Après un hiver sur la défensive, place à l’étape d’après

La hausse des prix du pétrole a historiquement établi une différenciation entre les situations que les marchés financiers parvenaient rapidement à surmonter et celles au cours desquelles l’inflation des prix de l’énergie venait rogner le pouvoir d’achat des ménages et engendrait des corrections financières plus durables.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a constitué le point de bascule des marchés financiers au cours de ce premier trimestre et continue de retenir toute l’attention des investisseurs. Alors que les combats s’intensifient autour de Marioupol pour le contrôle complet de la mer d’Azov par la Russie, le conflit militaire a révélé plusieurs points : en premier lieu, l’armée russe a fait preuve de faiblesses insoupçonnées en termes de logistique (relative au carburant en particulier) mais également en termes de matériel et de cryptage des informations. En second lieu, l’armée ukrainienne a bénéficié de l’approvisionnement d’armement dit « défensifs » : les fournitures d’armes en provenance de l’OTAN depuis le déclenchement du conflit de la Crimée en 2014 ont été significatives et déterminantes tandis que la formation opérée par les pays anglo-saxons ainsi que la couverture satellitaire fournie par les Etats-Unis, ont constitué un avantage décisif sur le terrain.

Une situation qui peut durer….

Cet état de fait conduit à une situation qui ne s’est absolument pas éclaircie depuis le début des hostilités, pouvant durer encore plusieurs mois avec des escalades encore possibles avant d’entamer de réelles négociations. Dans le cadre de ces pourparlers, les marchés envisagent une forme de partition de l’Ukraine avec un protectorat russe sur les zones Est et Sud-Est du territoire, et du côté de l’Ukraine, un pouvoir militaire renforcé.

Aussi, depuis le déclenchement de la guerre, nous assistons à une forme d’enlisement, qui implique un maintien voire une accentuation des sanctions économiques et des embargos vis-à-vis de la Russie qui, même en cas de sortie de ce conflit, ne serait pas immédiate et s’effectuerait en plusieurs temps. Lors de cette nouvelle phase des opérations militaires, le risque d’accidents supplémentaires reste bien sûr possible et les sanctions (embargos plus marqués sur le gaz ou les matières premières agricoles), pourraient être renforcées sous la pression de l’opinion publique.

La perturbation des chaînes d’approvisionnement en toile de fond

Le conflit a de multiples implications, à commencer par la perturbation des chaînes d’approvisionnement, notamment au niveau des métaux rares comme l’illustre le sujet largement repris du palladium, l’un des composants des pots catalytiques des véhicules. Le dysfonctionnement des chaînes de valeur est renforcé par les difficultés rencontrées par la Chine dans sa gestion de la crise épidémique du covid (multiplication des aires de confinement liée à la faible efficacité du vaccin chinois ; stratégie de zéro covid…) mais également par la flambée des prix des matières premières. La hausse de l’incertitude qui en découle conduit à réviser à la baisse la croissance mondiale en 2022 de 4,4% en début d’année à 3,6% aujourd’hui (Prévisions du FMI).

Depuis l’apparition du covid, l’activité mondiale a essentiellement fonctionné grâce au seul moteur de la production industrielle, les services étant quant à eux en retard du fait des confinements successifs. La levée des confinements dans les pays occidentaux devait permettre d’allumer ce second moteur et entraîner un rebond de la croissance mondiale, d’où le chiffre de croissance de 4,3% initialement prévu. Cependant, nous assistons à une dégradation des indicateurs de consommation laissant présager, à leur tour, une baisse à venir des nouvelles commandes industrielles. De plus, du fait notamment de la hausse des prix de l’essence, la perception des ménages sur l’environnement économique aux Etats-Unis est à un plus bas depuis 10 ans, tandis qu’en Europe, la très faible indexation des salaires à l’inflation entraîne une baisse des salaires réels qui se répercute sur plusieurs catégories d’objets de consommation.

Dans ce contexte, la hausse des prix du pétrole est capitale.

La hausse des prix du pétrole a historiquement établi une différenciation entre les situations que les marchés financiers parvenaient rapidement à surmonter et celles au cours desquelles l’inflation des prix de l’énergie venait rogner le pouvoir d’achat des ménages et engendrait des corrections financières plus durables.

Face à des estimations de baisse des exportations de pétrole russe à 3 millions de barils/jour, les Etats-Unis ont décidé un plan de mise sur le marché d’un million de baril supplémentaire par jour, pendant 6 mois, en provenance de leurs réserves stratégiques. Il s’agit d’une mesure importante qui a permis de limiter depuis quelques semaines la hausse du pétrole et de réduire les hypothèses extrêmes d’envolée des prix à près de 150 dollars le baril évoquées lors du déclenchement du conflit.

Le marché attendait certes une intervention de ce type, mais davantage au niveau de l’OPEP+, qui aurait mis la pression sur les pays du Moyen-Orient pour se désolidariser de la Russie et accroître leur production, ce qui aurait eu un impact encore plus important.

Concernant l’autre matière première déterminante - le gaz russe - le véritable problème potentiel se situe à horizon de l’hiver prochain, en sachant bien qu’il n’existe de substitut possible au gaz russe, à horizon 2 ou 3 ans, qu’à hauteur de 50% maximum du côté européen.

Cette guerre entraîne une modification de la perception de la hausse des prix : derrière le chiffre d’inflation de +8,5% le mois dernier (en rythme annuel), nous avons +6% d’inflation sous-jacente, c’est-à-dire hors énergie et alimentation. Pour juguler cette hausse, la banque centrale américaine se montre donc particulièrement agressive dans son discours. Jusqu’à présent, elle tenait un discours en quelque sorte « performatif », et son message autour de l’inflation transitoire née d’un problème d’offre insuffisante et non de demande trop forte, était accepté par les investisseurs. Ce discours aujourd’hui ne « crante » plus, d’où la forme de krack obligataire auquel nous avons assisté.

Notre stratégie

En termes d’allocation d’actifs, à la suite du déclenchement du conflit, nous avions rééquilibré les expositions internationales et européennes par rapport à leur indice.

Les actifs risqués ont fortement rebondi il y a quelques semaines, pour revenir proches de leur niveau d’avant invasion de l’Ukraine. Nous sommes passés sous-exposés à la suite de ce mouvement, mais il est à noter que, malgré plusieurs risques identifiés, les marchés ont continué de se positionner proche de leurs seuils de résistance de 4050 points sur l’Eurostoxx et 6750 points sur le CAC 40.

En termes macroéconomique, la dynamique est jusqu’à présent restée solide en particulier aux Etats-Unis, portée notamment par des chiffres de l’emploi indiquant une situation proche de la surchauffe. Dans ce contexte, la Fed a confirmé la réduction de son bilan d’ici le mois prochain, via le non-réinvestissement des titres arrivant à échéance (au rythme de 60 milliards de dollars par mois pour les obligations d’Etat et de 35 milliards pour les dettes hypothécaires).

Ce rythme de réduction de son bilan est plus fort que lors des épisodes précédents et a provoqué une nette hausse des taux longs américains depuis le début de l’année (+120 points de base à 3%). En zone Euro, la référence allemande à 10 ans a également augmenté (+90 points de base). Compte tenu de la vitesse du mouvement déjà opéré et des perspectives de ralentissement économique, le potentiel de hausse des taux longs nous paraît aujourd’hui plus limité.

Sur le marché des actions, les indices des grandes capitalisations boursières ont mieux résisté essentiellement grâce aux valeurs défensives les constituant comme les télécoms, les pharmaceutiques et les médias, ainsi que les valeurs liées bien sûr aux pétrole et gaz, énergies renouvelables et à la défense. Les organismes internationaux sont en train de réviser plus nettement les perspectives de croissance mondiale pour 2022. Alors que les bénéfices par action ont été encore peu ajustés et restent proche de 10% pour 2022, un chiffre autour de zéro paraîtrait plus crédible, tout du moins en Europe compte tenu du choc sur les matières premières. L’ajustement devrait avoir lieu au cours des prochaines semaines en lien avec plusieurs évènements en cours ou à venir : publications et perspectives des entreprises, offensive russe sur le Donbass et évolution du confinement en Chine… Nous devrions alors pouvoir reprendre du risque et ce en faveur d’une rotation sectorielle qui délaissera les secteurs défensifs. En effet, ceux-ci n’ont finalement servi que de substitut partiel à la classe obligataire pendant la phase de forte remontée des taux longs.

Jean-Jacques Friedman , Mai 2022

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