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Opinion
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Le marché obligataire de la dette publique est-il en train de progressivement disparaitre ? On évoque de plus en plus la disparition progressive du market-making sur emprunts d’état avec l’évolution des contraintes réglementaires qui pèsent sur les activités de trading des banques de financement et d’investissement...
Le marché obligataire de la dette publique est-il en train de progressivement disparaitre ? On évoque de plus en plus la disparition progressive du market-making sur emprunts d’état avec l’évolution des contraintes réglementaires qui pèsent sur les activités de trading des banques de financement et d’investissement. Mais l’essentiel n’est pas là et il faut considérer avec la plus grande attention l’institutionnalisation des mesures non conventionnelles des banques centrales (les QE pour quantitative easing entre autres mesures).
Les QE suppriment la dette non pas en stock mais en intérêts. De toute façon, émetteurs et investisseurs se fichent de la dette du point de vue du stock de capital puisque ces obligations in fine (le capital est remboursé à échéance en une seule fois) sont remboursées par de nouvelles émissions.
En revanche, les QE conduisent à une annulation des intérêts sur les dettes rachetées : en effet, les banques centrales reversent leurs profits aux États. Si une banque centrale achète la dette publique de son pays, l’État lui verse les intérêts correspondants ; puis en reversant ses bénéfices annuels, la Banque Centrale reversera ces intérêts à l’Etat. La dette publique achetée est donc en réalité annulée.
Peut-être que nous sommes en train d’assister à un appauvrissement considérable d’un point de vue académique de l’économie des marchés financiers.
En effet, nous vivons un phénomène nouveau : un transfert de risque progressif des banques vers la banque centrale. La vraie question aujourd’hui devient : une banque centrale peut faire faillite ? En principe, une banque centrale ne peut théoriquement pas faire défaut
Ce pouvoir en apparence infini se heurte cependant à deux limites : les risques d’hyperinflation d’une part ; la doctrine de la BCE d’autre part.
Première limite. La monnaie papier créée par une banque centrale est fiduciaire, n’est garantie par rien. La valeur de la monnaie repose donc sur la confiance des épargnants en la capacité de banque centrale à préserver le pouvoir d’achat de cette monnaie. Seule une forte inflation peut faire perdre de sa valeur à la monnaie papier. Nous avons tous appris que la forte création monétaire ne pouvait que produire de fortes tensions inflationnistes. Or aujourd’hui, ces tensions n’existent en aucun cas sur le marché des biens et services pour des raisons désormais bien connues : surcapacités de production ; taux de chômage élevés empêchant tout emballement de la demande et limitant le pouvoir de négociation pour obtenir des augmentations de salaires ; croissance du bilan des banques centrales et donc de la liquidité du système bancaire qui ne finance que très partiellement l’économie réelle et limite donc tout risque inflationniste. Par contre, une partie importante de cette surliquidité s’est depuis plus de 6 ans (date du début des QE massifs des banques centrales) investie sur les marchés financiers provoquant des bulles d’actifs qui ne crèvent pas compte tenu de la difficulté pour les banques centrales de reprendre cette liquidité. La forte création monétaire génère donc aujourd’hui une inflation des actifs financiers et non des biens et services (l’inflation des actifs ne faisant pas partie des objectifs des banques centrales, celles-ci maintiennent alors des politiques monétaires dangereuses car inutilement accommodantes). Il n’est plus tabou de critiquer justement le caractère extraordinairement accommodant des politiques monétaires et vous pouvez lire aujourd’hui nombre de chroniques ou entendre nombre d’avertissements d’experts sur les dangers d’un monde de taux très bas : spéculation et prise de risque excessive, absence de rémunération de l’épargne, instabilité de secteurs très systémiques : banques, assureurs,…
En tout cas, pour l’heure, le risque d’inflation traditionnelle est encore trop lointain pour que les investisseurs cherchent à le couvrir et pour qu’ils s’en préoccupent dans leur allocation d’actifs. Ce n’est que lorsque les marchés financiers (au travers des produits dérivés indexés sur l’inflation) intégreront des anticipations d’inflation très nettes qu’il faudra envisager de se protéger.
Seconde limite. La doctrine de la BCE sur la situation d’une banque centrale nationale (BCN) en termes de fonds propres a été clairement affirmée : « il convient d’éviter toute situation dans laquelle le capital de la BCN serait inférieur au niveau de son capital statutaire, voire négatif, pendant une période prolongée, en particulier lorsque les pertes dépassant le niveau du capital et les réserves, sont reportées. Pareille situation (…) pourrait en outre entacher la crédibilité de la politique monétaire de l’Eurosystème. Aussi, dans l’éventualité où le capital de la BCN devenait inférieur à son capital statutaire, voire négatif, l’État membre concerné serait tenu de pourvoir la BCN des fonds nécessaires (de telle sorte que son capital soit au moins égal à son capital statutaire) dans un délai raisonnable afin de respecter le principe d’indépendance financière. »
Ainsi si d’aventure (même si la probabilité a fortement chuté ces dernières heures) la Grèce devait faire défaut, les conséquences sur la BCE et donc sur les banques centrales qui composent son capital, seraient importantes compte tenu des expositions de l’institut d’émission sur l’Etat grec et les banques grecques
Alors même si les banques centrales ne sont pas dans l’obligation réglementaire de se recapitaliser suite à des pertes, on ne peut ignorer l’importance des engagements de la BCE et des BCN sur la Grèce.
Les crises financières futures en zone Euro ne peuvent plus ressembler à celles du passé (crise bancaire systémique moins probable avec les évolutions prudentielles, crise dette souveraine également moins probable avec la monétisation des dettes publiques par la BCE … Il y aura sans doute comme pour la FED entre 2009 et 2012 des QE2 voire QE3..). La seule crise financière qui peut survenir en zone Euro est une crise de la banque centrale avec l’arrivée de l’hyperinflation et la fuite devant la monnaie. Nous sommes donc rassurés à court terme mais très inquiets à long terme (au-delà de 5 ans surtout en présence d’événements géopolitiques qui pourraient être le catalyseur du retour de l’inflation).
Mory Doré , Juillet 2015
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