La dette est-elle réellement importante ? Les fortunes divergentes des marchés de la zone euro et émergents

Les marchés obligataires regorgent de surprises. Les emprunts souverains des principaux pays développés ont été l’une des classes d’actifs les plus performantes en 2014, une situation en partie attribuable aux signes de tensions préoccupants apparus sur les marchés émergents…

Les marchés obligataires regorgent de surprises. Les emprunts souverains des principaux pays développés ont été l’une des classes d’actifs les plus performantes en 2014, une situation en partie attribuable aux signes de tensions préoccupants apparus sur les marchés émergents. La dette des marchés émergents est malmenée sans relâche depuis près d’un an, maigre compensation pour des économies émergentes qui ont passé l’essentiel de la dernière décennie à renforcer leurs finances. Au même moment, dans la zone euro, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et l’Irlande comptent parmi les pays les plus endettés du monde et pourtant leurs marchés obligataires ont été le théâtre de l’un des rebonds les plus spectaculaires jamais observés. Est-ce mérité, et comment expliquer une telle dichotomie ?

En réalité, l’encours de la dette est un piètre indicateur du niveau des taux d’intérêt, du risque de défaut souverain ou de la probabilité à court terme d’une crise de la dette. La nature de la dette (dette libellée en devise étrangère ou en devise locale) et les facteurs impactant la capacité de refinancement d’un pays sont des éléments plus importants. Avant de pouvoir déterminer si une crise est en gestation au niveau de la dette émergente ou si la périphérie de la zone euro est surévaluée, nous devons d’abord poser la question suivante : à partir de quel niveau la dette devient-elle excessive ?

Une dette extérieure, ou libellée en devise étrangère, élevée est un poison qui mine la stabilité de la dette souveraine. L’histoire des marchés émergents nous a appris qu’un niveau excessif de dette libellée en devise étrangère devient encore plus inquiétant dans un contexte de détérioration nationale. La montée des tensions s’accompagne d’une dévaluation de la devise, ce qui rend le service de telles dettes de plus en plus onéreux. La combinaison de cette fragilité domestique et d’un poids de la dette accru a donné lieu à une spirale baissière toxique et autoalimentée, finissant par imploser lorsque les créanciers étrangers cessaient de prêter.

La situation est différente dans le cas de la dette libellée en devise domestique. La solution est alors plus aisée, puisque les autorités politiques n’ont qu’à créer davantage de monnaie, achetant si nécessaire leur propre dette. Un défaut peut être évité, mais souvent au prix d’une dévaluation de la devise et d’autres effets économiques secondaires tels que l’inflation.

La configuration de la dette extérieure toxique n’est pratiquement pas observée à ce jour. Nous n’entrevoyons pas de crise de la dette des marchés émergents. Le rééquilibrage économique a réduit la dépendance des marchés émergents envers la dette extérieure, les conditions intérieures sont plus stables, et dans de nombreux cas les réserves se sont considérablement accrues.

Cela ne signifie pas que le récent courant vendeur subi par les marchés émergents ait été infondé. Les risques idiosyncratiques sont extrêmes dans certaines régions telles que l’Argentine, le Venezuela et l’Ukraine. Dans d’autres, par exemple dans les pays BRIC, croissance rapide du crédit et mauvaise affectation des capitaux ont favorisé des modèles économiques défaillants qui ont désormais désespérément besoin de réformes structurelles. Si des efforts supplémentaires seront nécessaires, dans ce cycle, la soupape de décompression devrait prendre la forme d’une dépréciation des devises plutôt que celle d’une crise et d’un défaut. L’essentiel de cet ajustement a déjà eu lieu.

Le cas de la zone euro est tout à fait différent. La région dans son ensemble ne souffre pas d’un grave problème d’endettement, mais pour certains de ses pays c’est un fait avéré. Au sein d’une union monétaire robuste, de tels problèmes auraient été aisément surmontés à l’aide de mesures de relance. Les banques centrales peuvent s’attaquer aux problèmes de liquidité via des politiques de relance, qui permettent à des pays tels que l’Italie et l’Espagne de continuer à refinancer les montants colossaux de leurs dettes respectives. La Grèce et Chypre auraient toujours été un problème pour la BCE : même les banques centrales ne peuvent remédier à une véritable insolvabilité. La BCE a toutefois commis une erreur en laissant presque les problèmes de liquidité se muer en une crise de la solvabilité. La quasi-intégralité de la dette de la zone euro est libellée dans la devise domestique : l’euro. En laissant apparaître des failles profondes au sein même de l’UEM, les dirigeants politiques ont permis au marché d’évaluer la dette périphérique comme s’il s’agissait d’une dette extérieure. Les spéculations autour d’un éclatement de la zone euro et d’une restructuration de la dette ont attesté du peu de crédit attribué à l’union monétaire.

En juillet 2012, Mario Draghi, lors de sa désormais célèbre déclaration, a assuré que la BCE ferait « tout ce qu’il faut » pour préserver l’euro. La BCE lui a emboîté le pas avec son programme OMT (Outright Monetary Transactions). Par la suite, M. Draghi, manquant quelque peu de modestie, a salué ce programme comme l’un des meilleurs outils de politique monétaire jamais conçus. Il avait raison. D’un seul coup de baguette, la BCE est parvenue à faire en sorte que des milliers de milliards de dette ne soient plus considérés comme de la dette « extérieure » mais bien comme de la dette « domestique ». Cette transformation s’est accompagnée d’une dégringolade justifiée des primes de risque de défaut pour la dette de la zone euro. L’assainissement rapide de la balance des paiements, des mesures d’austérité moins draconiennes et des coûts de la dette inférieurs ont depuis contribué à l’installation d’un cycle d’amélioration désormais autoalimenté.

La confiance vis-à-vis de l’économie de la zone euro est désormais en voie de rétablissement. Le PIB va probablement progresser cette année dans le sillage du renforcement généralisé, mais modeste, affiché par les pays plus fragiles. Ironie de la situation, ce léger redressement est perçu par les marchés comme un signal de « retour à la normale » indiquant une dissipation rapide des problèmes de la dette de la zone euro. L’embellie des perspectives de croissance est certes encourageante, mais la croissance n’est pas le moteur clé de la performance des investissements lors des événements de désendettement. En règle générale, il s’agit plutôt la dernière pièce du puzzle à se mettre en place. Une croissance modérément positive n’aura guère d’impact – voire aucun impact du tout – sur la viabilité de la dette des pays endettés de la zone euro. La plupart de ces Etats affichent des indicateurs de dette nettement plus dégradés qu’une majorité d’économies émergentes, et cela ne va pas changer.

Il est difficile d’identifier les points de basculement dans l’accumulation de la dette, mais le niveau de la dette extérieure et les actions des dirigeants politiques constituent deux facteurs décisifs annonciateurs d’une crise. La dette souveraine européenne a livré une performance spectaculaire justement parce que ces deux problématiques ont été abordées en même temps. La BCE a remplacé l’incompétence politique par la magie politique en rassurant les marchés sur la nature locale de la dette de la zone euro. Tant que l’intégrité de la zone euro n’est pas remise en cause, les paramètres de dette inquiétants de ses pays membres plus fragiles resteront des craintes latentes. Le rebond de la dette périphérique était justifié. Malheureusement, il touche désormais à sa fin. Une confiance excessive, alimentée par des perspectives de croissance plus robustes, pourrait donner lieu à une accélération mais rien ne permet d’espérer une solution immédiate pour pérenniser la dette et les spreads n’offrent désormais guère de rémunération supplémentaire.

Alors que les pays de la zone euro ont remporté une bataille qui paraissait pourtant perdue, les économies émergentes ont accompli exactement l’opposé. La croissance et le renforcement des finances ont débouché sur une augmentation excessive du crédit et un besoin criant de réformes structurelles.

Les niveaux d’endettement globaux demeurent pourtant largement sous contrôle. Des niveaux de dette gérables devraient empêcher une crise généralisée, en permettant que ce soit les devises plus fragiles qui fassent les frais de cet ajustement.

Les opportunités d’achat seront légion au cours de l’année à venir, mais il faudra peut-être esquiver d’éventuels accidents de parcours causés par les politiques menées.

Jim Cielinski , Mars 2014

tags
Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

Focus

Stratégie Révolution indicielle dans les Hedge funds

Une critique courante des modèles factoriels repose sur le fait qu’ils ne "répliquent que le bêta" - pas l’alpha pur que recherchent les allocataires. Cette critique est antérieure à l’appréciation des rotations factorielles. L’analyse d’Andrew Beer, dirigeant et co-fondateur de (...)

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés