Banques spécialisées contre banques universelles ?

Le Conseil des Etats a rejeté la proposition d’introduction d’un système bancaire différencié. Du point de vue du Credit Suisse également, un tel changement de système n’améliorerait pas la stabilité du système financier.

Cet objectif pourra davantage être atteint si les dispositions suisses « too big to fail » continuent d’être mises en œuvre de manière cohérente.

Les propositions concernant l’introduction d’un système de séparation des activités bancaires n’ont pas réussi à s’imposer au parlement suisse. Si elles avaient été acceptées, le Conseil fédéral aurait dû élaborer des mesures visant à interdire et à remplacer le système de banques universelles par une scission ordonnée par l’Etat entre les banques commerciales et de gestion de fortune, d’un côté, et les banques d’investissement de l’autre côté. Au Conseil national, une majorité avait soutenu les motions correspondantes en septembre 2013. Or le Conseil des Etats s’étant exprimé contre ces propositions le 12 mars 2014, elles sont définitivement rejetées.

Le Conseil fédéral avait déjà rejeté des interventions en ce sens et la Commission d’experts élargie « too big to fail », qui a traité ce sujet en profondeur sur mandat du Conseil fédéral en 2010, avait également jugé une telle mesure trop radicale pour la Suisse. En fait, un changement de système aussi brutal n’aurait que des inconvénients : un système bancaire différencié ordonné par l’Etat n’améliorerait pas la stabilité du système financier mais limiterait fortement les prestations des grandes banques pour leur clientèle privée et d’entreprises. Ce qui affaiblirait sensiblement l’économie helvétique, clairement tournée vers l’international.

Aucune garantie de renforcement de la sécurité

La comparaison historique montre que les systèmes de séparation des activités bancaires ne peuvent guère empêcher à eux seuls l’effondrement de groupes bancaires entiers. Dans tous les cas, le système bancaire différencié ne peut garantir la meilleure stabilité du système financier que tous souhaitaient après la crise financière mondiale, que ce soit au niveau mondial ou national.

C’est précisément ce que montre le déroulement de la crise financière de 2008 à 2011 : aucun indice ne prouve qu’un système bancaire différencié aurait permis d’éviter cette crise.

Au contraire, ce sont justement des banques « séparées » qui ont initialement été les plus lourdement touchée et qui ont lancé la crise : des banques d’investissement « pures » n’abritant pas de dépôts d’épargne (p. ex. Lehman Brothers, Bear Stearns ou Merrill Lynch), ainsi que des banques de détail spécialisées sans activités d’investment banking internes au groupe (telles que Northern Rock ou Washington Mutual) – c’est-à-dire précisément les formes de banques qu’encouragent les propositions sur le système de séparation des activités bancaires. En revanche, des banques universelles telles que Bank of America ou JPMorgan Chase ont pu racheter des établissements insolvables et ainsi contribuer à réduire les risques systémiques. [1]

Les banques universelles tendanciellement plus stables

En Suisse aussi, les banques universelles se caractérisent par une meilleure stabilité tendancielle. Pendant la crise immobilière suisse du début des années 1990, ce sont les grandes banques qui, grâce à leurs activités diversifiées, ont pu compenser les pertes des opérations bancaires traditionnelles par des bénéfices dans le négoce international de titres et les opérations commerciales, notamment dans les opérations sur dérivés – contrairement aux banques régionales et cantonales, plus durement touchées. Les bénéfices que les grandes banques ont pu réaliser par leurs activités diversifiées ont non seulement offert un volant de sécurité à ces établissements eux-mêmes, mais également contribué à stabiliser l’économie helvétique. [2]

Un pilier central et un avantage compétitif important

Dans le quotidien de l’économie, ce sont précisément les banques universelles qui exécutent toute une série de prestations centrales pour les entreprises helvétiques. Cela comprend le conseil en matière d’introductions en bourse, de fusions et d’acquisitions ainsi que la couverture des risques de change, de taux et d’autres risques financiers. La mise en place d’un système de séparation des activités bancaires limiterait cette offre de prestations et rendrait l’économie suisse plus dépendante des banques étrangères. En outre, le système suisse des banques universelles combinant banque privée et banque d’investissement apporte à la place financière helvétique la connaissance technique du marché des capitaux dont elle a besoin en tant que site de banque privée leader au niveau mondial.

