Paris, destination privilégiée des enseignes de luxe

L’annonce récente de l’ouverture d’une première boutique Qela – propriété du Qatar Luxury Group – au 50 avenue Montaigne et l’inauguration fin avril par le Suisse Bucherer, au 12 boulevard des Capucines, du plus grand magasin multimarques au monde dédié à l’horlogerie sont l’occasion pour Cushman & Wakefield, cabinet de conseil international en immobilier d’entreprise, de dresser un panorama du marché des commerces de luxe.

« L’ouverture prochaine des deux magasins Berluti rue du Faubourg Saint-Honoré et rue de Sèvres, et l’inauguration par le groupe Hermès, dans cette même rue, de sa première boutique Shang Xia hors de Chine contribuent à faire de 2013 une année très animée en termes d’ouvertures, après l’effervescence déjà observée en 2011 et 2012 dans la capitale » annonce Pierre Raynal, directeur du département Commerces de Cushman & Wakefield France.

L’Europe : un marché essentiel pour les enseignes de luxe

La consommation d’articles de luxe par les pays émergents contribue de façon décisive aux performances des entreprises du secteur. Le continent asiatique, hors Japon, a par exemple représenté 32 % du chiffre d’affaires d’Hermès et 28 % des ventes du groupe LVMH en 2012. Ces performances sont principalement liées au développement du marché du luxe en Chine, où les enseignes étendent leur réseau dans les plus grandes métropoles et dans des villes secondaires. Elle tient aussi à la conquête de nouveaux marchés en Asie centrale (Brioni à Tashkent en Ouzbékistan, Louis Vuitton à Almaty au Kazakhstan) et en Asie du Sud-Est (Piaget à Phnom-Penh au Cambodge, Hublot à Manille aux Philippines). L’industrie du luxe n’en dépend pas moins, pour une part importante, des dépenses réalisées par les consommateurs des pays émergents à l’étranger. L’Europe, qui a capté la moitié des arrivées de touristes internationaux en 2012 et offre des produits de luxe aux prix plus compétitifs que les pays émergents, demeure ainsi l’un des principaux débouchés du secteur.

« En 2012, de nombreux projets de nouvelles boutiques, d’extensions ou de rénovations ont animé les grandes destinations européennes du luxe, à l’exemple du nouveau flagship de Tom Ford sur Sloane Street à Londres, du nouveau flagship Prada dans la Galleria Vittorio Emanuele II ou de la restructuration de la boutique Cartier Via Montenapoleone à Milan, ou encore de la nouvelle boutique Chanel sur la Piazza di Spagna à Rome » explique Pierre Raynal. Berceau des maisons de couture les plus prestigieuses et première destination touristique mondiale avec Londres, Paris n’a pas échappé à cette effervescence.

Le tourisme : moteur de l’activité du luxe dans l’Hexagone

En 2012, Paris a continué de profiter de la croissance des déplacements mondiaux. Ainsi, la baisse du nombre de visiteurs en provenance des pays européens les plus touchés par la crise, comme l’Espagne ou l’Italie, a notamment été compensée par la forte progression des arrivées de touristes issus des pays émergents. Avec une progression de plus de 50 % par rapport à 2007, l’évolution du nombre d’arrivées hôtelières en provenance de la Chine est particulièrement significative. Mais le nombre de touristes chinois – encore relativement limité par rapport à celui des touristes occidentaux ou japonais – est sans commune mesure avec le poids que ces nouveaux visiteurs représentent en termes de dépenses touristiques réalisées dans l’Hexagone. Selon Global Blue les touristes chinois ont ainsi constitué près du tiers des dépenses réalisées en France au quatrième trimestre 2012, tandis que six autres pays d’Asie (Indonésie, Thaïlande, Singapour, etc.) complètent le top 10 des nationalités les plus dépensières.

L’évolution récente du marché hôtelier parisien témoigne de la volonté d’améliorer les conditions d’accueil de cette clientèle en plein boom et de ne pas perdre de terrain par rapport aux autres grandes destinations touristiques internationales en termes de capacités d’hébergement haut-de-gamme. De nombreuses rénovations et ouvertures de palaces porteront ainsi le nombre total d’hôtels de luxe parisiens à 15 en 2015 contre 9 en l’an 2000. « L’ouverture du Shangri-La en 2009, du Mandarin Oriental en 2011 et celle, prévue en 2013, du Peninsula, et la réouverture, par le groupe Raffles, du Royal Monceau en 2010 démontrent l’arrivée de nouveaux opérateurs étrangers bien décidés à tirer parti de l’essor de la clientèle asiatique. Ces touristes, avides de marques prestigieuses, suscitent également la convoitise des grandes enseignes de luxe, expliquant la montée en gamme des grands magasins ou de l’offre commerciale des aéroports parisiens » explique Pierre Raynal. L’inauguration en 2012 du bâtiment de liaison entre les terminaux 2A et 2C de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle a ainsi permis de dévoiler une nouvelle zone dénommée « L’Avenue » qui, sur le modèle de l’avenue Montaigne à Paris, fait une large place aux enseignes de luxe (Hermès, Prada, Gucci, etc.).

Mais la très forte hausse des dépenses touristiques étrangères s’est avant tout traduite par un nombre impressionnant d’ouvertures de boutiques de luxe dans quelques grandes artères commerçantes parisiennes. « Près d’une centaine d’ouvertures de boutiques d’enseignes de luxe – créations pures, extensions, rénovations ou magasins éphémères – ont été répertoriées en France depuis 2011, pour la plupart situées à Paris et sur la Côte d’Azur » poursuit Pierre Raynal.

Avenue montaigne, rue du faubourg saint-honoré, place vendôme : le cœur historique du luxe conserve sa position dominante

Les mouvements enregistrés dans la capitale se sont principalement concentrés dans le cœur historique du marché français du luxe. Ainsi, l’avenue Montaigne et la rue du Faubourg Saint-Honoré ont concentré une part importante de l’activité constatée à Paris depuis 2011, au travers de nombreux projets de création, d’extension ou de redéploiement de nouveaux concepts, témoignant du désir des grandes enseignes d’y densifier leur réseau de boutiques et d’y étendre leur rayonnement. Giorgio Armani (au n°2) et Chanel (au n°51) ont par exemple ouvert une deuxième boutique avenue Montaigne tandis que Valentino y a tout juste dévoilé son nouveau concept (au n°17). Le développement des enseignes du groupe LVMH s’est également poursuivi, avec le transfert d’un magasin Fendi au n°51 de l’avenue Montaigne et l’ouverture à venir d’une boutique Berluti de 800 m² au n°9 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. « Le Faubourg est particulièrement prisé des grandes marques italiennes, comme l’a montré l’inauguration en 2011, au sein de l’ensemble Faubourg One, de nouvelles boutiques Brunello Cucinelli, Moschino ou Blumarine. La nouvelle boutique de 500 m² ouverte en 2011 par Ermenegildo Zegna au n°50, le transfert prévu en septembre 2013 de Moncler au n°7 et l’extension de la boutique Prada, qui dispose désormais d’un écrin de près de 2 000 m², témoignent en outre de la volonté des enseignes de luxe de disposer de grands flagships permettant d’asseoir leur visibilité à l’échelle mondiale » explique Pierre Raynal.

La place Vendôme et la rue de la Paix n’ont pas échappé à l’effervescence du marché du luxe parisien. La place Vendôme s’est notamment distinguée par une forte activité sur le marché de l’investissement avec l’acquisition au début de 2013 par le fonds pétrolier de l’État d’Azerbaïdjan, pour 135 millions d’euros, d’un hôtel particulier abritant notamment le nouvel espace Dior Joaillerie-Horlogerie. La place a également bénéficié de la volonté de LVMH d’affirmer son rayonnement au sein de cette terre d’accueil historique des maisons d’horlogerie et de bijouterie. Le groupe français, qui a pris le contrôle de Bulgari en 2011, a par exemple fait l’acquisition du n°4 de la place et ouvert au n°23 la première boutique et le premier atelier de joaillerie Louis Vuitton. Le Suisse Richemont n’a pas été en reste. A l’extension du magasin Jaeger-Lecoultre, situé Place Vendôme, se sont ainsi ajoutées plusieurs ouvertures rue de la Paix (Vacheron-Constantin, IWC, A. Lange & Söhne).

Nouveaux entrants, nouveaux quartiers : une recomposition du marché du luxe ?

