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Opinion
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Après une période d’expérimentation qui, pour les banques centrales, a duré pendant 14 ans, Jerome Powell et Christine Lagarde préparent les marchés financiers à une phase de désintoxication. Elle leur permettra de recouvrer la santé et, en l’occurrence, d’appliquer aux cash flows futurs des entreprises, privées et publiques, un taux d’actualisation raisonnable...
Que l’inflation ait déjà ou non atteint son pic, l’hypothèse d’un retour à la normale paraît la plus plausible.
L’extrapolation compte probablement au nombre des erreurs les plus fréquentes commises par les personnes actives sur les marchés financiers. Les prévisions par exemple sont effectuées à partir de l’observation de données économiques dont le comportement est projeté et extrapolé vers le futur. L’opinion selon laquelle l’inflation va rester à un niveau trop élevé, soit bien au-dessus de 4%, gagne du terrain, mais c’est négliger le fait que le retour à la moyenne n’est jamais bien loin. A un horizon de 12 à 36 mois, l’hypothèse d’un retour à la normale paraît plus plausible que celle d’une remontée de l’inflation. Toute extrapolation étant extrêmement subjective, et alors que l’inflation se situe à un niveau jamais atteint depuis une génération, examinons les données économiques, les attentes des marchés et l’évolution de la volatilité implicite dans le but de rendre la prise de décision aussi objective que possible. A 8,4% le 12 avril dernier, l’indice américain des prix à la consommation pourrait avoir atteint un pic.
Que disent les indicateurs économiques ?
L’inflation est calculée pour l’essentiel à partir des prix dans les domaines du transport, de l’alimentation, de l’énergie, du logement et de l’ameublement, des services publics et des loisirs (culture, restaurants et hôtels). Dans le secteur du commerce transpacifique, l’indice mondial Shanghai to Los Angeles Container Freight qui avait atteint un sommet de 12.424 dollars en septembre 2021, clôturait à 8.824 dollars il y a deux semaines. Quant à l’indice des prix pour le transport maritime de vrac sec, le Baltic Dry Index, qui avait enregistré un pic à 5.650 en octobre 2021, il est retombé à 2.055 il y a 15 jours. L’indice américain des véhicules d’occasion affichait une progression annuelle de 41,2% à fin février 2022, laquelle est retombée fin mars.
Dans le secteur de l’énergie, sur le marché du pétrole WTI, le contrat de mai a clôturé à 98,26 dollars, après avoir bondi de 91 dollars le 24 février 2022 à 123,7 dollars le 8 mars dernier. L’intensité de l’activité de couverture des producteurs est donc en passe de l’emporter sur les spéculations à la hausse. Il en va de même pour le gaz naturel. L’indice Dutch TTF pour le prix spot du gaz a clôturé à 107,50 euros/MWh alors qu’il avait vu son pic de décembre dernier (173 euros) largement dépassé. Il a en effet bondi jusqu’à 212 euros à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Or sa moyenne à long terme se situe entre 15 et 20 euros. Il est évident que les risques liés à l’approvisionnement en gaz sont élevés et que les perspectives d’une trêve temporaire ou de véritables négociations entre la Russie et l’Ukraine paraissent encore lointaines. Cependant, sur le plan militaire le front s’étant déplacé vers l’est et le sud-est de l’Ukraine, la probabilité que le pic d’intensité du conflit soit dorénavant dépassé a augmenté il y a 15 jours.
Cette tragédie devrait trouver une issue d’ici cet été. Et seule une extension du conflit au-delà des frontières de l’Ukraine serait susceptible d’entraîner un nouveau rebond des prix du gaz et du pétrole.
L’indice NAHB, qui mesure la confiance des constructeurs immobiliers américains, est ressorti à 79 en mars 2022. Bien que ce soit son niveau le plus bas depuis septembre 2021, l’humeur reste à l’optimisme (pour qu’elle vire au pessimisme, l’indice devrait passer au-dessous de 50). Cependant, l’indicateur des futures ventes de maisons individuelles a reculé de 80 à 70, soit le niveau le plus bas enregistré depuis juin 2020. Ceci n’a rien d’étonnant au vu de la hausse spectaculaire du taux hypothécaire fixe à 30 ans, qui est passé de 3,25 % fin 2021 à 5,06 % aujourd’hui. De fait, sur le terrain, le durcissement des conditions de crédit est déjà une réalité, même si, pour Goldman Sachs, elles restent encore relativement souples. D’un point de vue cynique, les deux affirmations sont correctes.
Un consensus se forme autour du recul de l’inflation des prix des biens de consommation, le risque étant que l’inflation des prix des services prenne le relais. En variation annuelle, l’indice américain des services aux consommateurs hors énergie s’établit à + 4,4%, soit le taux le plus élevé observé depuis 30 ans. Il demeure cependant très en deçà des 7,9% enregistrés par l’indice global des prix à la consommation. Evoluant aux alentours de 8% aux Etats-Unis et en Europe, l’inflation est imputable pour l’essentiel à la hausse des prix des biens de consommation. En effet, selon les chiffres publiés le 1er avril dernier, le salaire horaire moyen américain a progressé de 5,6% en glissement annuel, le taux de chômage se situant à 3,6%.
Perspectives
En mars dernier, l’indicateur du ZEW (Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung) concernant les attentes de croissance pour les Etats-Unis a chuté à -26.1, s’approchant de son plus bas historique de -48 enregistré en mars 2020. Pour la zone euro, cet indicateur est encore plus proche de la limite inférieure puisqu’il se situe à -38,7 ! Cette situation ne va pas tarder à se répercuter sur l’embauche dans les entreprises. La pression salariale devrait donc s’atténuer… et aux Etats-Unis, le pic des taux de départs devrait coïncider avec celui de l’inflation.
Le marché des swaps d’inflation américains serait gagné par la crainte que l’inflation ne dérape par rapport à l’objectif à long terme fixé à 2% par la Fed. S’échangeant à 2,73%, le swap d’inflation 5A/5A, qui est une jauge de l’inflation à venir, a en effet atteint son niveau le plus élevé depuis 8 ans. Or, durant la période 2003-2014, cet instrument de mesure des anticipations d’inflation a évolué autour de 2,90% en moyenne alors que cette dernière était de 2,3% pour l’indice américain des prix à la consommation (IPC). L’indice des prix réel était donc inférieur aux attentes du marché. Mais à l’époque, nul ne semblait craindre un dérapage de l’inflation au motif que les swaps d’inflation s’inscrivaient juste au-dessous de 3%. Il n’est donc pas impossible que le marché évolue de manière similaire : l’inflation américaine pourrait allégrement dépasser la borne des 2% et les attentes du marché pourraient aller nettement plus haut, car les risques géopolitiques et ceux liés à la fragilité des circuits d’approvisionnement exigent une prime supplémentaire.
Au sein de la zone euro, les anticipations d’inflation mesurées à l’aune des swaps d’inflation 5A/5A se sont stabilisées à 2,33%. La fourchette souhaitée par la BCE se situant entre 2 et 2,50%, on peut donc considérer que « sa mission est accomplie » !
Fed et BCE agiront de manière résolue et prendront le chemin du durcissement monétaire afin de consolider les anticipations d’inflation actuelles. La banque centrale américaine procédera à une hausse de taux de 50 points de base entre début mai et la mi-juin. Quant à la BCE, elle va préparer le marché à un relèvement des taux dès le mois de septembre.
Volatilité implicite
La volatilité implicite des différents instruments financiers mesure le degré d’incertitude de la distribution de résultats sur une période donnée. Dans le secteur des matières premières, denrées alimentaires et énergie affichent une volatilité implicite extrêmement élevée. Au vu des anticipations d’amélioration des conditions de l’offre et de la demande, ce niveau de volatilité indique que les risques de baisse ne devraient pas être sous-estimés. Sur les marchés de taux, la volatilité implicite évolue à un niveau similaire à celui observé durant la période précédant la crise financière de 2008-2009.
Le marché à terme table sur un taux directeur terminal d’environ 3% pour le marché américain pour la période avril 2023-avril 2024. Cependant, l’option sur ce swap 1A/1A affiche une volatilité implicite de 145 points de base autour de ce taux de 3%. La distribution des taux directeurs évolue donc dans une fourchette qui va d’un maximum de 4,5% à un minimum de 1,5% d’ici avril 2024. Ainsi, la situation de volatilité élevée, fréquente sur des marchés très spéculatifs comme ceux du pétrole, des métaux ou des céréales, se retrouve également sur le marché des taux. Par ailleurs, les marchés actions sont, d’une certaine manière, devenus moins sensibles aux décisions de politique monétaire. Mais ne serait-ce pas précisément l’objectif des autorités monétaires ?
En conclusion, après une période d’expérimentation qui, pour les banques centrales, a duré pendant 14 ans, Jerome Powell et Christine Lagarde préparent les marchés financiers à une phase de désintoxication. Elle leur permettra de recouvrer la santé et, en l’occurrence, d’appliquer aux cash flows futurs des entreprises, privées et publiques, un taux d’actualisation raisonnable.
Pour que les marchés reviennent à une phase moins volatile, l’inflation doit se stabiliser et tendre vers les objectifs fixés. Les indicateurs économiques confirment le fait que l’inflation a déjà dépassé son pic alors que les attentes d’inflations semblent l’infirmer. Quoiqu’il en soit, une politique monétaire de type « Volcker » devrait permettre d’atteindre ce pic. Dès que ce sera chose faite, les taux longs entameront un mouvement de consolidation autour de leurs niveaux actuels. En revanche, les marchés du crédit et des actions auront besoin d’un peu plus de temps pour se stabiliser et éliminer les toxines qu’ils ont absorbées durant toute la période d’assouplissement quantitatif.
Peter de Coensel , Avril 2022
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