L’Euro survivra et l’Italie restera dans la zone Euro (2)

Pour en revenir et terminer avec l’Italie, l’on fera remarquer que c’est dans ce pays que le système bancaire est l’un des plus fragiles de la zone Euro, ce qui rend encore plus insoutenable une sortie de l’UEM. Le bail-in est totalement inapplicable en Italie et depuis 2015...

Nous avons vu dans une première partie deux raisons fortes qui permettent d’expliquer pourquoi l’euro est devenu irréversible

  • Il y a tout d’abord l’omniprésence de la BCE depuis 2012 dans sa communication (avec le fameux « whatever it takes ») et depuis 2015 avec ses actions de monétisation des dettes publiques réduisant significativement les risques de crise systémique souveraine et/ou bancaire en zone Euro
  • Il y a aussi le constat que les déséquilibres au sein de la zone Euro (hétérogénéité des situations de balances des paiements, TARGET,..) rendent impossible la sortie de la zone aussi bien pour les pays « excédentaires » que pour les pays « déficitaires » compte tenu des coûts macroéconomiques et financiers insoutenables qu’une telle situation générerait

Nous allons voir ici que deux autres types d’explications confortent l’irréversibilité de l’euro.

L’IMPOSSIBILITE POUR LES MOUVEMENTS POLITIQUES POPULISTES (qu’ils soient dans l’opposition ou au pouvoir) DE REMETTRE EN CAUSE L’UNION ECONOMIQUE ETMONETAIRE

Attention, il ne s’agit pas ici de faire preuve de mépris intellectuel vis-à-vis de ceux qui ne sont pas très familiers avec l’économie comme le proclameraient avec démagogie les partis dits populistes ou extrêmes. Ce que nous voulons mettre en évidence, c’est qu’il est des lois économiques qui ne peuvent être transgressées sans dommage dans l’hémisphère Nord comme dans l’hémisphère Sud, dans les pays émergents comme dans les pays de l’OCDE, c’est-à-dire partout dans le monde. En réalité ces lois économiques ont rattrapé, rattraperont ou rattraperaient tous ces « responsables » politiques à l’origine de programmes économiques aussi stupides qu’inconséquents de Tsipras à Salvini en passant par Le Pen et Mélenchon. Malgré le stress provoqué par des craintes d’accession au pouvoir de candidats populistes, il faut toujours rester lucides parce-que leurs programmes sont inapplicables : sanctions des marchés ; rupture avec les institutions de Bruxelles (qui ne sont pas que technocratiques) ; incapacités de financement des dettes publiques, révoltes populaires à terme.

Certes l’Italie semble plutôt fondamentalement protégée par les phénomènes suivants en ce qui concerne les possibilités de refinancement de sa dette publique : taux de détention domestique important (autour de 65%) ; détention significative par la BCE (autour de 15%) ; excédents extérieurs qui représentent aujourd’hui plus de 4% du PIB et qui permettent donc des marges de manœuvre importantes en termes de dérapages budgétaires (si l’on peut s’exprimer ainsi).
Le problème, c’est que si les avertissements de la BCE, de Bruxelles et des marchés ne sont pas explicites, ce nouveau gouvernement italien aura vite fait de dilapider ses marges de manœuvre et de faire face à une vraie crise de solvabilité.
Bien entendu, il est impensable pour de tels gouvernements d’expliquer à leurs électeurs existants ou potentiels que leurs programmes conduiraient à la crise de solvabilité de l’état et qu’il n’y aurait alors que trois solutions et trois seulement pour se refinancer. Ces solutions ne sont pas naturellement exclusives l’une de l’autre.

A/ La première solution consisterait à solliciter les investisseurs et épargnants pour qu’ils achètent beaucoup plus de dette publique. On se dirigerait alors vers des opérations officielles de nationalisation d’une partie de l’épargne privée afin de réduire mécaniquement la dette publique nationale qui ne peut plus être payée en euros. Dès lors, l’état pourrait prendre le contrôle des obligations détenues par les fonds de pension et les transformer en retraites du système public.

