La crise de l’Euro n’est pas terminée

Selon Bruno Colmant, Chef Economiste, Banque Degroof Petercam, il apparaît que la politique monétaire accommodante de la BCE porte en elle les conditions d’un brutal réveil du risque étatique, et donc de dissensions dans la gestion politique de la monnaie unique.

Si cette réalité est aujourd’hui banalisée, la constatation de taux d’intérêt négatifs reste une incongruité historique. Cette situation est provoquée et renforcée par la BCE qui impose un taux d’intérêt négatif de -40 points de base sur les dépôts qui lui sont confiés. Depuis peu, la BCE acquiert même des obligations d’Etat qui présentent un rendement inférieur à ces -40 points de base. Comme le programme d’achat d’obligations souveraines respecte des allocations par pays, cela fait plonger le taux d’intérêt des obligations allemandes dans des tréfonds inconnus depuis la Réforme protestante du 16ème siècle. Est-il sain d’imposer des taux d’intérêt négatifs ? Je ne le crois pas. En bonne logique de marché, le taux d’intérêt devrait être fixé par la loi de l’offre et de la demande. Il est hasardeux qu’une banque centrale frappe d’un taux d’intérêt négatif la monnaie qu’elle vient de créer. En effet, la monnaie créée par la BCE revient immanquablement à son passif bilanciel. Tout se passe comme si la BCE imprimait des billets qui, une fois dispersés dans l’économie, revenaient sous forme de dépôts bancaires, assortis d’un taux d’intérêt négatif, à son propre bilan. De surcroît, la négativité des taux d’intérêt accentue un déséquilibre inhérent à la zone euro, à savoir que ce sont les pays les moins risqués ou les moins endettés qui voient leur condition d’emprunt s’améliorer. Les finances publiques des pays forts en sortent donc renforcées. Bien sûr, on peut comprendre la réticence de certains États à voir leur banque centrale devenir un comptoir d’escompte des dettes publiques de pays faibles. Il n’empêche : la gestion des taux d’intérêt est incongrue.

Cette situation, combinée au gigantesque assouplissement quantitatif que la BCE met en œuvre depuis deux ans, est singulière, non seulement dans ses modalités, mais aussi dans ses prospectives.

Il est évident que la BCE a commis, pendant quatre ans, une erreur de jugement.

La dernière année du mandat de Jean-Claude Trichet se sont soldées par deux augmentations de taux d’intérêt, en pleine crise grecque, au motif de la vigilance contre l’inflation alors qu’il a fallu trois ans à Mario Draghi pour mettre en œuvre une injection monétaire après un déni de déflation patente. Ces années perdues ont indéniablement contribué au tassement économique de la zone euro. Au-delà de ses apparences de tentative de reflation de l’économie et d’affaiblissement de l’euro, l’assoupissement quantitatif a essentiellement pour fonction d’alléger le financement des Etats. Au terme probable de sa mise en œuvre, près de 20 % des dettes publiques de la zone euro seront logées, pour une très longue période, dans le bilan de la BCE. Cela s’assimile à un rééchelonnement, voire à une perpétualisation partielle, de ces mêmes dettes publiques.

Il est évident que la BCE va devoir s’extraire de cette situation monétaire intenable qui biaise l’allocation du capital et perturbe les lois naturelles de la monnaie.

Les taux d’intérêt à court terme vont devoir être haussés tandis que le programme d’assouplissement quantitatif s’éteindra, de manière progressive, dans les prochains trimestres. Sa prolongation semble, en effet, improbable, sauf à envisager un revirement idéologique de l’Allemagne et des Pays-Bas sur la politique monétaire.

Cette sortie de la politique monétaire ne se fera pas sans heurts. En effet, le risque politique ambiant sera persistant. Une ou deux élections ne vont pas modifier l’insatisfaction grandissante par rapport à une monnaie dont les vices de fabrication et de gouvernance s’accroissent.

Ce risque politique confirmera sans doute la confrontation entre la perception allemande de la monnaie, selon laquelle cette dernière doit s’apprécier par le travail, et la perception latine qui conduit à ce que la monnaie doit se déprécier pour le travail.

De surcroît, les risques étatiques, temporairement camouflés par des taux d’intérêt artificiellement bas, vont se manifester à nouveau. A cet égard, il n’est pas anodin que deux des quatre principaux candidats à l’élection présidentielle française préconisent un défaut sur la dette publique, que ce soit par un retour au franc français ou par un « aménagement » de la dette. Cela devrait entraîner une hausse des primes de risques sur les endettements publics français, espagnols et italiens. Ces Etats devront probablement mettre en œuvre une certaine répression financière caractérisée par la canalisation de l’épargne domestique vers le financement de leur propre dette. Les banques et les compagnies d’assurance-vie seront donc sollicitées pour assurer une partie du renforcement de leur propre autorité de tutelle. Cette situation est très éloignée de la mobilité des capitaux qui avait servi de condition préalable à l’instauration de l’euro.

En conclusion, il apparaît que la politique monétaire accommodante de la BCE porte en elle les conditions d’un brutal réveil du risque étatique, et donc de dissensions dans la gestion politique de la monnaie unique. Tout ceci aurait été évitable si un constat correct de la crise avait été dressé en 2009. Le Etats-Unis et le Royaume-Uni le firent. Pas la zone euro, qui privilégia le dogmatisme rhénan au pragmatisme anglo-saxon.

Bruno Colmant , Mars 2017

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