On ne peut et ne doit pas tout attendre des banques centrales

[Après avoir vu comment les missions et comportements des banques centrales avaient évolué depuis 20 ans, il s’agit de montrer que ces évolutions ont crée une dépendance psychologique, économique et financière obsessionnelle de tous les acteurs de l’économie à ces institutions. C’est bien le problème majeur du fonctionnement de nos économies.

Beaucoup d’acteurs continuent à tout demander aux banques centrales, sans doute parce que sans elles l’économie ne fonctionnerait plus (en tout cas l’économie d’endettement et de fuite en avant). Parmi ces acteurs, l’on citera

  • Les banques – tout du moins celles qui restent encore dépendantes de la liquidité banque centrale (on reviendra sur le dénouement contractuel des opérations de VLTRO 3 ans en décembre 2014 et février 2015).
  • Les investisseurs (on entend de nombreux gérants d’actifs « exiger » de nouvelles injections de liquidités de la BCE) qui savent que sans la liquidité banque centrale, ou en tout cas avec une inflexion violente des politiques monétaires, les bulles d’actifs financiers exploseraient (titres d’état US, core Europe et désormais périphériques zone Euro, crédit corporate investment grade et high yield, actions dans une moindre mesure)
  • Les politiques puisque cela n’incite pas à la discipline budgétaire et risque de repousser malheureusement dans le temps les réformes structurelles.

Mais demander toujours plus d’injections de liquidités de la part des banques centrales n’est pas sérieux. Et il est de plus en plus agaçant pour ne pas dire plus d’écouter les appels incessants des acteurs financiers, économiques et politiques à un activisme encore plus important des banques centrales. En effet, il est indispensable de comprendre que les impacts sur l’économie de l’extraordinaire liquidité fournie par les « grandes » banques centrales depuis près de 5 ans ne sont pas à proprement parler d’une efficacité redoutable.

Si l’on observe l’histoire récente des banques centrales, l’on est, en effet, en droit de se demander ce que sont devenus ces 6000 milliards de dollars de création monétaire par les "grandes" banques centrales depuis 2008. En d’autres termes, comment ces 6000 milliards ont été utilisés, à quoi ont-ils servi et à qui ont-ils, pour l’essentiel, bénéficié ? Ce que l’on sait, c’est qu’il ne peut y avoir que 3 usages et 3 usages seulement de cette liquidité extraordinairement abondante

- Soit elle sert à financer l’économie réelle (avec une progression rapide du crédit)

- Soit elle sert à investir massivement sur les marchés financiers, ce qui peut qui auto-entretenir les bulles sur les actifs financiers et sur l’immobilier

- Soit elle est stockée (et donc inutilisée) sur le compte courant de trésorerie des banques ou sur leur compte de dépôts ou de réserves excédentaires à la banque centrale.

Les études économiques de Natixis montraient récemment que

- de 2002 à 2007, la création monétaire a soutenu l’économie au travers du crédit et des prix des actifs. Ce qui est finalement cohérent

- mais que depuis 2009, cette création monétaire ne se voit qu’au travers des prix des actifs (immobilier, actions, obligations d’état et même corporate).

Plus précisément aux Etats-Unis, les investisseurs institutionnels et les banques ont utilisé la liquidité du Quantitative easing reçue des achats de MBS et Treasuries pour investir en actions et assez peu en obligations crédit corporate ; les banques n’ont pas utilisé cette liquidité pour faire plus de crédit ; enfin les ménages ont plutôt utilisé cette liquidité pour recommencer à investir dans l’immobilier plutôt que dans les actifs financiers (d’ailleurs ils ont complètement arrêté d’acheter des actions)

Alors que faire ?

D’abord mettre un terme à l’illusion des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes pour compenser les faiblesses structurelles de la croissance

En aucun cas, les politiques monétaire et budgétaire ne peuvent résoudre les problèmes économiques de l’Allemagne et de la France (qui sont par ailleurs très différents)

1. L’économie allemande « souffre » d’une insuffisance de la demande (même si le bon chiffre de la croissance PIB du T1 2014 à +0.8% doit beaucoup à une meilleure tenue de la demande intérieure). Dès lors, pourquoi utiliser la politique monétaire (relance de la demande par le crédit) et/ou la politique budgétaire (relance de la demande par l’endettement public) alors qu’il serait plus sain et intelligent d’orienter le partage de la valeur ajoutée dans sens un peu plus favorable aux salaires et moins aux profits. Il ne sert à rien d’être dogmatique en macroéconomie ; il faut au contraire être pragmatique dans l’intérêt de tous : le problème de l’économie allemande n’étant pas aujourd’hui celui d’une insuffisance de la profitabilité des entreprises mais bien celui d’une insuffisance de la consommation des ménages.

2. Il ne sert à rien également d’utiliser les politiques monétaire et budgétaire pour faire repartir l’économie française (en fait de « retournement », l’on vient plutôt d’assister à un véritable surplace, la croissance du PIB du T1 2014 a stagné en ressortant à +0%). Mais pour des raisons différentes. Car le problème de l’économie française, à l’opposé de l’économie allemande, est celui d’une insuffisance de profitabilité et de compétitivité des entreprises. On ne voit pas trop alors comment la création monétaire et/ou la dépense publique pourraient résoudre ces problèmes structurels.

Donc ce dont la France a besoin

- c’est d’une baisse réelle de son coût du travail à qualité de production constante pour redevenir compétitive par rapport à un pays comme l’Espagne

- ou d’une montée en gamme d’une partie de sa production à coût du travail constant pour concurrencer un peu plus et un peu mieux l’économie allemande.

On pourra juste tolérer que la politique budgétaire ne devienne pas trop restrictive brutalement mais progressivement : baisses de charges immédiates et baisses de la dépenses publique significatives mais étalées et différées de telle sorte que la croissance ne soit pas immédiatement étouffée et que l’assouplissement de la fiscalité des entreprises commence à produire ses premiers effets. Le risque c’est qu’une fois de plus cette belle mécanique soit contrariée par le calendrier et les surenchères électorales.

Mory Doré , Juin 2014

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