B/ La seconde solution serait de trouver des recettes fiscales massives (donc tout le contraire des programmes démagogiques de baisse d’impôts) avec par exemple la création d’un fonds public visant à racheter et éliminer une large portion de la dette existante pour la ramener à des ratios Dette publique/ PIB plus soutenables. Ce type de fonds serait sans doute alimenté par la création d’impôts lourds sur le patrimoine et par une forte hausse de la fiscalité indirecte.

C/ La troisième solution souvent mise en avant par les économistes souverainistes serait la monétisation de la dette publique inscrite dans la loi. Mais pour cela il faudrait s’affranchir définitivement de la zone Euro, donc en sortir. Le Trésor public se financerait donc auprès de la « nouvelle » Banque centrale nationale qui émettrait la nouvelle monnaie nationale en fonction des besoins de l’État. La dette publique serait alors automatiquement détruite et transformée en masse monétaire en circulation. Cela revient non seulement à se mettre en congé de la zone Euro et d’un point de vue juridique à violer l’article 104 du traité de Maastricht et l’article 123 du traité de Lisbonne. Cette institutionnalisation de la monétisation avec effondrement de la nouvelle monnaie nationale contre euro conduit au désastre économique avec l’inflation importée (il s’agit de la mauvaise inflation, l’inflation inutile, celle qui n’a que des inconvénients : perte de pouvoir d’achat et risques de récession,…).

Il est clair que tout ceci est clairement impossible à présenter dans le programme économique d’un gouvernement populiste. En tout cas, une telle configuration est tellement absurde et insoutenable politiquement, économiquement et surtout socialement qu’il est extrêmement difficile d’envisager une sortie de l’Euro.

L’IRREVERSIBILITE DE L’EURO EST AUSSI CREDIBILISEE PAR LES PROGRES INSTITUTIONNELS ET JURIDIQUES INDENIABLES AU SEIN DE LA ZONE EURO DEPUIS 6 ANS

On a oublié les OMT qui n’ont jamais eu l’occasion d’être activés. De quoi s’agit-il ?

Depuis le conseil de la BCE du 6 septembre 2012, nous avons découvert les OMT (pour Outright Monetary Transactions).
Quatre différences ressortaient par rapport aux mesures non conventionnelles réalisées jusque là

  • Contrairement aux SMP (pour Securities Market Program) de 2010-2012 (Grèce, Portugal, Italie et Espagne), il ne fut pas fixé de limite quantitative à l’achat d’obligations d’État, tout au plus la maturité résiduelle maximale a été fixée à 3 ans.
  • Les obligations d’États en difficulté sont souscrites directement par la BCE, ce qui élimine la corrélation entre risque bancaire et risque souverain et diminue donc considérablement les risques systémiques.
  • Petite concession faite à l’Allemagne, la conditionnalité des OMT. En effet, les pays qui bénéficieront de ces programmes seront obligés d’adhérer à un programme dit d’ajustement complet ou à un programme dit de précaution.
  • Afin de satisfaire également le camp monétariste orthodoxe au sein de l’institut d’émission, les opérations effectuées seront stérilisées. Cela veut dire qu’officiellement la BCE va reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre. Ainsi toute la monnaie banque centrale émise pour acheter les dettes périphériques de la zone Euro est et sera reprise pour que la masse monétaire ne progresse pas (ce que l’on appelle dans le jargon des économistes la stérilisation de la liquidité). Il est vrai que ce point paraît aujourd’hui dérisoire au regard de l’extraordinaire création monétaire réalisée depuis 2015 avec le QE.

Cet outil n’a jamais eu besoin d’être utilisé parce qu’il y a eu la monétisation des dettes publiques avec la zone Euro.
Ces OMT ne peuvent naturellement être mises en place que pour un gouvernement « euro-compliant ». Donc ce dispositif ne serait pas vraiment adapté à la situation italienne, à moins qu’il le devienne selon le redoutable enchainement suivant : le gouvernement italien s’entête dans sa politique budgétaire laxiste, la crise sur les actifs italiens se ré-intensifie, le gouvernement comprend enfin l’insoutenabilité d’une telle situation et fait machine arrière tant sur ses déclarations de politique économique que sur ses déclarations concernant ses engagements européens. Dès lors, la BCE active les OMT, soit un QE spécifiquement italien.

Autre avancée institutionnelle forte, la mise en place de l’Union bancaire

Le raisonnement qui a sous-tendu la naissance de l’Union Bancaire était le suivant. Plus le total de bilan des banques en % du PIB était important, plus le risque d’un pays était important. C’est la raison pour laquelle on a cherché à mutualiser les risques en créant l’Union Bancaire qui permettrait de faire en sorte qu’un pays ne soit plus isolé pour venir en aide à ses banques en déficit de fonds propres et/ou de liquidité.

L’objectif est surtout de faire en sorte que la « consanguinité » entre le risque souverain et le risque bancaire soit éradiquée et qu’ainsi les crises financières du passé ne puissent se reproduire. Le raisonnement était simple et limpide

  • Moins les banques allaient détenir en portefeuille des titres d’état, et plus elles seraient immunisées contre des restructurations de dettes souveraines.
  • Et symétriquement, moins les États auraient besoin de sauver les banques, moins leur risque d’insolvabilité serait grand et plus l’épargne investie en titres d’État serait protégée.

Cette mise en place de l’Union bancaire est loin d’être achevée et a nécessité un certain nombre d’étapes

  • D’abord en 2013, il y eut la mise en place du mécanisme de supervision unique qui est le préalable à la recapitalisation directe des banques par le MES (mécanisme européen de stabilité). A la différence du Fonds européen de stabilité financière qui fonctionne avec la garantie des Etats pour emprunter des fonds et les prêter, le MES disposera d’un vrai capital de départ de 80 milliards d’euros et d’un capital mobilisable de 620 milliards d’euros, ce qui en fera un organisme proche d’une banque mais il faut effectivement aller plus loin
  • A partir de 2014, cette supervision bancaire est accompagnée par un mécanisme de résolution des crises bancaires qui mettra à contribution les actionnaires et les créanciers obligataires. On veut remplacer les sauvetages publics (les bail-out) par des sauvetages internes aux banques (les bail-in). En d’autres termes, ce n’est plus le contribuable qui doit sauver les banques mais l’actionnaire de la banque ou créancier subordonné
  • C’est quand même plus sain. Mais alors cela veut dire qu’il faut que les banques soient plus sûres pour que ces actionnaires, qui seraient en première ligne en cas de nouveaux problèmes, soient incités à conserver leurs positions ou même à les accroître. Voilà pourquoi dans la mise en place de l’Union, il est prévu à l’échelle européenne un système généralisé d’assurance à l’ensemble des ressources bancaires. Certes, tout ceci ne se mettra pas en place facilement compte tenu des réticences allemandes. En effet, si les dépôts de garantie des avoirs bancaires sont mis en commun, le coût des erreurs passées sera mutualisé et on ne souhaite pas en Allemagne endosser un passif dont l’on ne se sent pas responsable (on pourra toujours répondre que la banque la plus explosive et la plus systémique de la zone est allemande et s’appelle Deutsche Bank).

Pour en revenir et terminer avec l’Italie, l’on fera remarquer que c’est dans ce pays que le système bancaire est l’un des plus fragiles de la zone Euro, ce qui rend encore plus insoutenable une sortie de l’UEM. Le bail-in est totalement inapplicable en Italie et depuis 2015, toutes les difficultés de banques italiennes ont nécessité la mobilisation d’argent public (fonds publics) ou parapublic ((fonds de résolution, de garantie des dépôts) ou encore indirectement de création monétaire BCE. La raison est simple : les épargnants italiens détenaient encore 130 Mds€ de titre bancaires « bailinable » (c’est-à-dire pouvant potentiellement faire défaut) au 31/12/2016. Il n’y a pas de miracle et une faillite reste une faillite : le bail-out ruine les contribuables tandis que le bail-in ruine les épargnants. Le malheur, c’est que ce sont souvent les mêmes personnes. Quoi qu’il en soit s’il est bien un pays qui ne peut tourner le dos à l’Europe, c’est bien l’Italie.

Mory Doré , Juin 2018

tags
Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés