Licenciements au Crédit Agricole, symbole d’un violent déclin des banques françaises ?

Si les licenciements ont affecté le personnel dans les banques françaises, le malaise y semble beaucoup plus large. Un haut cadre démissionnaire y voit surtout le symbole éclatant d’un affaiblissement sans précédent des banques françaises…

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Comme la BNP Paribas et Société Générale quelques semaines plus tôt, le Crédit Agricole a confirmé les rumeurs de licenciements qui bruissaient depuis plusieurs semaines. La banque va licencier 2350 personnes dans le monde dont 850 en France. Les suppressions de postes concerneront essentiellement la BFI. 21 succursales à l’étranger seront fermées et 1750 personnes seront mises au chômage.

Si la communication de la banque verte – nous arrêtons le trading pour nous renforcer dans la banque de détail – est calibrée pour plaire au grand public, elle cache néanmoins plusieurs autres abandons stratégiques qui auront d’énormes conséquences à la baisse sur le PNB de la banque dans les années à venir.

Crédit Agricole CIB arrête les activités de dérivés actions et commodities

La banque française adopte un nouveau modèle pour sa branche de financement et d’investissement recentrée vers les grands clients et la fermeture de 21 pays.

Le Crédit Agricole, qui avait déjà renoncé aux financements aéronautiques, aux financements de projets et de shipping effectués en dollars comme ses consœurs françaises, arrête aussi les activités Dérivés Actions et Commodities. « Il s’agit là d’une faute majeure » estime Etienne Bair [1], haut cadre sur le départ dans une des grandes banques nationales de la place parisienne.

« Les banques françaises ont perdu une guerre économique à l’œuvre actuellement sur la planète financière, ce ne sont pas tant les licenciements qui posent problème, mais l’arrêt des activités dans certaines zones stratégiques du globe et plus globalement l’abandon du financement de certains secteurs porteurs dans les années à venir, comme l’aéronautique. Comment justifier l’arrêt d’un secteur aussi juteux dans les 10 à 20 prochaines années ? Notamment en Asie et dans les pays du Golfe où la croissance du secteur est estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars » ajoute Etienne Bair.

De nombreuses banques asiatiques, américaines, et même européennes se félicitent à haute voix de ce retrait massif des banques françaises. C’est notamment le cas de la banque Standard Chartered. Celle-ci, présente depuis des années en Asie et au Moyen-Orient où elle réalise près de 80% de ses bénéfices y voit l’opportunité de récupérer une partie du business abandonné par des concurrents sur le départ. « En réponse au durcissement réglementaire et à l’aggravation de la crise de la dette souveraine en zone euro, nous nous attendons à un deleveraging massif des banques européennes » confiait récemment Richard Meddings, directeur financier de Standard Chartered à l’agence Reuters.

Celui-ci s’attend à récupérer des parts de marchés dans le cash management, le financement de projets et le financement des activités import-export. Il compte aussi augmenter la vente de produits à forte valeur ajoutée, non seulement à ses 100 premiers clients, mais aussi aux 500 suivants.

Le constat est également partagé par Etienne Bair. « Certaines entreprises se plaignent déjà de l’absence des banques françaises lors de certaines opérations de financement. Ce comportement sera pénalisant pour leurs activités sous-jacentes (activités de conseil, vente de produits de couvertures via produits dérivés) à fortes marges, beaucoup de clients, lorsqu’ils obtiennent un financement, ne s’adressent qu’aux banques qui y ont participé, pour des demandes de couvertures en taux, change ou matières premières. Il risque donc d’y avoir une forte baisse du PNB induit par ces abandons d’activité. Les banques capables de résister, pourront alors augmenter leurs marges » affirme t-il.

Si les activités des banques françaises aux Etats-Unis et en Asie étaient rentables, elles étaient fortement consommatrices en capital. Les banques françaises rencontraient aussi de plus en plus de difficultés pour se financer en dollars, « fusillées » par les fonds monétaires américains. Ceux-ci ont en effet été les premiers à dégainer en retirant près de 100 milliards de dollars entre fin mai et début août des établissements européens et principalement des banques françaises, accentuant ainsi la pression sur celles-ci.

« La FED, au lieu d’aider à la liquidité en dollars de l’ensemble du système financier, s’était dans un premier temps inquiétée d’un éventuel siphonage des fonds des Etats-Unis vers l’Europe, via les filiales de certaines banques européennes. Elle s’est réveillée un peu tard, en baissant le taux de ses swaps de devises avec les autres banques centrales mais le mal était déjà fait » analyse Etienne Bair.

Faut-il y voir un complot comme le suggérait Laurence Parisot patronne du MEDEF ? « Complot ? Je ne sais pas, mais nous sommes dans un monde en forte compétition et pour le coup, les banques françaises ont été naïves, elles auraient dû se fédérer et refuser d’appliquer ces nouvelles règles iniques, totalement contre productives et absurdes. Les banques américaines n’ont jamais appliqué les accords de Bâle II, c’est un choix politique ! Il faudrait que les banques françaises et européennes refusent ceux de Bâle III » répond Etienne Bair.

Maxime Onan , Décembre 2011

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Notes

[1] Pour des raison de confidentialité, le nom et le prénom ont été modifiés

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