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Juridique et Fiscalité

Loi de Finances pour 2019 : Un abus de droit peut en cacher un autre

Codifié à l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales, l’abus de droit est l’arme que l’administration fiscale peut brandir à tout moment pour mettre en échec les contribuables trop imaginatifs. Contrairement à une idée reçue, l’administration fiscale ne peut utiliser cette incrimination de manière discrétionnaire, et les cas de mise en œuvre sont étroitement délimités par la loi...

Codifié à l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales, l’abus de droit est l’arme que l’administration fiscale peut brandir à tout moment pour mettre en échec les contribuables trop imaginatifs.

Contrairement à une idée reçue, l’administration fiscale ne peut utiliser cette incrimination de manière discrétionnaire, et les cas de mise en œuvre sont étroitement délimités par la loi.

L’incrimination est limitée aux actes fictifs (par exemple, la donation d’un bien à un tiers déguisé en vent, pour éviter d’acquitter des droits de donation de 60 %), et aux actes dont le motif est exclusivement fiscal et qui utilisent un texte dans un esprit contraire à la volonté de ses rédacteurs.

Jugeant que le motif exclusivement fiscal était insuffisant pour lui permettre de faire triompher ses vues devant le juge de l’impôt, l’administration fiscale a, de longue date, fait le siège du législateur pour que ce dernier substitue au motif exclusivement fiscal un motif principalement fiscal. Cette tentative, couronnée de succès lors du vote de la Loi de Finances pour 2014, s’est heurtée à l’opposition du Conseil Constitutionnel, qui, dans une décision du 29 décembre 2013, a jugé le texte contraire à la Constitution, car laissant une importante marge d’appréciation à l’administration, alors que sa mise en œuvre avait des conséquences très lourdes pour les contribuables, avec une pénalité de 40 %, voire 80 % des impôts dus.

Alors qu’on pensait le sujet clos, à la suite d’un amendement d’origine parlementaire, la loi de finances pour 2019 vient d’instituer une nouvelle procédure d’abus de droit, distincte de la procédure existante. Dans cette procédure, codifiée à l’article L 64 A du LPF, le motif fiscal exclusif est remplacé par un motif fiscal principal. La différence avec le régime existant réside dans l’absence de référence aux pénalités de 40 ou 80 % prévues par l’article 1729 b du CGI, laissant entendre que l’administration s’en tiendrait au seul rétablissement des droits éludés, assortis de l’intérêt légal de retard.

Mais ce serait oublier que l’alinéa c de l’article 1729 prévoit une pénalité de 80 % des droits dus pour manœuvres frauduleuses. Est-il bien raisonnable de penser que l’administration fiscale n’en fera pas usage dans ce cas précis ?

Une question vient immédiatement à l’esprit pourquoi le nouveau dispositif fait-il partie intégrante de notre droit positif, à la différence du texte de 2013 ? En fait, saisi par des parlementaires, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision sur la loi de finances pour 2019 le 28 décembre dernier. Mais nulle analyse n’est rendue dans cette décision quant à la constitutionnalité du dispositif de l’abus de droit « nouveau ». En réalité, le Conseil ne s’est prononcé que sur les sujets jugés litigieux et déférés devant lui par les parlementaires, et faute d’être saisi sur la partie du texte relative à l’abus de droit, il est resté silencieux.

Il y a toutefois deux points positifs : d’abord, le nouveau dispositif ne rentrera en vigueur qu’au 1er janvier 2020 ; de ce fait , les contribuables désireux de mettre en œuvre une stratégie globale d’optimisation de leur situation patrimoniale disposent d’une année entière pour la mettre en œuvre sous l’empire des textes anciens, sachant que certaines problématiques juridiques et fiscales sont aujourd’hui bien éclaircies par la jurisprudence ; à titre d’exemple, les opérations de « vente à soi-même » ont été à différentes reprises considérées comme des opérations non répréhensibles par le Conseil d’Etat.

Enfin et surtout, tout espoir d’invalidation du texte n’est pas perdu. En effet, le Conseil peut se prononcer sur la constitutionnalité d’un texte de loi à deux niveaux : le premier est celui d’un contrôle a priori, juste avant la promulgation du texte de loi. Mais il peut également se prononcer a posteriori, lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est portée devant lui par les tribunaux de l’ordre judiciaire ou administratif. Une invalidation du texte (hypothèse la plus favorable) ou une minoration de ses conséquences les plus négatives (par exemple, en faisant une réserve d’interprétation précisant que la pénalité de l’article 1729 alinéa c n’est pas applicable dans le cadre de la procédure nouvelle) dans un proche avenir n’est donc pas à écarter.

Jean-Francois Lucq , Janvier 2019

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