Surperformance des obligations périphériques : oui mais…

Les spreads souverains en zone euro baissent de façon quasi continue depuis l’été 2012. Cela s’explique à la fois par des raisons fondamentales et techniques. Après ce fort mouvement, il convient de se demander si la baisse des spreads n’a pas été trop loin.

Depuis l’été 2012 et la promesse de Mario Draghi de préserver la zone euro quel qu’en soit le prix, les obligations périphériques (Espagne, Irlande, Italie, Portugal) ont extrêmement bien performé. Les primes de risque se sont contractées quasi-continument depuis cette date.

L’annonce du programme OMT n’est pas le seul facteur ayant permis cela. On peut en citer d’autres. Tout d’abord, le deleveraging des banques en Espagne, en Italie et au Portugal les a incitées à acheter des obligations souveraines de leur propre pays : certains n’hésitent pas à évoquer le concept de répression financière et des pressions des autorités afin qu’elles acquièrent ces obligations. La part des obligations souveraines dans les bilans bancaires a augmenté fortement depuis la fin de l’année 2011.

Des opérations de portage financées par les LTRO à 3 ans proposés par la BCE ont contribué à restaurer la profitabilité des banques. Par ailleurs, prenant acte de la très faible remontée des taux allemands, de nombreux investisseurs sont « revenus » sur les obligations périphériques pour réaliser, eux aussi, des opérations de portage : le taux de détention de la dette espagnole par les non-résidents est reparti à la hausse dernièrement (de 33 % en août à 39,5 % en décembre 2013). Enfin, une bonne part des flux sortant des pays émergents se sont déversés sur les obligations espagnoles, irlandaises, italiennes et portugaises.

Des facteurs de soutien encore présents sur 2014

Les facteurs techniques soutenant les obligations périphériques ne sont manifestement pas près de s’arrêter (les banques du sud de l’Europe n’ont pas terminé leur deleveraging et les taux allemands mettront beaucoup de temps à remonter). Certains pays n’ont jamais emprunté à des taux aussi bas.
Ainsi, le 27 février, l’Italie a emprunté 3 Mds € à 5 ans à 2,14 %, soit un taux historiquement bas. Le 20 mars, l’Espagne a, elle, émis à 5 ans à un taux inférieur à 2 % pour la première fois de l’histoire. Les écarts de taux périphériques ont beaucoup plus baissé sur les maturités courtes et il est désormais beaucoup plus intéressant de se positionner sur la maturité 5 ans (la baisse des écarts de taux 5 ans a récemment accéléré par rapport aux écarts de taux 10 ans).
Toutefois, avec la très forte baisse des primes de risque depuis l’été 2012, il convient de s’interroger sur la valorisation actuelle de ces obligations.

L’inflation basse, menace pour la soutenabilité de la dette

Tout d’abord, la perspective d’une inflation très basse en zone euro sur les prochaines années (la BCE prévoit une inflation de 1 % en 2014, 1,3 % en 2015 et 1,5 % en 2016…) est une mauvaise nouvelle en ce qui concerne l’évolution de la dette publique des pays périphériques. Trois chercheurs du FMI ont récemment rappelé (R. Moghadam, R. Téja et P. Berkmen « Euro area – ‘Deflation’ versus ‘Lowflation’ », 4 mars 2014) qu’une inflation plus faible que la normale, sans nécessairement parler de déflation, constitue un problème car cela implique une plus forte valeur réelle de la dette et des taux réels.
L’inflation basse est une menace pour la soutenabilité des dettes publiques. La baisse de l’inflation ces derniers mois a fait sensiblement augmenter les taux réels. Les écarts de taux réels (tels que mesurés par la différence entre le taux nominal 10 ans et l’inflation) entre l’Italie et l’Espagne d’une part et l’Allemagne d’autre part est resté relativement stable sur les 12 derniers mois.

Divergences des trajectoires de dette publique

Depuis la création de la zone euro, les écarts de taux nominaux entre les différents pays de la zone et l’Allemagne s’expliquent relativement bien par quelques variables fondamentales : le ratio dette publique sur PIB et la capacité des pays à stabiliser celui-ci. L’incertitude macroéconomique (mesurée, par exemple, par l’écart-type des prévisions de croissance) est également un facteur à prendre en compte pour expliquer les écarts de taux : moins la visibilité sur les perspectives économiques est forte, plus les investisseurs réclament des primes de risque élevées. Toutefois, si la réduction de l’incertitude économique depuis l’annonce des programmes OMT par la BCE en 2012 a bien contribué à faire baisser les spreads souverains, celle-ci a depuis peu retrouvé ses niveaux moyens d’avant la crise et ne devrait plus baisser désormais. L’évolution relative, actuelle et future, de la dette publique des pays de la zone euro par rapport à celle de l’Allemagne est plutôt défavorable. Selon les dernières prévisions de la Commission Européenne (CE), le ratio dette sur PIB de l’Allemagne baissera de 79,6 % en 2013 à 74,5 % en 2015 alors qu’il continuera à augmenter franchement en France (de 93,9 % à 97,7 %), en Finlande (de 57,1 % à 62 %) et surtout en Espagne (de 94,3 % à 103,3 %). La CE prévoit qu’il restera à peu près stable en Italie (132,4 % en 2015) et en Belgique (100 % en 2015). Sur les années à venir, la tendance sera à l’élargissement de l’écart de ratio sur PIB entre les différents pays de la zone euro et l’Allemagne. Un modèle économétrique prenant en compte le ratio dette sur PIB, son évolution anticipée (en utilisant un historique des prévisions de la CE) et l’incertitude macroéconomique indique que l’écart de taux 10 ans actuel entre l’Espagne et l’Allemagne est déjà trop faible par rapport aux fondamentaux. En revanche, l’écart de taux 10 ans entre l’Italie et la France d’une part et l’Allemagne d’autre part est à peu près en ligne avec les fondamentaux.

La prudence est de mise pour les investissements à horizon long

Plusieurs facteurs (environnement de taux bas, deleveraging bancaire, amélioration de la perception vis-à-vis de la croissance) soutiendront la baisse des primes de risque de crédit des pays périphériques en 2014. Les maturités comprises entre le 2 ans (l’écart de taux a déjà très fortement baissé) et le 10 ans (trop éloigné de la zone 1 an – 3 ans ciblée par les OMT de la BCE) seront les principales bénéficiaires de ce mouvement. Toutefois, la prudence est de mise pour les investissements à horizon long car les primes de risque de crédit ont déjà beaucoup baissé, trop pour certains pays (Espagne). Même si l’évolution des fondamentaux, et en particulier de la dette publique, a été mise au second plan depuis quelques trimestres, ce serait une grosse erreur de considérer qu’elle ne jouera plus de rôle dans l’évolution des taux européens dans les années à venir

Bastien Drut , Avril 2014

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