Baisse du pétrole : Une tendance lourde ?

Le baril de Brent a perdu 25% depuis juin. Cette baisse correspond-elle à une tendance conjoncturelle comme en 2012 ou 2013, ou à un mouvement structurel à plus long terme ? L’analyse de Jacques Blot, Conseiller de Convictions AM

1. Une demande qui stagne, une production qui augmente.

Le FMI vient d’abaisser les perspectives de croissance de l’économie mondiale : + 3,3% en 2014, + 3,8% en 2015. Aussi l’AIE a-t-elle revu à la baisse ses prévisions pour la demande de pétrole qui ne devrait guère progresser en 2015 (+1,2 mbj). La demande globale devrait être de l’ordre de 94 mbj en 2015 pour atteindre 99 mbj en 2019.

Dans le même temps, la production continue d’augmenter. Si les membres de l’OPEP respectent leur quota de 30 mbj, les autres grands producteurs, notamment les Etats-Unis et la Russie, accroissent le leur et concurrencent directement l’hégémonie de l’Arabie saoudite. Par ailleurs, les crises géopolitiques n’ont eu aucun effet sur la production, qui progresse même en Irak et en Libye.

2. Une baisse rapide des prix.

L’action conjuguée d’une demande atone et d’une production robuste expliquent pour partie l’ajustement, amplifié par les anticipations 2015. Elle ne suffit pas à justifier l’ampleur et la rapidité de la baisse.

Jusqu’à présent l’Arabie jouait le rôle de principal régulateur du marché. En cas de crise, elle avait une réserve de pompage d’environ 2,5mbj. En situation de surproduction, elle faisait réduire le contingent de l’OPEP. Sa politique semble avoir changé. Son objectif majeur ne serait plus la stabilité du marché, mais la conservation de ses parts de marché. En septembre, elle a augmenté sa production de 100 000 bj tout en annonçant une baisse des prix pour octobre et en octobre une nouvelle baisse pour novembre.

Cette politique pourrait préfigurer une guerre des prix, les Emirats, l’Irak et l’Iran se disposant à suivre son exemple.

En diminuant leur taux de dépendance, les Etats-Unis ont réduit leurs importations de brut, notamment en provenance des producteurs africains qui donc sont eux aussi à la recherche de nouveaux débouchés, ce qui ne peut que peser sur les cours.

A Moscou, une autre explication est avancée. Il y aurait accord entre les Etats-Unis et les Saoudiens pour faire baisser les prix de manière à toucher directement les économies russe et iranienne. La Banque centrale russe a retenu pour l’élaboration des budgets 2015-2017 un cours moyen de 100$, or le brut URL-E de l’Oural se rapproche des 90$. Dans un scénario catastrophe une baisse à 60$ conduirait le pays à la récession, à d’importants déficits courants et budgétaires et des sorties massives de capitaux. Enfin certains analystes estiment que la hausse du dollar explique pour partie la baisse du pétrole.

3. Jusqu’où peut aller la baisse ?

Il existe une zone dangereuse entre 80-85$. En-dessous se pose à grande échelle le problème des nouveaux investissements qu’il s’agisse du pétrole de schiste ou des forages en eau profonde. Avec un prix sous les 80$, la production américaine d’huile de schiste serait affectée, surtout si cela se combinait avec une hausse des taux d’intérêt. Le ministre Koweitien du pétrole vient de déclarer qu’on ne pourra pas inverser à court terme la tendance, mais que le prix ne peut pas descendre en dessous de 75-76$ le baril, qui correspond au coût de production en Russie et aux USA.

On peut donc estimer qu’une action conjuguée des grands producteurs conduirait à un plancher de 75/80$ et à une stabilisation entre 90 et 100$. Le Crédit suisse prévoit un baril à 93$ en 2016.

Les 12 membres de l’OPEP doivent se réunir à Vienne le 27 novembre. C’est à ce moment-là, en fonction de la situation du marché, qu’ils décideront d’une éventuelle adaptation des quotas de production.

4. Le pétrole peut-il rebondir ?

On ne peut exclure de légers rebonds (décision restrictive de l’OPEP ou hiver très rude). Mais il existe des causes structurelles qui pèsent en faveur d’une stabilisation en dessous de 100$, en particulier le déséquilibre entre une croissance mondiale moins rapide et l’augmentation de la production. L’AIE ne prévoit-elle pas que l’essentiel de la demande supplémentaire pourrait être satisfaite par la seule hausse de production de l’Irak.

Il demeure toutefois des inconnues et l’on sait à quel point les cours des matières premières peuvent être erratiques. Comment réagiraient-ils à de forts rebonds des économies en Chine ou en Europe ? Quelles seraient les conséquences d’une grave crise géopolitique affectant le Moyen-Orient, les relations des pays occidentaux avec la Russie ou entre grands pays asiatiques ? Comment va se développer l’exploitation des hydrocarbures de schiste ? Quel impact aura sur la consommation d’hydrocarbures le développement des énergies renouvelables ?

A terme, le problème de l’énergie demeure essentiel. Selon l’AIE (World Energy Outlook 2013), d’ici 2035 la demande globale aura augmenté d’un tiers, soutenue au premier chef par l’Inde et les pays d’Asie du Sud-Est, alors que la consommation des pays de l’OCDE devrait stagner. La plupart des sources actuelles seront épuisées ou en voie d’épuisement, les compagnies de l’OPEP contrôleront alors 80 % des réserves prouvées. La demande étant supérieure à l’offre, le prix du pétrole devrait se situer vers 128$ en 2035.

La situation actuelle met en lumière d’autres enjeux, ceux-là de nature stratégique. La montée en puissance des Etats-Unis au premier rang des pays producteurs a un effet fortement perturbateur. Non seulement elle renforce leur poids face à la Chine ou à la Russie, mais elle les place désormais en position de concurrence avec leurs alliés du Moyen- Orient. Par ailleurs la surproduction potentielle modifie les problèmes de dépendance, notamment pour les pays européens, tout en fragilisant ceux des pays producteurs qui ont besoin d’un pétrole cher pour satisfaire leurs besoins financiers.

Jacques Blot , Octobre 2014

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