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Après les anticipations, place à la réalité...

Cette année 2020 avait pour le moment ceci de particulier qu’elle était plongée dans des anticipations, très violentes, d’une réalité à venir : la fin du monde en mars, le monde sauvé par les liquidités en avril, la reprise future en V puis en U puis en racine carrée puis en K, suivi par l’espoir d’un vaccin et la crainte de l’augmentation des disparités en tout genre avec, plus particulièrement sur l’univers obligataire, l’augmentation des défauts…

Pour le moment, il ne s’agissait que d’anticipations, comme savent si bien les produire les marchés financiers, et nous arrivons aujourd’hui dans le vif du sujet avec des différenciations majeures entre les entreprises, des opérations de rachat à bon compte à leur prémices, des tensions sociales croissantes mais également des évènements de crédit significatifs, dont la combinaison entre nombre et violence est assez rare avec, dans les quelques jours passés les restructurations annoncées d’Europcar, de Vallourec, l’appel au secours de l’association des aéroports européens, tous au bord de la faillite, la tentative de sauvetage de la compagnie Norwegian par une mise en faillite de deux filiales majeures, les restructurations de dette chez Hema ou Selecta, ou diverses propositions d’opérations d’ échanges ou de prolongation de dette à plus ou moins bon compte pour les créanciers.

Heureusement pour nous, la plupart des cas actuels étaient prévisibles et donc évitables car ils concernent des entreprises de secteurs dont la difficulté était évidente depuis plusieurs mois : tourisme, distribution, pétrole par exemple. Cependant, il est utile de les étudier car la crise actuelle pourrait maintenant infuser dans une partie du reste de l’économie et provoquer une hausse des difficultés et des restructurations significatives pour les deux ans à venir. Une bonne connaissance des cas actuels pourra donc être très utile pour éviter les prochains, voire au mieux, pour se positionner à bon escient en cas de réelle opportunité.

Voici donc quelques lignes sur le cas Europcar, le plus avancé et probablement le plus caractéristique de l’univers high yield, un autre cas comme Vallourec ayant de nombreuses spécificités non duplicables : intervention de l’Etat, actionnariat, syndicalisme, sujet social et politique, crise au long cours... Revenons donc sur le premier.

Si les détails finaux de la restructuration d’Europcar sont encore en cours de négociation, on peut déjà noter cinq éléments qui pourront être utiles dans les analyses de cas futurs :

1. Malheureusement, Europcar entamait déjà l’année 2020 sur des bases fragiles, avec d’un côté un actionnaire insatisfait, Eurazeo, qui cherchait à vendre depuis plusieurs années et de l’autre une dirigeante qui avait mené à grand frais et à coup d’endettement la politique de croissance et d’acquisition de l’entreprise, sans jamais parvenir à une rentabilité suffisante. Il est intéressant de noter que les entreprises qui subissent les crises de plein fouet sont toujours celles qui étaient justement en pleine tentative d’accélération après quelques années de marasme. C’était le cas de Saint-Gobain ou d’Alcatel-Lucent lors de la crise de 2008, c’est le cas de Europcar aujourd’hui. En effet, ces entreprises se retrouvent avec un levier fort, une organisation encore fragile car en pleine restructuration (une fusion ou des acquisitions mettent du temps à se digérer), une rentabilité et des cash-flows encore en phase de constitution. Ce n’est donc pas uniquement le secteur qui joue, mais également la stratégie de l’entreprise au moment de la crise. Ainsi le cas de Sixt, peu endetté et concentré depuis plusieurs années sur une stratégie organique premium, permet-il d’en témoigner.

2.Les créanciers devraient devenir propriétaires de l’entreprise. Ce sujet est important car il n’est pas forcément évident pour un investisseur obligataire traditionnel de détenir une position en actions. Il peut donc y avoir, post restructurations, des vendeurs forcés provoquant des baisses de cours à court terme. Il est donc préférable, pour un investisseur souhaitant se positionner sur de tels dossiers, d’avoir la latitude de détenir des actions. De même, il peut exister de fortes décotes sur les obligations lors de telles opérations, certains créanciers souhaitant se délester avant l’échange.

3. Les forces en présence autour de la table de négociation sont essentiellement quelques hedge-funds spécialisés qui ont racheté d’un côté près 60% de la dette du groupe, et de l’autre un autre bloc de créanciers détenant 670 millions d’euros de lignes de trésorerie achetées aux banques. On note ici que les négociations se réalisent entre quelques mains averties et qu’un petit investisseur obligataire non rôdé à ce genre de pratique et ne faisant pas partie du cercle restreint des ‘initiés’ pourra avoir du mal à s’y faire une place … au risque de se retrouver dans un corner, avec beaucoup moins de bénéfices que les premiers…

4. Phénomène assez habituel, les facilités de crédit bancaires sont seniors et ne sont pas concernées par la restructuration. Il est ici intéressant, voire majeur pour les futures analyses, de noter que les prêts garantis par les Etats espagnol et français mi-2020 ne seraient pas non plus concernés par l’accord. La question se posait il y a quelques mois du rang des prêts garantis dans l’échelle chirographaire des emprunteurs, il semblerait qu’ils puissent être seniors… Important à garder en tête pour des entreprises comme Air France qui ont bénéficié de plusieurs milliards d’euros de prêts garantis !

5. Enfin, plus anecdotique, nous nous étonnerons que les nouveaux actionnaires prévoient, a priori, de conserver le management post-restructuration, en particulier Madame Parot, dont la responsabilité semble significative dans la chute d’Europcar, la seule en Europe à l’heure actuelle, seulement quelques mois après le début de crise. Après des débuts chez Arthur Andersen (liquidée en 2010 à la suite de l’affaire Enron), un poste de direction financière chez Technicolor entre 2005 et 2009 (mis en procédure de sauvegarde en 2009), et cette nouvelle expérience à la fin désastreuse chez Europcar, on pourra en tant que créancier, suivre comme l’eau sur le feu les prochains employeurs de Madame Parot… C’est aussi cela l’analyse extra-financière !

De manière plus générale, qu’il s’agisse de macro ou de micro-économie, de politique internationale, d’évolution de qualité ou de rentabilité des actifs, l’année 2020 était finalement une année d’anticipation plus que de modification. D’un point de vue gestion financière, il s’agissait donc presque plus d’un travail sur les prévisions des anticipations de marché, de la volatilité et des flux que d’un travail fondamental qui peut être la norme dans un environnement stable. C’est maintenant que le travail sur le concret commence et que les choix réalisés au cours des précédentes semaines deviennent majeurs. Comme le dit notre confrère, Monsieur Didier Saint-Georges de Carmignac Gestion : « Paradoxalement, c’est maintenant que les choses deviennent plus compliquées pour les marchés ».

Matthieu Bailly , Novembre 2020

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