« Les mouvements enregistrés depuis deux ans au cœur du marché du luxe parisien ou sur la Croisette, à Cannes – première destination du luxe en province où Céline a récemment ouvert et où s’installera prochainement Giorgio Armani – ont permis d’asseoir la domination d’acteurs implantés de longue date dans l’Hexagone. Ils ont aussi dévoilé les ambitions d’acteurs déjà présents en France au sein des grands magasins ou de détaillants multimarques, mais désireux de faire évoluer leur stratégie de distribution avec l’ouverture de premiers magasins en propre dans l’Hexagone » explique Pierre Raynal. Tel est le cas de certaines enseignes du groupe Richemont citées précédemment, qui ont ouvert rue de la Paix leur première boutique mono-marque. De nouveaux types d’acteurs ont, par ailleurs, fait leur apparition comme Qela, marque tout juste créée par le Qatar Luxury Group et qui ouvrira en 2013 une boutique au 50 avenue Montaigne. Cette évolution ne s’est pas traduite par un bouleversement des « fondamentaux » du marché du luxe. « Le secteur du luxe est en plein boom mais cette effervescence ne donne pas lieu, pour autant, à une recomposition profonde de la géographie du luxe à Paris ou dans l’Hexagone. Peu d’artères peuvent de fait prétendre attirer les enseignes les plus prestigieuses car celles-ci demeurent, fort logiquement, très sélectives quant aux choix de leur adresse. Les opportunités d’implantation restent donc rares et d’autant plus limitées que l’expansion des grands groupes et les ambitions de nouveaux acteurs ont sensiblement accru l’appétit des enseignes pour les meilleurs emplacements » selon Pierre Raynal.

Cette vive concurrence a contribué à la poursuite de la hausse des valeurs locatives. Ainsi, les valeurs locatives prime de l’avenue Montaigne et de la rue du Faubourg Saint-Honoré ont par exemple bondi de 23 % entre le début de l’année 2011 et la fin de 2012, et peuvent même désormais dépasser – pour les meilleurs emplacements – le seuil symbolique des 10 000 €/m²/an (Zone A). Dans ce contexte, et compte-tenu du nombre très limité d’opportunités sur les principaux marchés du luxe parisiens, la demande d’enseignes prestigieuses s’est ponctuellement diffusée aux secteurs voisins des artères les plus établies. C’est notamment le cas, au cœur du Triangle d’or, de la rue de Marignan, dont les adresses les plus proches de l’avenue Montaigne ont récemment suscité l’intérêt de plusieurs enseignes, à l’exemple d’Azzedine Alaïa (Groupe Richemont).

D’autres artères parisiennes ont tiré leur épingle du jeu, bénéficiant tout à la fois de leur proximité avec certains marchés historiques du luxe et d’une importante fréquentation touristique.

- Le cas de la Rue Saint-Honoré est particulièrement significatif des évolutions en cours, même si sa montée en gamme remonte à la fin des années 1990, avec les ouvertures du concept-store multimarques Colette et de l’hôtel Costes. Ainsi, la rue Saint-Honoré a vu son statut de destination majeure du luxe nettement renforcé par l’ouverture en 2011 du Mandarin Oriental, hôtel 5 étoiles dont les murs viennent d’être cédés par SFL à la chaîne hongkongaise du même nom. S’ajoutant aux nombreuses ouvertures de boutiques recensées en 2009 et 2010 (Omega, Jimmy Choo, Fratelli Rossetti), près d’une dizaine d’ouvertures d’enseignes de luxe « historiques » ou prenant pied dans la capitale ont ainsi été enregistrées depuis 2011. Un grand nombre d’entre elles se sont du reste établies dans la portion située entre les rues Cambon et Castiglione, aux environs immédiats du Mandarin Oriental (Chloé, DSquared, Armani, Tom Ford et le futur flagship, très attendu, de Chanel).

- Le quartier de l’Opéra est également en cours de mutation. Outre la montée en gamme des grands magasins du boulevard Haussmann, le boulevard des Capucines – traditionnellement dominé par les enseignes de mass-market et les services – verra bientôt l’inauguration du plus imposant magasin d’horlogerie de luxe du monde en lieu et place de l’ancien flagship Old England. Plusieurs ouvertures de boutiques de luxe s’ajouteront à ce mégastore principalement dédié à la clientèle asiatique, attestant des ambitions des géants du secteur de l’horlogerie dans ce quartier voisin de la rue de la Paix. Ainsi, Tag-Heuer (groupe LVMH) s’établira dans un local précédemment occupé par Cameroon Airlines, à quelques pas des futures boutiques Cartier (Richemont) et Omega (Swatch Group).

- Enfin, après les ouvertures des flagships Ralph Lauren, Burberry et Hermès en 2010, le triangle formé par le boulevard Saint-Germain-des-Prés, le boulevard Raspail et la rue de Sèvres a lui aussi enregistré de nouveaux mouvements d’envergure. Ainsi Hermès ouvrira d’ici quelques mois, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue des Saints-Pères, le premier magasin de son enseigne Shang Xia hors de Chine, tandis que Paul Smith a inauguré, fin 2012, au 32 rue de Grenelle, un magasin exclusivement dédié à ses collections féminines. En outre, « LVMH a fortement imprimé sa marque au quartier, avec les ouvertures de boutiques de trois de ses marques : Céline au 16 rue de Grenelle, Berluti – suite au rachat d’Arnys – au 14 rue de Sèvres et Louis Vuitton à Saint-Germain-des-Prés, sur l’ancien site de la librairie La Hune et d’Arthus Bertrand. A la différence des grandes artères du luxe de la rive droite, ce quartier demeure toutefois largement dépendant d’une clientèle locale aisée et d’un tourisme d’initiés » selon Pierre Raynal.

Quelles perspectives pour le marché du luxe ?

Les nombreux mouvements qui animeront, en 2013, le marché du luxe parisien seront pour l’essentiel la concrétisation de projets et de transactions initiées au cours des deux ou trois dernières années. « Il est fort probable que le bouillonnement observé au cours des deux ou trois dernières années ne se prolongera pas, au moins à court-terme, de nombreuses enseignes ayant récemment adopté un rythme de développement plus mesuré » selon Pierre Raynal. Cette évolution ne se limitera pas au marché parisien. Ainsi, plusieurs enseignes ont récemment annoncé vouloir ralentir leur expansion internationale et donner, pour certaines, la priorité à la rénovation et à l’extension de leurs magasins existants (Gucci, Chanel, Valentino). Si certaines enseignes semblent devoir marquer une pause et si les menaces, à court et moyen termes, ne manquent pas (troubles géopolitiques, montée en puissance du e-commerce, risque de banalisation, etc.), ce ralentissement ne devrait toutefois être que temporaire. L’augmentation continue du nombre de millionnaires et la très forte expansion de la classe moyenne des pays émergents laissent de fait entrevoir un potentiel de consommation encore considérable.

Capitale du pays le plus visité au monde, Paris continuera de figurer en bonne place dans les stratégies d’expansion des grands groupes du luxe, qu’il s’agisse d’enseignes « historiques » ou de nouvelles marques, issues de capitaux des pays émergents (Giada, Vionnet) ou des stratégies de grands groupes désireux de renforcer leur attractivité auprès de la clientèle asiatique (acquisition de Qeelin par le groupe PPR, création par Hermès de l’enseigne Shang Xia). Cette tendance pourrait se prolonger dans les prochains mois et se traduire par de nouveaux projets d’ouvertures, mais elle ne démentira pas le développement très ciblé, et très restreint géographiquement, de la grande majorité des acteurs du luxe. Ces derniers continueront ainsi de privilégier les secteurs traditionnels du luxe (avenue Montaigne, Place Vendôme, rue du Faubourg Saint-Honoré) et les quelques artères qui ont fait l’objet, ces dernières années, d’une franche montée en gamme (rue Saint-Honoré).

« En dépit de la forte pénurie d’offres dans les artères les plus prestigieuses de la capitale, il est peu probable de voir émerger de nouveaux quartiers du luxe à l’exception, peut-être, du Marais qui possède pour cela de sérieux atouts. Devenu une destination incontournable de la mode, ce quartier où Helmut Lang vient d’annoncer l’ouverture prochaine d’une boutique, profite à la fois d’une forte fréquentation de touristes étrangers et de consommateurs parisiens aisés, de la transformation en cours de la Samaritaine et du BHV et de l’ouverture dominicale des commerces » conclut Pierre Raynal.

Next Finance , Avril 2013

Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés