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Jean Louis Monnier : « Il y a eu une démonstration pratique de la décorrélation du marché des ILS »

Selon Jean Louis Monnier, Head of European ILS chez Swiss Re, investir en direct dans les Insurance-Linked Securities est un marché réservé aux investisseurs institutionnels qualifiés, qui gèrent un minimum de 100 millions de dollars et qui ont une capacité à évaluer le risque de ces transactions…

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Next-Finance : Swiss-Re est un des leaders du marché des « Insurance-Linked Securities (ILS) ». Comment définiriez-vous ce marché et quelles activités englobe-t-il ?

Jean Louis Monnier : Ce marché regroupe toutes les activités de transfert de risque d’assurances vers les marchés de capitaux. Il comprend le transfert de risque sous forme obligataire, appelé marché des Cats Bonds, mais aussi un transfert de risque plus privé de produits dérivés ou de solutions de réassurances collatéralisées qui sont aussi placés au près des investisseurs. Le volume total du marché des ILS représente près de 30 milliards de dollars dont la moitié sous forme de Cats Bonds.

Les ILS sont souvent présentés comme des actifs de diversification. Pourtant, beaucoup d’actifs considérés comme décorrélés des marchés traditionnels se sont révélés ne pas l’être en période de crise. Qu’en est-il réellement des ILS ?

Si on regarde la performance de ce marché, on se rend compte qu’il s’est bien comporté même pendant la crise. Il n’y a pas eu d’années avec des performances négatives même en 2008. Swiss Re publie d’ailleurs un indice de performance qui représente un benchmark du marché des Cats Bonds, la partie plus visible du marché des ILS. Sur la période 2008-2009 il a été en hausse de 16.5%, une performance plutôt bonne comparée à celle d’autres classes d’actifs. Seul le dernier trimestre 2008 a connu une performance négative, principalement due à la vente de positions dans un marché resté très liquide et qui, relativement à toutes les autres classes d’actifs s’est bien comporté. Au delà de l’aspect théorique qui veut qu’une crise financière n’engendre pas de catastrophes naturelles, il y a eu une démonstration pratique du phénomène de diversification et de décorrélation du marché des ILS constituant aujourd’hui l’un des facteurs de décisions pour les nouveaux investisseurs cherchant à se positionner sur ce segment.

Il y a une spécificité de ce marché qui veut que chaque obligation dispose d’une analyse de risque indépendante et spécifique qui est fournie aux investisseurs et qui est produite par une des 3 principales agences qui sont AIR, EQECAT et RMS. Ces agences fournissent au marché l’assurance dans sa globalité des modèles permettant une évaluation du risque de catastrophe naturelle.
Jean Louis Monnier

Ce marché semblait n’attirer que des investisseurs du type hedge funds, mais il suscite aujourd’hui de plus en plus l’intérêt de fonds de pension, de fonds souverains et d’investisseurs institutionnels. Voyez-vous un engouement pour ces produits chez cette typologie d’investisseurs ?

Oui tout à fait. Ce que l’on peut voir c’est que le marché étant plus mature, les performances historiques augmentent la crédibilité au près des investisseurs comme l’un des seuls segments non corrélés aux marchés actions pendant la crise. Nous constatons une acceptation de plus en plus grande de cette classe d’actifs au près des institutionnels et en particulier des fonds de pension Même si ce marché reste en théorie non corrélé, c’est un marché qui peut quand même présenter une certaine volatilité pendant les périodes où il y a des catastrophes naturelles. Mais les fonds de pension ont cette vision à long terme qui peut leur permette de comparer les risques et rendement de cette classe d’actifs sur un horizon suffisamment long. Ils considèrent cette classe comme particulièrement attractive dans le cadre d’une stratégie de diversification de portefeuilles. Le fonds de pension interviennent soit directement, soit à travers des fonds spécialisés qui ont une expertise dans ce domaine et qui gèrent des portefeuilles diversifiés exposés aux Insurance Linked Products.

Les « Insurance-Linked Securities » ont des objectifs de rendements plutôt élevés, nous avons notamment vu des coupons de l’ordre d’Euribor + 550 bps à Euribor + 900 bps selon la tranche pour le Cat Bond Pylon II d’ERDF. Le fonds Atropos lancé récemment par SCOR Alternative Investments a un objectif de Libor + 700 bps. Les investisseurs en comprennent-ils bien les risques associés à ces produits ? Les « triggers » sur certains Cats Bonds semblant relativement complexes. Y a-t-il une vision claire des conditions de non paiement du nominal ?

C’est un marché qui repose sur un transfert de risque d’assurances. Les investisseurs sont payés une certaine prime au dessus d’Euribor ou du Libor qui correspond à une prime de risque sur le pricincipal lié à l’occurrence d’une catastrophe. Les investisseurs sont-ils équipés pour comprendre ce risque ? oui, il y a une spécificité de ce marché qui veut que chaque obligation dispose d’une analyse de risque indépendante et spécifique qui est fournie aux investisseurs et qui est produite par une des 3 principales agences qui sont AIR, EQECAT et RMS. Ces agences fournissent au marché l’assurance dans sa globalité des modèles permettant une évaluation du risque de catastrophe naturelle. Et, ce sont ces mêmes agences qui, utilisant ces mêmes modèles vont donner leur vue indépendante du risque sur les bonds émis. A cette analyse de risque spécifique, s’ajoute une analyse de la structure par les agences de notations. C’est sur la base de ces informations communiquées sur le risque que les investisseurs vont faire l’analyse des risques et vont décider d’investir ou pas.

Les fonds de pension interviennent soit directement, soit à travers des fonds spécialisés qui ont une expertise dans ce domaine et qui gèrent des portefeuilles diversifiés exposés aux Insurance Linked Products.
Jean Louis Monnier

Investir dans les Cats Bonds en direct est un marché qui est réservé aux investisseurs institutionnels qualifiés, qui gèrent un minimum de 100 millions de dollars et qui ont une capacité à évaluer le risque de ces transactions. Il n’est pas surprenant de voir les fonds dédiés mentionnés plus haut, qui ont une expertise dans ce domaine constituent au-delà de 50% du marché car ils permettent aux investisseurs institutionnels qui souhaiteraient bénéficier de la diversification de cette classe d’actifs mais sans nécessairement en avoir l’expertise, d’investir dans des fonds où les gérants ont l’expérience nécessaire pour mesurer le risque de ces investissements.

L’indice PERILS, entité indépendante, soutenue par un consortium d’assureurs, reflète l’intensité du vent en Europe. Apporte-t-il plus de clarté pour les investisseurs ? Peut-il servir de référence pour le paiement de coupons ?

PERILS apporte une vue des expositions par marchés, par lignes d’activités et par région, donc l’exposition de l’industrie, et, après un évènement apportera une estimation de la perte pour l’industrie par lignes d’activités et par région, permettant d’avoir une vue de la perte globale causée par un évènement. Aujourd’hui, PERILS fournit principalement ses services pour les pertes liées aux tempêtes européennes.

Pour les émetteurs, c’est un outil qui permet d’avoir une référence indicielle de l’industrie et qui en fonction des parts de marchés d’un émetteur peut permettre de fournir une corrélation assez forte entre un indice PERILS pondéré et les pertes réelles indemnitaires d’un assureur. C’est un outil de transfert de risque efficace pour le sponsor au sens où il va diminuer le risque de base (l’écart potentiel entre les pertes de l’assureur et le recouvrement par le cat bond). Pour les investisseurs, c’est un indice transparent qui va diminuer les risques associés à un portefeuille indemnitaire (un portefeuille indemnitaire va concentrer les risques de souscriptions ou de paiements de sinistres qui sont propres à un assureur, alors qu’ici, on a un trigger qui référence une perte de marché global et réduit les risques sur un assureur en particulier). C’est donc un outil fortement utilisé aussi bien par les sponsors que par les investisseurs, pour transférer les risques de tempête.

Les observateurs extérieurs ont tendance à sous-estimer la liquidité de ce marché, qui est resté d’ailleurs extrêmement liquide, même pendant les conditions de marché difficile entre fin 2008 et début 2009, période où les volumes du marché secondaire ont été historiquement les plus élevés.
Jean Louis Monnier

Un des griefs récurrents des investisseurs sur ce type de produits est la relative opacité du marché secondaire et les fourchettes plutôt larges…. Peut-on dire que ces produits sont exclusivement des produits de type « buy and hold » sans possibilité de sortie « facile » ?

Non, je pense que les observateurs extérieurs ont tendance à sous-estimer la liquidité de ce marché, qui est resté d’ailleurs extrêmement liquide, même pendant les conditions de marché difficile entre fin 2008 et début 2009, période où les volumes du marché secondaire ont été historiquement les plus élevés. Il y a eu des mouvements sur le marché secondaire, mais la performance est restée positive sur la totalité de l’année 2008. Nous avons observé une grande liquidité et un marché qui a bien performé par rapport à d’autres classes d’actifs. L’essentiel des volumes de marchés secondaires se font sur des bid/offer qui sont assez serrés avec des markets makers comme Swiss Re qui apporte de la liquidité au marché ou sert d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs. Là où je vous rejoindrai c’est que de nombreux investisseurs achètent des positions pour constituer un portefeuille diversifié et ne vont gérer leur allocation d’actifs à la marge d’un portefeuille qui reste assez stable. De ce côté-là oui, on peut parler d’investisseurs qui ont des stratégies « buy and hold », on achète pour toucher des primes sachant qu’on prend un risque d’assurance en le conservant, mais c’est aussi la nature même du marché, plus que les activités de trading. Mais ce positionnement ne doit pas masquer le fait que jusqu’à aujourd’hui, la liquidité a toujours été bonne et que les fourchettes de trading sont plutôt serrés compte tenu de la nature du risque.

Le coût lié aux catastrophes est allé croissant après le tremblement de terre au Japon et le tsunami qui s’en est suivi. Si ces évènements sont de nature à inciter les assureurs ou réassureurs à transférer encore plus leurs risques via les marchés, ils risquent à contrario de freiner les ardeurs des investisseurs. Comment voyez-vous le futur de ce marché des « Insurance-Linked Securities » ?

Le tremblement de terre au Japon a entraîné des pertes pour le marché des Cats Bonds, si on regarde l’impact sur l’indice Swiss Re, une baisse de l’ordre de 4%, si on regarde les pertes directes liées au marché et aussi les écartements des spreads sur certains autres actifs. Il y a un impact mais sans surprise autour de cet évènement vu l’ampleur de la catastrophe et son épicentre qui était au nord est de Tokyo mais assez loin de la région de Tokyo. Les bonds qui ont été affectés étaient ceux les plus exposés vis-à-vis de cette région. Pour les investisseurs, il n’y a pas eu de surprises dans les pertes occasionnées par cet évènement, ce qui a entraîné une certaine confiance dans la modélisation de ces risques, et ce qu’on a vu de la part des investisseurs, au contraire d’une réaction de défiance à la suite de cet évènement, une allocation d’actifs accrue vers le marché des Cats Bonds pour peut être bénéficier d’une anticipation de spreads qui seraient plus élevés à l’avenir. On a donc vu, une confiance réitérée des investisseurs vis-à-vis de cet évènement.

Un assureur qui achète une protection, peut prendre en compte le bénéfice de cette protection au sein de son modèle interne de capital.
Jean Louis Monnier

Et comment voyez-vous le futur de cette classe d’actifs qui donne l’impression d’être un marché très anglo-saxon ? Va-t-il plus se développer en Europe ?

Historiquement c’est un marché qui s’est développé autour du marché de transferts de risque américain, avec les risques d’ouragans aux Etats-Unis qui concentrent les coûts les plus élevés pour les assureurs et les réassureurs. Ce sont les risques sur lesquels les spreads sont les plus élevés, la rémunération pour les investisseurs est la plus élevée et sur un risque qui est à la fois le pic de concentration pour le marché et offre une diversification pour les investisseurs. C’est le cœur du marché. Mais ce qu’on voit avec PERILS qui apporte une diversification en Europe aux investisseurs sur les évènements de type tempêtes, tremblements de terre, ou typhons au Japon, c’est un resserrement des spreads assez important depuis 2008 sur ces risques là, les rendant plus attractifs pour les sponsors. La combinaison de spreads plus serrés ainsi que de nouveaux outils comme PERILS, constituent un facteur favorable pour la croissance du marché et l’arrivée de nouveaux sponsors dans les années qui viennent. Nous sommes plutôt optimistes sur la demande à la fois de protection pour les sponsors, mais aussi sur la capacité des marchés à répondre à cette demande de protection.

Quel va être l’impact de solvabilité II sur le marché ?

Il faut d’abord noter que le bénéfice que fournit l’accès aux marchés de capitaux qui permet d’obtenir une diversification de source de liquidités en dehors du marché de la réassurance, sous forme collatéralisé, est un point facilité par Solvency II. En particulier, la reconnaissance du bénéfice d’une collatéralisation AAA peut être un facteur favorable aux émissions futures.

Il y aura une reconnaissance de la qualité du crédit fourni par le collatéral et une reconnaissance du transfert de risque quelque soit sa forme, non seulement sous forme de quote-part de réassurance, mais aussi de transfert de risque sous forme indicielle ou sous forme de Cats Bonds pourra être reconnu dans les modèles internes des assureurs.
Un assureur qui achète une protection, peut prendre en compte le bénéfice de cette protection au sein de son modèle interne de capital.

Paul Monthe , Avril 2012

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