Faire défaut avec élégance, ou comment contrôler l’endettement excessif des économies avancées

Dans le dernier Point sur les obligations, nous avions évoqué l’écart de performance entre marchés obligataires du monde émergent et des pays périphériques de la zone euro. Si les investisseurs semblent avoir déjà pardonné à la périphérie de l’union monétaire ses errements budgétaires, qu’en est-il des Etats-Unis, du Royaume-Uni et surtout, du Japon ?

Ces pays sont confrontés à des problèmes de dette apparemment inextricables. Ils figurent parmi les plus grands créanciers au monde et semblent incapables de cesser de dépenser sans compter, et pourtant leurs marchés obligataires sont des modèles de stabilité. Ce comportement est-il viable ? Les problèmes de dette de ces pays peuvent-ils être résolus ?

Si la dette de ce trio est sans aucun doute trop élevée, sa conséquence pourrait bien être un ralentissement de la croissance plutôt qu’une crise. De nombreuses études ont en effet établi un lien entre endettement lourd et croissance.

Pour des pays dont le ratio dette/PIB dépasse 100%, par exemple, les prévisions de potentiel de croissance sont inférieures de 0,75% à 1,25% par an. Les capacités de remboursement sont en revanche rarement menacées, en particulier si la dette est libellée en devise locale. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon disposent tous les trois de nombreux outils pour résoudre leurs problèmes de dette, mais ils viennent tout juste de commencer à les utiliser.

En matière d’importance de la dette, le Japon fait depuis longtemps figure de cas d’école. Avec un ratio dette/PIB de plus de 200% et une démographie en forme de bombe à retardement, la situation de l’archipel est souvent décrite comme une crise en devenir. Il s’agit là d’une mauvaise compréhension du mécanisme des crises, car le Japon est bel et bien confronté depuis plus de deux décennies à sa propre crise de la dette. Mais une crise n’est pas forcément caractérisée par le tumulte et la panique : elle peut aussi prendre la forme d’une période prolongée de croissance inférieure à son potentiel et de dépréciation des actifs. Voilà ce qui résulte d’un endettement massif.

Un défaut, oui, mais avec les formes

L’impossibilité de rembourser (ou une restructuration de la dette) est la pire forme de crise de la dette, une option qui n’est purement et simplement pas envisageable dans la plupart des économies occidentales. Au-delà de l’ineptie politique, il n’y a aucun intérêt à choisir la solution la plus dévastatrice.

Au Japon, par exemple, plus de 85% de la dette souveraine est détenue par des Japonais. La Banque du Japon peut faire tourner la planche à billets éternellement pour pouvoir acheter des obligations nippones.

Elle évite ainsi le défaut de paiement, mais au prix d’une inflation bien plus forte ou d’un effondrement de la devise.

D’une manière ou d’une autre, toute dette excessive doit être liquidée. Un défaut de paiement en bonne et due forme compte parmi les options envisageables, mais il est plutôt réservé aux économies dont la dette est libellée en grande partie en devise étrangère. Les autres solutions sont résumées dans la figure 1 ci-dessous. Bien que moins extrêmes, les effets de certaines d’entre elles sont bien souvent similaires.

Avec autant d’options raisonnables pour liquider la dette et compte tenu du fait que le défaut de paiement est exclu, il est clair que des endettements insolubles entraînent en général une baisse des rendements, et non une hausse.

La dette pèse sur la croissance et sur les prix et, comme le montre l’exemple japonais, elle peut avoir pour effet pervers de produire les rendements obligataires les plus bas du monde dans le pays le plus endetté de la planète. C’est également la raison pour laquelle les taux des obligations des pays périphériques de la zone euro ont chuté de manière aussi forte. La BCE ayant écarté le risque de défaut, les taux réels, excessivement élevés, ont cédé sous le poids du ralentissement de la croissance et de l’inflation.

Chaque pays choisira une option différente et, pour la plupart, il s’agira d’un ensemble de stratégies. Selon une théorie bien connue, une politique monétaire ultra-accommodante peut servir à « soigner la dette par l’inflation ».

Cette option est peu probable, et n’est possible que si les dirigeants surprennent continuellement les marchés. Si ces derniers suspectent une telle stratégie, les taux refléteront sur-le- champ une prime de risque anormalement élevée et feront grimper les coûts de l’emprunt à des niveaux qui entraîneront un ralentissement déflationniste. Le Royaume-Uni est peut-être le seul pays qui pourrait choisir cette option, car son encours de dette affiche une maturité moyenne très longue. Nous ne pensons toutefois pas que cette solution sera retenue, compte tenu du coût exorbitant d’une telle opération.

Les problèmes de dette peuvent-ils être résolus ?

La solution n’est pas pour demain. Certes, de nombreuses économies sont surendettées, mais, grâce au faible niveau des taux d’intérêt, cette dette est bien maîtrisée.

Selon nous, si les taux devraient progresser au cours de l’année à venir pour des questions cycliques, les raisons structurelles qui sous- tendent leur faiblesse ne devraient pas disparaître.

Par ailleurs, les fondamentaux qui justifient la viabilité de la dette sont d’ores et déjà en train de s’améliorer fortement.

La viabilité de la dette restera difficile à atteindre. Les ratios dette/PIB vont se dégrader dans les années à venir et ce, même si la croissance se redresse. Au niveau actuel des taux, par exemple, les Etats-Unis devraient enregistrer une croissance nominale de 4,5% ne serait-ce que pour maintenir le statu quo.

Mais les marchés ne doivent pas sombrer dans la déprime : l’amélioration par rapport à la situation d’il y a 18 mois, quand les ratios de dette/PIB étaient en voie de dépasser les 100%, est tout de même impressionnante. Aujourd’hui, des ratios de l’ordre de 70-80% semblent du domaine du possible. Par ailleurs, les options disponibles sont mieux identifiées. Aux Etats-Unis, le coût du système de santé, éternel « assassin budgétaire », devrait progresser de 5,8% par an, selon les prévisions actuelles. Le simple fait de réduire cette hausse à 2-3% serait suffisant pour faire baisser le ratio dette/PIB à 40% sur les 15 prochaines années. Au Royaume-Uni, les options sont multiples. Si les dirigeants parviennent à conserver des coûts d’emprunt inférieurs de 1,5% à l’inflation sur les 4 à 6 prochaines années, comme ils ont récemment réussi à le faire, la viabilité sera à portée de main. La tâche est moins aisée au Japon, où croissance du PIB et réformes structurelles seront nécessaires.

L’avenir nous dira si ces options sont viables. Personne ne doit douter de la détermination des dirigeants ni sous-estimer la flexibilité dont ils disposent toujours. Si toutes ces options se soldent par des échecs, il sera toujours temps d’intensifier les efforts, comme le fait le Japon à l’heure actuelle (en doublant sa base monétaire).

Il ne faut jamais confondre emprunteur souverain et emprunteur privé. Les Etats ne jouent pas avec les mêmes règles. Si un pays possède sa propre banque centrale, sa propre devise et la capacité de lever des impôts, et que la dette est principalement détenue par des acteurs locaux ou libellée en devise locale, la flexibilité nécessaire pour éviter une crise du crédit est plus grande qu’on ne le pense. Les Etats ne peuvent néanmoins pas réécrire l’ensemble des règles économiques, et le fardeau de la dette entravera la croissance pendant de nombreuses années.

Quelles sont les implications pour les taux d’intérêt ? Nous estimons que la forte hausse des taux de 2013 reflète la fin des impressionnantes distorsions de marché générées par l’assouplissement quantitatif.

La prochaine étape, qui devrait selon nous débuter au second semestre 2014, sera une hausse des taux déclenchée par l’amélioration cyclique des perspectives. Les taux ne devraient pas pour autant flamber, et la menace d’une crise du crédit est très ténue.

Le poids de la dette devrait plutôt se traduire par une croissance molle, une inflation limitée et une poursuite des politiques monétaires accommodantes.

Jim Cielinski , Mai 2014

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