Stérilisation de la masse monétaire et retour de l’inflation

Point sur l’efficacité des mesures BCE : La stérilisation de la masse monétaire par la BCE sera impossible et le retour de la véritable inflation est inévitable.

APRES LES LTRO ET LES SMP, VOICI VENU LE TEMPS DES OMT

On se souvient des LTRO (pour Long Term Refinancing Operations) de décembre 2011 et janvier 2012. Il s’agissait d’allocation de liquidité à moyen terme (3 ans exactement) prêtée aux banques par la BCE. En pratique, cette liquidité a été stockée à la banque centrale ou utilisée à financer les dettes publiques. Cet état de fait ne pouvait qu’aggraver la crise en accentuant la corrélation entre le risque bancaire et le risque souverain

On se souvient également des SMP (pour Securities Market Program) qui ont consisté pour la BCE à acheter de la dette grecque à partir de mai 2010, de la dette irlandaise à partir de novembre 2010, de la dette portugaise à partir de mai 2011 et surtout de la dette espagnole et italienne durant l’été 2011. Chacun sait que les effets de telles mesures ont été faiblement efficaces pour plusieurs raisons : pas de conditionnalité des programmes d’achats à une stricte discipline budgétaire et fiscale des États secourus ; programmes limités en montants et dans le temps, donc insuffisants pour enrayer la spéculation des marchés.

Depuis le conseil de la BCE de début septembre, nous avons découvert les OMT (pour Outright Monetary Transactions)

La plupart des économistes de même que les marchés ont applaudi en soulignant que ces nouvelles mesures éviteraient les travers des mesures non conventionnelles du passé

- Une plus grande efficacité que les SMP du passé puisqu’il n’a pas été fixé de limite quantitative à l’achat d’obligations d’État (juste une limite de maturité résiduelle maximale de 3 ans pour les titres achetés)

- En apparence, la fameuse corrélation entre risque bancaire et risque souverain (et partant les risques systémiques qui en découlent) est éliminée puisque les obligations d’États en difficulté seront souscrites directement par la BCE. La réalité sera cependant plus complexe.

- Concession faite à l’Allemagne, la mise en place des OMT sera conditionnée à la mise en place de programmes d’ajustement « rigoureux » par les pays bénéficiaire.

- Et puis, afin de satisfaire également le camp monétariste orthodoxe au sein de l’institut d’émission, les opérations effectuées seront stérilisées. Cela veut dire qu’officiellement la BCE va reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre. Ainsi toute la monnaie banque centrale émise pour acheter les dettes périphériques de la zone Euro est et sera reprise pour que la masse monétaire ne progresse pas. On va voir que ceci sera difficile à mettre en oeuvre

ALORS DOIT-ON CROIRE A L’EFFICACITE DES OMT ?

En fait, deux problèmes nous inquiètent déjà

1. A propos de la corrélation risque bancaire - risque souverain.

Nous allons assister à un vrai transfert de risques puisque la BCE, afin de rassurer les marchés, a pris le risque absurde de renoncer à son statut de créancier sénior et ne pourra donc plus faire supporter les premières pertes potentielles sur titres d’état aux investisseurs dits « normaux ».
Mory Doré

Imaginons un instant que la BCE essuie des pertes en capital importantes (certes latentes) suite à des dépréciations de papiers souverains achetés, cela signifie alors que les États de la Zone euro devraient recapitaliser la BCE à hauteur de leurs poids respectifs dans le capital de la Banque centrale… Comble du ridicule, c’est cette même Banque centrale venue au secours de certains États qui devrait être « aidée » à son tour par ceux-ci au prorata de leur importance. La corrélation des risques a tout simplement changé de nature puisque l’on va désormais devoir gérer une corrélation des risques Banque centrale – États périphériques.

Décidément sans croissance, on a rien trouvé de mieux que d’acheter du temps ou de transférer les risques.

2. A propos de la stérilisation totale, nous pensons que celle-ci est techniquement, financièrement voire politiquement impossible

Nous pouvons recenser 4 à 5 techniques pour réduire ou en tout cas neutraliser la liquidité bancaire pour une banque centrale

- le reverse repo : la Banque centrale met en repo des actifs auprès des banques, ce qui réduit la liquidité bancaire. C’est l’inverse de la « prise en pension » classique car ici c’est la banque centrale qui rend aux banques les titres collatéralisés contre remboursement de liquidités. Il paraît difficile d’imaginer les banques reprendre à la BCE les collatéraux apportés depuis plusieurs années et renoncer ainsi à une liquidité abondante et moins chère que la ressource levée directement sur le marché. Exit donc cette première solution au moment ou justement la BCE assouplit de plus en plus les critères d’éligibilité des collatéraux-titres qu’elle accepte.

- ventes d’actifs pour récupérer de la monnaie, en particulier ceux achetés pendant certaines phases de fort stress sur les marchés (par exemple les covered bonds ou obligations sécurisées). Pourquoi pas ? Mais pour quelle efficacité ? En effet, d’un point de vue systémique, il ne servirait à rien de faciliter le financement des déficits espagnol et italien en rendant plus difficiles les conditions de refinancement de certaines banques et leur accès au marché de la dette dite sécurisée.

