps. C’est le narratif sur lequel la Fed dit se baser pour son approche très patiente en termes de normalisation de la politique monétaire. Toutefois, la perturbation des chaînes d’approvisionnement et les pénuries sur le marché du travail, si elles venaient à durer, pourraient changer la donne.

Les économistes et commentateurs ont été très surpris par les chiffres de prix à la consommation (CPI) du mois d’avril : L’inflation totale a progressé de 4,2 % sur les 12 derniers mois (plus haut niveau depuis septembre 2008) et l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) de 3 % (plus haut niveau depuis décembre 1995).

L’accélération de l’inflation dans les derniers chiffres provient globalement de trois facteurs :

  • Des effets de base liés à l’énergie. Pour rappel, la livraison de pétrole était passée en territoire négatif en avril 2020 et le rebond des prix du pétrole a propulsé le CPI energy à +25 % sur un an en avril, soit le plus haut niveau depuis 2008. Ici, c’est clairement un facteur transitoire, qui devrait s’estomper (lentement) à partir de juin (publication du chiffre en juillet).
  • Des régularisations de prix liées à la réouverture. Les prix des billets d’avion et des nuits d’hôtel qui avaient fortement chuté avec la pandémie, du fait de l’effondrement du nombre de déplacements, se normalisent avec la réouverture et contribuent donc à la hausse du core CPI. Ici, il y a encore un peu à attendre en termes de contribution à la hausse du core puisque les prix des billets d’avion étaient en avril encore inférieurs de 18 % par rapport à leurs niveaux de février 2020 (6% pour le prix des hôtels).
  • Des problèmes de goulets d’étranglement. L’élément le plus notable ici concerne la très forte hausse des prix des voitures d’occasion, à cause de la demande de rattrapage (pent-up demand) consécutive à la crise et de la baisse de la production ces derniers mois à cause des pénuries de semiconducteurs. Cette hausse des prix des voitures induit elle-même une hausse du prix des locations de voiture et de l’assurance automobile. Pour le moment, moins de la moitié de la hausse de l’indice Manheim du prix des véhicules d’occasion semble avoir été répercutée dans le CPI, ce qui indique que cela devrait contribuer davantage à la hausse du core CPI dans les prochains mois.

SELON TOUTE VRAISEMBLANCE, LES CHIFFRES D’INFLATION DE MAI (PUBLIÉS EN JUIN) SERONT UN PEU PLUS FORTS ET LE CORE CPI A ENCORE UNE MARGE DE PROGRESSION SUR LES MOIS À VENIR.

Pour le moment, les membres du FOMC considèrent que la hausse de l’inflation « reflète en large part des facteurs transitoires » et donc que cela justifie une approche très patiente en termes de retrait des politiques monétaires accommodantes : en clair, cela ne justifie pas de précipiter le ralentissement des achats de titres (le fameux « tapering »).

C’est cela qui constitue notre scénario central, avec une possible annonce dudit « tapering » lors de la conférence de Jackson Hole (26 au 28 août).

Le fond de la philosophie de la Fed, exprimé par Jerome Powell lors de la conférence de Jackson Hole 2020, est qu’après plusieurs décennies de déception sur l’inflation, celle-ci reste sceptique sur la matérialisation de taux d’inflation qui seraient supérieurs à 2 % de façon persistante.

Toutefois, certains développements récents incitent à ne pas exclure un scénario alternatif où l’inflation augmenterait plus que prévu, ce qui tirerait à la hausse les anticipations d’inflation et inciterait la Fed à durcir sa politique de façon bien plus rapide que prévu. Parmi les facteurs pouvant rendre l’inflation plus persistante, on trouve :

  • Le prix de l’essence. Depuis le mois de novembre, les prix de l’essence à la pompe augmentent de façon continue (au plus haut depuis 2014) et les effets de base liés à l’énergie pourraient se dissiper beaucoup moins rapidement que prévu.
  • Le prix des véhicules d’occasion. S’il semble raisonnable de faire l’hypothèse que les prix des véhicules d’occasion finiront par repartir à la baisse, les développements récents font état d’une poursuite de la hausse très rapide des prix sur les 15 premiers jours de mai… et les stocks des concessionnaires automobiles n’ont jamais été aussi bas. Plus les prix élevés persistent, plus il devient probable que cela se répercute sur le prix d’autres biens.
  • Les hausses de salaires. Il est de plus en plus manifeste que les entreprises ont du mal à recruter et plusieurs grands groupes ont annoncé une hausse des salaires d’entrée. En avril, le salaire moyen horaire des employés non-managers a augmenté de 0,8 %, c’est-à-dire un niveau qui n’a strictement jamais été observé entre le début des années 1980 et 2019. Randal Quarles, membre du Board de la Fed, a indiqué le 26 mai : « Il y a des pressions salariales ». Selon les secteurs, les hausses de salaire sont répercutées par les entreprises sur les prix finaux : dans l’indice de prix PCE (le déflateur de la consommation des ménages), les prix des services d’alimentation, secteur dans lequel les salaires ont augmenté récemment, étaient en augmentation de 4,6% en glissement annuel en avril, soit le chiffre le plus élevé depuis le début des années 1990.
  • Les loyers. La crise Covid a un impact très fort sur le marché immobilier. Certaines grandes villes telles que New York ou San Francisco ont initialement (et probablement de façon temporaire) perdu de la population, dont une partie est allée télétravailler en périphérie ou à la campagne. Cela y a fait fortement baisser les loyers mais avec la réouverture, ces derniers sont repartis fortement à la hausse. Le fait que les prix immobiliers aient eux-mêmes fortement augmenté devrait entraîner les loyers à moyen terme : le ratio prix immobiliers sur loyers se trouve ainsi au plus haut niveau depuis au moins 1975. Rappelons que les séries de loyers et d’équivalents loyers pour les propriétaires constituent le poste le plus important du panier de consommation.
  • L’utilisation de l’excès d’épargne. L’excès d’épargne sur 2020/2021 est supérieur à 2 400 Mds $ (soit plus de 10 % du PIB) et peut donner lieu à une demande pour les biens et services bien supérieure à l’offre que le secteur privé peut assumer, ce qui déboucherait sur des hausses de prix.

SI L’INFLATION VENAIT À ACCÉLÉRER PLUS QUE PRÉVU, LA VARIABLE À SURVEILLER SERA LES ANTICIPATIONS D’INFLATION,

Qu’il s’agisse des mesures de marché ou des mesures provenant d’enquêtes auprès des ménages ou des entreprises. La stabilité des anticipations d’inflation de long terme est en quelque sorte l’indicateur de la réussite de la stratégie d’Average Inflation Targeting (AIT) dévoilée par la Fed à l’été 2020. Lors de l’annonce de cet ajustement de stratégie2, Jerome Powell avait indiqué : « si des pressions inflationnistes venaient à se matérialiser ou si les anticipations d’inflation venaient à s’installer au-dessus des niveaux cohérents avec notre objectif, nous n’hésiterions pas à agir ». Cela signifie qu’un emballement des anticipations pousserait la Fed à durcir sa politique monétaire de façon précipitée, à arrêter rapidement ses achats d’actifs et à communiquer sur des hausses de taux directeurs à venir. Pour le moment, les enquêtes auprès des ménages révèlent que les anticipations d’inflation de moyen/long terme (Université du Michigan, Fed de New York) ont nettement rebondi sur les derniers mois mais qu’ils ne dépassent pas les niveaux de la dernière décennie.

Même si la hausse récente de l’inflation s’explique en bonne part par des phénomènes transitoires (effets de base, régularisations de prix liées à la réouverture), plusieurs développements (essence, persistance de perturbations d’approvisionnement pour les voitures, loyers, hausse de salaires dans certains secteurs) font qu’on ne peut exclure une hausse plus persistante de l’inflation. Cela pousserait la Fed à sortir de façon plus abrupte que prévu de ses politiques accommodantes.

UNE POLITIQUE D’ACHATS DE TITRES QUI NE PARAÎT PLUS ADAPTÉE À LA SITUATION

La Fed a répondu très énergiquement et très rapidement dès le début de la crise Covid, d’abord en achetant de très grandes quantités de titres du Trésor pour remédier à l’assèchement de la liquidité sur ce marché, puis en mettant en place des véhicules d’investissement (facilities) qui ont permis de stabiliser d’autres segments de marché (obligations corporate, commercial papers, etc). A partir de la mi-juin 2020, la Fed est revenue vers un rythme régulier d’achats de titres, de 120 Mds $ par mois (80 Mds $ de titres du Trésor et 40 Mds $ de MBS). Cela fait donc maintenant quasiment un an que la Fed achète de façon régulière des actifs, ce qui correspond à la durée pendant laquelle la Fed avait effectué son opération de QE3 à plein régime.

Concrètement, la Fed continue actuellement de créer de la monnaie banque centrale à plein régime à un moment où il devient de plus en plus manifeste que celle-ci est trop abondante : la pression baissière sur les taux courts est de plus en plus forte et les opérations de « reverse repo » (la Fed emprunte au jour le jour en déposant des titres du Trésor en collatéral) ont très fortement augmenté sur avril/mai. En clair, la Fed dépose en collatéral les titres du Trésor qu’elle vient d’acheter. Ainsi, la Fed inaugure un rôle « d’emprunteur en dernier ressort », pour capter l’excès de liquidité et éviter que les taux courts ne dérivent trop en deçà de la fourchette des fed funds. De plus, plusieurs grandes banques américaines encouragent désormais leurs clients corporate à retirer leurs dépôts chez elles et à se diriger vers des fonds monétaires pour des raisons réglementaires. Ainsi, la politique actuelle de QE pourrait avoir des conséquences négatives sur l’octroi de crédit bancaire.

Par ailleurs, de plus en plus de voix s’élèvent pour évoquer le fait que les achats de MBS seraient à l’origine au moins en partie de la montée extrêmement rapide des prix immobiliers, qui rendrait inaccessible pour beaucoup l’accès à la propriété. La Fed achète aujourd’hui environ la moitié des MBS arrivant sur le marché. Le président de la Fed de Dallas Robert Kaplan estime que les achats de MBS pourraient avoir des effets néfastes. Il n’est probablement pas le seul membre du FOMC à être embarrassé par ce type d’achats. Lorsqu’on lui a posé la question de savoir pourquoi la Fed achetait encore 40 Mds $ de MBS par mois alors que les prix immobiliers explosaient, le membre du Board Randal Quarles a paru embêté et a eu du mal à justifier…

Bastien Drut , Juin 2021

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