Le modèle de banque universelle offre donc aux banques suisses les meilleures conditions pour profiter de synergies, qui peuvent même être renforcées lorsque la banque d’investissement et la banque privée et de gestion de fortune peuvent collaborer avec le moins de barrières possible.

En outre, de plus en plus de clients privés fortunés et d’entreprises accordent de l’importance à un accès élargi aux produits du marché des capitaux. A l’étranger également, cela revêt une importance particulière – le modèle de banque universelle permet aux grandes banques suisses d’exploiter des marchés étrangers et d’acquérir de nouveaux clients, et donc de créer de la valeur et des emplois en Suisse.

Les dispositions « too big to fail » montrent leurs effets

En réaction à la crise financière, des débats intensifs ont été menés en Suisse entre autorités de surveillance, dirigeants politiques, experts et grand public concernant la régulation des grandes banques.

Dans ce cadre, la Suisse a volontairement opté pour une autre voie nettement plus efficace afin de surmonter la problématique « too big to fail », et ainsi renoncé à une prescription étatique concernant le modèle commercial des banques. Au lieu de cela, le Parlement a adopté en 2011 un ensemble de lois et de mesures contenant notamment des dispositions relatives au capital et aux liquidités, qui font partie des plus strictes et restrictives au monde, et sont aujourd’hui mises en œuvre avec empressement par les deux grandes banques suisses :

  • nette augmentation des fonds propres et réduction des risques. Les exigences strictes imposées aux deux grandes banques en matière de capitaux et de liquidités montrent déjà leurs effets : le Credit Suisse a déjà nettement relevé ses fonds propres, réduit ses opérations pour compte propre de manière anticipée et diminué de plus de moitié les actifs pondérés des risques dans ’’Investment Banking. Par ailleurs, son bilan a été comprimé de 1415 milliards de francs mi-2007 à 873 milliards fin 2013, soit une réduction de 38%. Le résultat du bilan actuel offre donc au Credit Suisse plus de 100 milliards de francs (11%) de fonds propres capables de supporter les pertes et de fonds de recapitalisation ;
  • obligation de planification des urgences pour les grandes banques : les grandes banques doivent démontrer qu’elles disposent de plans d’urgence assurant le maintien des fonctions d’importance systémique en cas d’insolvabilité. Avec l’adaptation de sa structure juridique annoncée fin 2013 et la création prévue d’une unité bancaire autonome en Suisse, le Credit Suisse pousse donc sa planification d’urgence d’ores et déjà plus loin que ne l’exige la loi actuelle. Mais c’est surtout la problématique « too big to fail » qui est ainsi désamorcée sur un point déterminant : des conditions réalistes sont créées pour que même une grande banque comme le Credit Suisse puisse être assainie en cas d’urgence, voire liquidée si l’assainissement ne devait plus être possible, sans que cela ne se répercute sur les contribuables.

Aller au bout du chemin suivi

Les inconvénients d’un système bancaire différencié pèsent donc largement plus lourd que ceux du système actuel éprouvé de banques universelles. Une scission des grandes banques forcée par l’Etat ne permettrait pas une meilleure stabilité du système financier mais limiterait fortement les services des banques universelles pour leur clientèle privée et d’entreprises, et affaiblirait donc l’économie helvétique.

Une mise en œuvre cohérente de la réglementation « too big to fail », telle qu’elle est actuellement en cours en Suisse, remplit mieux les objectifs recherchés, notamment améliorer la stabilité du système financier. Outre la réduction des risques et l’augmentation des fonds propres, le Credit Suisse va mettre en place une unité bancaire suisse juridiquement autonome. Ainsi, les activités helvétiques d’importance systémique pourront être protégées tout en garantissant un meilleur assainissement de l’ensemble du groupe en cas de crise.

Elena Schaller , Mars 2014

Notes

[1] Voir également Gerhard Hofmann / Andreas Bley (2012) : « Zur Diskussion über die Einführung eines Trennbankensystems in Europa », dans Zeitschrift für das gesamte Kreditwesen 21 du 01.11.2012, p. 1088

[2] Voir également Martin Hellwig (2007) : « Switzerland and Euroland : European Monetary Union, Monetary Stability and Financial Stability », p. 23

Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

Focus

Réglementation Remplacement des taux Euribor / Libor : Quelles conséquences pour les emprunteurs/prêteurs et les produits dérivés de taux d’intérêts ?

L’abolition de la publication du LIBOR était prévue pour 2020, mais la réforme a été repoussée à fin 2021 face au manque de préparation du système financier international.

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés