Quelques pistes de réflexion pour l’année obligataire 2022

Alors que les dindes commencent à s’inquiéter, que les lutins s’activent et que les cotillons sont sur les starting blocks, les marchés financiers commencent, eux, à ranger leurs armes pour la traditionnelle trêve des confiseurs après une année durant laquelle la plupart des catégories d’actifs ont réalisé des performances significatives...

Alors que les dindes commencent à s’inquiéter, que les lutins s’activent et que les cotillons sont sur les starting blocks, les marchés financiers commencent, eux, à ranger leurs armes pour la traditionnelle trêve des confiseurs après une année durant laquelle la plupart des catégories d’actifs ont réalisé des performances significatives, mais durant laquelle aussi tout écart de conduite pouvait amener un gérant à perdre définitivement la bataille de la performance relative.

Ainsi a-t-on vu, sur les marchés de crédit, pour des fonds aux stratégies comparables, des performances entre -1% et 5 à 6% en fonction des prises de positions des gérants ; quelques exemples :

  • comme souvent les chantres de la hausse des taux n’ont eu raison que quelques semaines pour ensuite sombrer dans les abysses du Bund
  • les Cassandre n’ont eu que quelques journées d’espoir, dont une le 26 novembre, mais ont aussi perdu sur la longueur
  • les sinophiles, oubliant trop la primauté du politique dans l’Empire du Milieu pour un rendement initialement médiocre, ont été durement rappelés à l’ordre et pourraient bien avoir encore quelques sueurs en cette fin d’année

Et les pièges étaient encore nombreux : FED, Adler, écartement italien, Turquie, mouvements de change, tentative de LBO sur l’émetteur le plus important en taille des indices high yield européens Telecom Italia…

Bref… alors que l’an passé avait vu des écarts absolus gigantesques au cours de l’année mais avait laissé la plupart des gérants dans un mouchoir de poche en fin d’année au regard de la volatilité, cette année aura été quasi-opposée : des performances entre catégories et fonds crédits très hétérogènes au regard d’une volatilité globale très contenue

Alors que la fébrilité reste prégnante et que les mouvements de taux et de spreads peuvent être, sinon d’ampleur majeure, du moins rapides et relativement significatifs vis-à-vis du niveau de portage actuel, il est donc préférable de profiter de ces moments de calme pour anticiper dès à présent les sujets, les drivers et les grandes tendances qui pourraient se dégager sur 2022, voire dès les premiers jours de janvier. Si nous n’y répondrons pas dès à présent et réserverons nos scénarios et allocations finales pour notre présentation du 6 janvier, nous suggérerons dans ce dernier hebdo de l’année quelques lignes directrices :

1. Le consensus du marché est à la hausse des taux, attention donc au risque de duration. Bien que nous restions convaincus que les taux européens ne peuvent grimper significativement à moyen terme, ils pourraient cependant augmenter de quelques dizaines de points de base dès le début d’année, dans le sillage :

  • Des taux américains, en début de phase plus restrictive de la FED
  • D’un discours plus prudent de la BCE sur l’inflation et sa politique
  • De chiffres économiques et d’inflation restant élevés
  • D’un consensus de marché qui crée souvent un phénomène autoréalisateur à court terme, bien que non durable.

Ainsi, alors que nous avons eu jusqu’à 25% de futures sur les taux souverains longs dans les portefeuilles au cours de l’année 2021, portant la duration de notre fonds le plus flexible à près de 5, nous avons cédé nos dernières positions récemment pour ne conserver que la duration ‘pure’ de notre portefeuille d’obligations corporates, dont le risque ‘taux’ est quasi nul avec une duration inférieure à 2, composée essentiellement de risque crédit.

2. Une séquence de hausse de taux comparable à celle de septembre provoquerait probablement une phase conséquente d’illiquidité sur le marché obligataire et d’écartement modéré des spreads. Celle-ci sera source d’opportunités, surtout dans un début d’année propice à un marché primaire abondant. Il faut donc pour cela conserver une part de trésorerie ou de titres courts, la dernière décade de l’année n’apportant pas forcément de complément de performance significatif.

3. Un écartement du spread entre taux américains et taux européens : l’ensemble des facteurs économiques, financiers et monétaires militent pour une hausse des taux bien supérieure aux USA qu’en Eurozone, comme cela s’était déjà produit au cours de la décennie 2010. Cet écartement pourrait poursuivre la tendance de renforcement du dollar et il pourra être opportun d’acquérir dans un portefeuille des obligations américaines à taux variables et non couvertes du risque de change.

4. Dans la perspective d’un ralentissement très progressif, ou du moins d’une tentative de ralentissement de la politique accommodante de la BCE : un écartement des primes de crédit entre les pays lourdement endettés et au déficit budgétaire élevé (besoin de nouvelles émissions) mais faiblement pondérés dans le bilan de la BCE et les pays core. Ainsi, si nous avons depuis longtemps investi sur le resserrement Italie/Allemagne, profitant qui plus est du portage positif, nous avons clôturé cette position pour les semaines à venir.

5. Stress sur les actifs risqués : on a souvent vu planer, en filigrane du risque inflationniste, le risque de krack obligataire dans les papiers d’analyse récents. N’oublions pas ici que les actifs risqués, actions en tête n’ont de telles valorisations que parce que beaucoup d’investisseurs sont inquiets du marché obligataire et ne trouvent de rendement suffisant que dans les dividendes actions, portant les rendements boursiers et donc les valorisations à leurs niveaux actuels. Une remontée des taux jouerait très vite sur les marchés actions, et c’est ce qu’on pourrait observer aux USA en 2022, avec, comme toujours, un effet sympathie en Eurozone, bien que les équilibres fondamentaux soient bien différents à moyen terme. Si le high yield pourrait également subir quelques à-coups, nous noterons que :

  • Les sociétés les plus valorisées en bourse ne sont pas les mêmes que les émetteurs high yield
  • Les investisseurs institutionnels deviennent, depuis quelques années, un acteur important du marché high yield, offrant une source de stabilité à un marché plus liquide qu’il ne l’était dans la décennie 2010
  • N’oublions pas enfin que les banques centrales ont pour premier objectif de maintenir une certaine stabilité systémique et que chaque stress du passé les a vues intervenir dans le sens des marchés financiers. On peut donc imaginer qu’un stress trop important sur les actifs risqués provoquerait une réaction de leur part… Et sur quels actifs les banques centrales occidentales agissent-elles en premier lieu ? Les obligations souveraines puis corporates…

6. L’évènementiel corporate : la capacité des grands fonds de private equity (cf. l’offre de KKR sur Telecom Italia), le levier de certains pans de l’économie (cf. Adler dans l’immobilier) sont deux exemples de facteurs propres à créer des scenarios événementiels fréquents et de grande ampleur sur les obligations corporates. Quand on sait que l’essentiel du taux de portage et/ou de la performance des portefeuilles obligataires de 2021 et de 2022 était et sera issu du crédit, il sera important d’aller en profondeur dans l’analyse des sociétés, oubliant les ratings d’agences, souvent en retard et procycliques, et d’écouter avec assiduité chaque communication d’entreprise et chaque nuance dans les discours de leurs dirigeants. Dans ce contexte, et comme nous l’évoquions dans notre hebdo du 26/11/2021 sur le cas Telecom Italia, nous préférons largement les obligations aux rendements élevés dont le risque s’est déjà matérialisé plutôt que la masse obligataire au risque faible mais au rapport rendement risque quasi nul, voire négatif… Ainsi, nous avons cette année préféré à Air France ou Autostrade à Telecom Italia.

En résumé, nous considérons que l’année 2022, bien que plus avancée dans les différents cycles économique, financier et monétaire, pourrait, pour les marchés de crédit, ressembler à 2021 tant les banques centrales ont anticipé le sujet du tapering et de la réduction des programmes d’achat en amont. Ainsi, des à-coups ont déjà eu lieu sur les taux souverains en 2021 et leur ressembleront en 2022 car, non, le Bund à 10 ans ne remontera pas à 2% ; les niveaux de rendement moyens des obligations corporates sont tout à fait comparables à ce qu’ils étaient en début d’année, voire légèrement supérieurs, bien que différemment répartis, la recherche de rendement des investisseurs est toujours une constante du marché et les banques centrales ne lâcheront pas les rênes du système en 2022.

Le discours du jeudi 15 décembre en était d’ailleurs un signe avant-coureur assez flagrant : malgré une inflation bondissant à des niveaux historiques, la BCE a doublé ses achats d’actifs ces dernières semaines pour éviter une transition trop brutale de sortie de politique accommodante… On aurait bien du mal à faire un parallèle de comportement censé dans la vie quotidienne : Réaccélérer un petit coup quand on annonce qu’on va freiner pour éviter que le coup de frein ne soit trop brutal ? Et nous ne parlerons pas des réductions de certains programmes d’achats comme le PEPP pour l’affichage pour ré-augmenter d’autres programmes comme l’APP, ce qui revient in fine à toujours injecter quantité de liquidités… Bref… Madame Lagarde et Monsieur Powell viennent de clôturer l’année en offrant confiance et apaisement aux investisseurs que nous sommes… Un gouverneur pourra-t-il un jour assumer le rôle du Père Fouettard plutôt que celui du Père Noël ?

Matthieu Bailly , Décembre 2021

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