- émissions de titres par la Banque centrale elle-même ou mise en place compte à terme ou dépôts à terme. C’est une technique simple mais efficace à condition d’offrir aux banques du papier BCE un peu mieux rémunéré que le taux plancher de 0% et le niveau de 0.10% de l’Eonia actuel. Cela revient implicitement à donner au marché monétaire un signal de remontée des taux courts, ce qui n’envisagera pas de faire la banque centrale.

- rémunération plus élevée des réserves des banques, ce qui ne réduit pas la liquidité des banques mais la maintient placée à la Banque Centrale. Les banques commerciales sont tenues de mettre à la BCE 1% de leurs encours de dépôts à court terme (les fameuses réserves obligatoires). Ces montants ne sont donc pas utilisés pour financer l’économie ou acheter des actifs financiers et permettent de contrôler la masse monétaire en circulation. Si ces dépôts sont mieux rémunérés, les banques pourraient alors être tentées de constituer des réserves supplémentaires. Mais comme nous le disions plus haut, on n’imagine pas un seul instant la BCE remonter le bas de la fourchette des taux directeurs (ramené à 0% le 05/07/2012)

- Moins évoqué mais traditionnellement utilisé par une banque centrale en période de fonctionnement normal du marché interbancaire, le fait tout simplement de ne pas renouveler pour le même montant les financements hebdomadaires obtenus par les banques lors des appels d’offres normaux contre mises en pensions (ce qui reviendrait à retirer de la liquidité). Le problème, c’est qu’il y a bien longtemps que les marchés interbancaires ne fonctionnent plus normalement (depuis le 9 août 2007 précisément, jour historique ou certains OPCVM monétaires dits dynamiques ne pouvaient plus rendre la liquidité à leurs investisseurs). Certes il y eut depuis une forte variabilité de ces dysfonctionnements de marché. Un très bon indicateur de cette situation est l’écart entre l’Euribor 3 mois (Euro Interbank Offered Rate ou taux auquel se prêtent les banques entre elles) et le swap 3 mois contre Eonia (Euro Overnight Index Average ou taux de rémunération des dépôts).

Plus cet écart ou spread est élevé, plus cela traduit des conditions de liquidité tendues. En effet, les évolutions du “swap 3 mois Eonia” (instrument dérivé de hors bilan) ne dépendent pas de la situation de liquidité des banques alors qu’au contraire le niveau de l’Euribor 3 mois est lié à l’offre et à la demande sur les échanges interbancaires à 3 mois. Donc plus la crise de liquidité gagne en intensité plus les tensions seront fortes sur le taux interbancaire Euribor. Il est vrai que le niveau actuellement très faible de cet écart traduit une situation d’accalmie réelle sur le marché interbancaire. Mais il faut savoir rester vigilant.

NOUS ALLONS (RE)DECOUVRIR UNE PERIODE DE FORTE INFLATION.

Au total nous pensons donc que la stérilisation massive est impossible et contradictoire avec tout le dispositif d’assouplissement de la BCE. La masse monétaire explosera donc en zone euro et nous rentrerons tôt ou tard dans une véritable période de risques inflationnistes forts . Bien entendu, on entend souvent dire que l’inflation ne pourra véritablement revenir en Occident. Les arguments mis en avant sont les suivants :

Si le culte des actions est en train de mourir, celui de l’inflation ne fait que commencer !

Selon Bill Gross, Patron et Gérant de Pimco, les investisseurs doivent s’attendre à la mise en place de solution inflationniste dans la quasi-totalité des économies développées pour les années et les décennies à venir.

  1. les taux de chômage sont trop élevés en Occident et il existe encore des surcapacités de production partout dans le monde ;
  2. l’accroissement de la masse monétaire ne sert pas à acheter en masse des biens et services mais favorise plutôt les bulles d’actifs financiers ou les réserves de liquidité des banques commerciales. Donc pas de risque de hausse des prix dans la sphère réelle de l’économie

Certes ces arguments sont vrais aujourd’hui mais ne le seront plus demain. Il faut anticiper des changements économiques forts

1. On est souvent surpris par le fait que l’importante création monétaire mondiale ne se soit pas déjà transformée en inflation. Cet excès de liquidités se transformera pourtant en inflation lorsque les tensions sur les capacités de production seront généralisées dans les économies émergentes : insuffisance de main d’oeuvre qualifiée ; ralentissement des gains de productivité ; hausse des coûts salariaux. Cette nouvelle situation macroéconomique dans les années futures transmettra inévitablement de l’inflation dans les économies occidentales

2. Même si le retour de la vraie inflation n’est pas pour tout de suite, il faut anticiper dès à présent sur les marchés financiers les tendances

  • poursuite de la surperformance des actifs réels et tangibles sur les actifs financiers ;
  • dépréciation forte du taux de change des pays menant des politiques monétaires exagérément expansionnistes (ce qui signifie une baisse du dollar et de l’euro par exemple contre certaines devises émergentes ou commodities)
  • transformation des dépôts bancaires en actifs réels, donc une fuite des dépôts cette fois-ci pas forcément due à la méfiance vis à vis des banques mais due à la peur de la perte de pouvoir d’achat de la monnaie consécutive à la forte hausse des masses monétaires

Mory Doré , Septembre 2012

Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés