›  Opinion 

Acquisitions : la chasse aux consolidateurs

Il est commun de constater que les acquisitions les plus emblématiques présentent des résultats pour le moins discutables. La situation caricaturale comporte tous les ingrédients d’un échec annoncé. En premier lieu, la taille, importante, souvent synonyme de complexité et d’un lourd travail d’intégration.

Ensuite, un processus de vente bien huilée par les banquiers d’affaires qui conduit souvent à faire monter les enchères. En conséquence, taille importante et prix élevé vont souvent de pair avec levier financier. Enfin, les larges acquisitions sont parfois motivées par des considérations autres qu’économiques, le syndrome de la grenouille qui veut devenir plus grosse que le bœuf en étant la parfaite illustration. In fine, la course à la taille ne va pas de pair avec une bonne rentabilité économique et un bon usage des capitaux des actionnaires. Les mésaventures d’un General Electric ou d’un Vivendi sous l’ère Messier constituent une bonne synthèse d’ensemble des pratiques à éviter. Pour autant, ceci n’est pas une fatalité, en particulier dans certaines régions du “Grand Nord”, qui s’avèrent des terrains fertiles pour la chasse aux consolidateurs.

Anatomie du succès

Il existe une catégorie de champions dans ce monde des fusions et acquisitions, des sociétés qui réussissent de manière systématique à trouver, acheter et intégrer de plus petits acteurs sans que cela ne crée de difficulté majeure, créant au passage beaucoup de valeur. Quels sont les facteurs communs à tous ces succès ?

Afin de mettre toutes les chances de son côté, il semble préférable de regarder du côté des secteurs très fragmentés où, par construction, la concurrence est moins forte, le nombre potentiel de cibles d’acquisitions est plus important, et la taille des acteurs modeste, gage d’une intégration plus facile. Ainsi, le terrain de jeu préféré des consolidateurs est le domaine des services tels que l’entretien ménager, la maintenance industrielle, ou la gestion des espaces verts. Ce type d’activités, nécessitant notamment une main d’œuvre importante, rend difficile des gains d’échelle. Il est ainsi souvent plus facile, et plus rentable, d’acquérir un concurrent.

Ces secteurs ne sont pas ceux qui semblent les plus attractifs pour les investisseurs de prime abord. Les croissances organiques sont relativement faibles, souvent en lien avec la croissance économique, et les retours sur capitaux moins attractifs que dans d’autres secteurs. Dit autrement, il est plus facile de faire briller les yeux d’investisseurs en se présentant comme le « Netflix de… » plutôt qu’en expliquant que vous êtes un grossiste en boulons et charnières de portes.

La très grande majorité des champions de la consolidation que nous suivons présentent un haut degré de décentralisation. Leurs sièges sociaux sont réduits à leur portion congrue, leur mission étant de supporter l’action des managers locaux, et de piloter l’allocation du capital. La maison-mère est la gardienne de la culture d’entreprise, souvent très marquée par la présence d’un entrepreneur - chef d’orchestre. Les managers locaux ont ainsi beaucoup de latitudes, y compris dans la recherche et la réalisation des acquisitions.

Nos consolidateurs sont des acheteurs naturels, dits “stratégiques”, par opposition aux sociétés de Private Equity. La grande majorité des opérations sont sourcées en interne, sans recours à des intermédiaires, limitant de fait la bataille sur le prix. Les dirigeants d’une entreprise familiale sont la plupart du temps plus soucieux de l’avenir de leurs salariés et de leur entreprise que du nombre de 0 sur le chèque. En cultivant des relations sur le long terme, la bonne réputation de nos consolidateurs joue en leur faveur.

De la Suède….

La Suède est l’un des pays qui concentre le plus de consolidateurs. Pourquoi ? Tout d’abord, la culture y est très entrepreneuriale, et peu hiérarchique. La décentralisation est le maître-mot et les acquisitions sont très peu intégrées, limitant de fait les risques. Les chasseurs ne sont pas à la recherche de synergies, mais d’entreprises locales bien gérées, générant des flux de trésorerie pour financer les acquisitions suivantes. Chaque cible conserve son indépendance, la responsabilité sur ses résultats et la plupart du temps son management.

La Suède est peu peuplée, isolée au Nord de l’Europe, et connaît des conditions climatiques difficiles, autant de facteurs qui rendent l’arrivée d’entreprises étrangères plus compliquées. Le marché est donc très local et favorise l’émergence de leaders régionaux protégés de la concurrence. Le vivier de petites entreprises leaders dans une niche semble inépuisable.

La Suède a toujours été l’une des locomotives industrielles de l’Europe, comme en témoignent les réussites des Ericsson, Volvo, ABB, grâce à un niveau d’éducation élevé et une culture de l’innovation importante. Compte tenu de la difficulté pour les entreprises étrangères de s’implanter en Suède, de nombreuses entreprises locales se sont développées dans le sillage de ces champions mondiaux. Parmi elles, Bergman & Beving, fondée en 1906, était à l’origine l’un des nombreux importateurs adaptant les produits internationaux au marché suédois. Dès le milieu du XXème siècle, l’entreprise a commencé à acquérir de petites entreprises profitables, à de faibles multiples de valorisation (entre 3x et 6x le résultat d’exploitation). A son introduction en bourse en 1976, la société comptait 200 employés et réalisait 15 millions d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, le groupe s’est scindé en 6 entreprises différentes, a multiplié le nombre d’employés par plus de 60 et son chiffre d’affaires par 325 ! Chacune de ces sociétés étant devenue consolidateur à son tour…et l’histoire continue.

Quelques consolidateurs suédois : Indutrade (industrie), Lifco (produits dentaires et engins de démolition), Instalco (services d’installation), Green Landscaping (entretien d’espaces verts), Fasadgruppen (rénovation de façades).

…au Canada

Toujours au Nord, traversons l’Atlantique. Le Canada accueille de nombreux consolidateurs à succès. L’archétype est la société qui s’est développée au Québec, ou dans la région de Toronto, avant de conquérir l’Ouest du pays, puis par proximité géographique, les Etats-Unis. Une vraie stratégie militaire, bien représentée par Quincaillerie Richelieu. Avec 1,8 milliard de dollars canadiens de revenus sur les douze derniers mois, cette société québécoise est le leader nord-américain de la fourniture d’accessoires pour les cuisinistes, ébénistes et autres artisans du secteur de l’aménagement intérieur. Avec plus de 130 000 références, Richelieu est un acteur indispensable dans un secteur comprenant des milliers de fournisseurs et de clients. A première vue, le métier ne fait pas rêver, mais Richelieu affiche une croissance organique robuste de plus de 5% par an sur la dernière décennie et acquiert méthodiquement des petits grossistes, avec un focus particulier sur les Etats-Unis aujourd’hui où 40% du chiffre d’affaires est réalisé. En combinant gains d’échelle et mesures d’efficacité, la société a fait croître son bénéfice par action à un rythme annuel de 15% sur la décennie 2011-2021.

Quelques consolidateurs canadiens : Constellation Software (logiciels), le champion incontesté de la catégorie ; GDI Services aux Immeubles (entretien et services techniques), TFI International (transport routier et logistique), MTY Food (franchises de restaurants).

Etienne Guicherd , Janvier 2023

Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

Focus

Opinion Les contrats à terme « Total Return » devraient poursuivre leur croissance compte tenu de l’engouement des investisseurs

En 2016, Eurex a lancé les contrats à terme « Total Return Futures (TRF) » en réponse à la demande croissante de produits dérivés listés en alternative aux Total return swaps. Depuis, ces TRF sont devenus des instruments utilisés par une grande variété d’acteurs à des fins (...)

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés