Règlement sur la vente à découvert : Un remède inadapté

Selon Bruno Mathis et Jérome Sermadiras, Manager et Manager Principal chez Sterwen, la publication d’une position short par un acteur notoire risque de susciter des comportements moutonniers et d’affaiblir davantage la société attaquée...

Saisie par la Commission Européenne, l’ESMA a rendu le 20 avril son avis technique sur « la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit », à l’issue d’une consultation menée au pas de charge. Il complète ainsi le règlement N° 236/2012 voté le 14 mars par le Parlement européen.

Lors de la crise financière de 2008, la vente à découvert avait été dénoncée comme facteur aggravant de l’instabilité des marchés. Trois arguments essentiels avaient été avancés : les signaux alarmants qu’elle envoie au public seraient susceptibles de déclencher un « bank run » et de précipiter l’effondrement d’établissements financiers déjà fragilisés ; les opérations de ventes à découvert pourraient s’inscrire dans des manipulations du marché ; enfin, le risque d’incident de livraison des titres vendus à découvert pourraient entraîner une cascade de défauts, avec un risque de propagation systémique.

Le règlement N°236 se propose de limiter ces risques, notamment par la mise en œuvre de trois dispositifs d’atténuation. Le chapitre V prévoit la possibilité, pour le régulateur, dans diverses conditions de marché, de restreindre temporairement les ventes à découvert. Le chapitre II traite de l’obligation pour les détenteurs de positions courtes de déclarer celles-ci auprès de l’ESMA, pour dissuader ainsi d’éventuels abus de marché. Et l’article 12 du chapitre III impose aux vendeurs à découvert de prendre des dispositions contractuelles garantissant la disponibilité des titres nécessaires pour solder leurs positions.

L’examen de ces dispositions phares appelle selon nous des observations contrastées :

La restriction temporaire des ventes à découvert reprend, en les élargissant au CDS souverains, et en les harmonisant au niveau européen, des mesures souvent préexistantes dans les droits nationaux. Ce faisant, elle renforce la cohérence de ces dispositifs, accroissant ainsi leur efficacité et leur équité vis-à-vis de l’ensemble des acteurs du marché quelle que soit leur localisation ou leur statut. Sa mise en œuvre reste relativement simple et n’implique pas de moyens techniques ou humains coûteux pour être appliquée. Enfin, son effet de « coupe-circuit » est réel, même si son efficacité intrinsèque en termes de réduction du risque systémique est mise en doute par plusieurs études académiques [1].

La publication d’une position courte par un acteur notoire ne risque-t-elle pas de susciter des comportements moutonniers et d'affaiblir davantage la société attaquée?
Bruno Mathis et Jérome Sermadiras

En revanche, les deux autres dispositions posent problème : L’application du principe de transparence repose sur la mise en œuvre d’un reporting sur leurs positions courtes de la part des acteurs du marché. Les modalités de ce reporting, bien que simplifiées dans une certaine mesure à l’issue de la phase de consultation, demeurent complexes et requièrent des moyens techniques et humains coûteux, tant chez les investisseurs eux-mêmes que chez leurs teneurs de compte.

Quel bénéfice attendre en contrepartie de ce coût ? Que pourra-t-on déduire de la lecture de ces positions courtes nettes, publiées à partir d’un seuil bas (0,5% des titres émis) et qui agrègent cash et dérivés, trading et couverture, et toutes stratégies d’investissement, selon des modalités pratiques qui diffèreront selon les acteurs ? La publication d’une position courte par un acteur notoire ne risque-t-elle pas de susciter des comportements moutonniers et d’affaiblir davantage la société attaquée ? N’aurait-elle pas, par exemple, précipité la débâcle des hedge funds qui, en 2008, avaient parié l’action Volkswagen à la baisse ? (voir encadré ci-dessous)

Par ailleurs, la directive sur les marchés d’instruments financiers adoptée en 2007 a déjà institué un dispositif de reporting des transactions avec précisément pour objectif de permettre aux régulateurs de surveiller le bon fonctionnement des marchés, et les transactions de vente à découvert leur sont déjà transmises. Enfin, la directive sur les abus de marché sanctionne déjà les ventes à découvert qui abuseraient les autres investisseurs.

La troisième disposition s’inspire de la « Locate Rule » en vigueur outre-Atlantique.

En la matière, l’Europe a déjà considérablement amélioré la sureté du règlement-livraison par le renforcement de la directive dite « CSD », en « améliorant le règlement des opérations sur titres dans l’Union européenne et sur les dépositaires centraux de titres ».

De fait, en comparaison des Etats-Unis, les taux de suspens constatés en Europe, notamment en Grande-Bretagne et en France, sont négligeables, sans doute parce que les modalités de résorption des suspens y sont plus punitives. Les suspens ne sauraient donc passer pour un facteur d’instabilité des marchés. L’instauration d’une obligation supplémentaire visant à sécuriser les livraisons de titres au préalable des opérations de vente à découvert apparait donc sans cause évidente. En contrepartie, l’application de cette obligation devrait entrainer un surcoût non négligeable lié à cette « assurance sur la livraison » qui pèsera nécessairement sur l’activité et une diminution de la liquidité globale des titres concernés par leur réservation en amont des opérations de vente à découvert.

Alors que dans son analyse d’impact, L’ESMA avait admis l’insuffisance de données chiffrées pour estimer les coûts induits par cette nouvelle réglementation, on ne peut que regretter que le résultat final ne soit pas mieux proportionné au problème posé : ce n’est pas un remède, c’est de la sur-médication.

Retour sur l’affaire Porsche/Volkswagen de 2008

Alors que Porsche détenait déjà 42,6 % des parts et le Land de Basse-Saxe 20 %, des hedge funds anticipant une baisse du cours de l’action Volkswagen avaient emprunté des titres en masse pour les vendre à découvert ; ils ignoraient que Porsche avait par ailleurs acquis des options d’achat représentant 31,5 % de capital supplémentaire auprès de plusieurs banques, lesquelles avaient acheté au comptant les actions sous-jacentes pour faire face à l’éventualité d’un exercice de ces options. Quand les hedge funds ont dû chercher, sur un marché asséché, les titres nécessaires au remboursement de leurs emprunts, le cours de Volkswagen a subitement doublé et provoqué une perte estimée à 20 à 30 milliards d’euros pour les hedge funds. Si cette règle de publication avait été en vigueur, ces hedge funds, bien qu’américains, auraient alors dû publier des positions courtes sur cette valeur européenne, tandis que Porsche n’aurait pas été davantage astreint à publier ses propres positions longues ; d’autres investisseurs auraient alors pu deviner le mauvais pas dans lequel ces hedge funds s’étaient mis, et spéculer contre eux.

Bruno Mathis , Jérome Sermadiras , Novembre 2012

Notes

[1] Par exemple, Didier Marteau, « Doit-on interdire les ventes "nues" en France ? », Le Monde, 14 juin 2010

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