Les taux de défaut du Haut Rendement européen restent faibles. Pourquoi et quelles sont les tendances à venir ?

Malgré la dégradation de la tendance macroéconomique, les taux de défaut européens restent faibles. Plusieurs facteurs expliquent un tel découplage : notamment la quête de rendement dans un monde dominé par le rôle des banques centrales, et quelques caractéristiques particulières de la composition du marché européen des obligations HY.

Les taux de défaut du segment européen du Haut Rendement ont bien résisté à la dégradation de la conjoncture macroéconomique.

Malgré une situation macroéconomique qui s’aggrave, les taux de défaut européen ne montrent aucun signe de hausse. En fait, d’après les toutes dernières statistiques de Moody’s et S&P, c’est même l’inverse qui est en train de se produire : les taux de défaut du segment spéculatif européen ont légèrement reculé ces derniers mois, ce qui contraste vivement avec les signaux issus de l’économie réelle (voir graphique 1). Ainsi, le PMI de la zone euro serait cohérent avec un taux de défaut de 6 % ces prochains trimestres (graphique 2), mais dans les faits, le ratio de sociétés européennes non financières à haut rendement (HY) en difficulté a chuté plus bas que sur le compartiment équivalent aux États-Unis, alors que la conjoncture y est bien meilleure (graphique 3). Ce faible ratio de titres en difficulté (pourcentage d’obligations qui se négocient avec un spread supérieur ou égal à 1 000 pb par rapport aux taux sans risque) nous indique ainsi que malgré la fragmentation financière de la zone euro, le durcissement du crédit et la récession dans les pays périphériques, les marchés du crédit n’anticipent pas de hausse substantielle des défauts ces prochains trimestres.

Les facteurs à l’origine de cette divergence

Bien que la crise économique et financière actuelle soit la plus difficile depuis les années 1930, les taux de défaut sont retombés de leurs points hauts plus rapidement que par le passé. Sur les dix dernières années (2003-2012), leur niveau annuel n’a dépassé la moyenne à long terme qu’en 2009 : par ailleurs, le taux moyen était nettement inférieur à celui constaté sur les deux décennies précédentes, à savoir 3,8 % contre 4,6 % en 1993-2002 et 5,5 % en 1983-1992. À cet égard, un découplage par rapport aux tendances macroéconomiques sous-jacentes a dans une certaine mesure déjà eu lieu.

Le maintien de taux bas et la recherche de rendement facilite le refinancement des High Yield

Ce paradoxe apparent est dû principalement aux mesures exceptionnelles mises en place pour faire face à cette crise historique. Les autorités monétaires ont établi ainsi un environnement idéal pour faciliter le refinancement des entreprises du segment HY. Au cours de ces quatre dernières années, cet environnement persistant de taux bas, induit par les politiques monétaires non conventionnelles, a eu deux effets. Tout d’abord, il a réduit les coûts de financement. Par ailleurs, en entraînant une demande soutenue en faveur des obligations spéculatives, il a facilité une vague record de refinancement des échéances obligataires. Dès lors, le « mur d’échéances » sur le marché du haut rendement a été repoussé pour au moins trois ans aux États-Unis. Dans une moindre mesure, le risque de refinancement des entreprises européennes a également reculé. Malgré l’environnement économique éprouvant de la zone euro, la quête de rendement a alimenté les flux en faveur des obligations HY et contenu le ratio de titres en difficulté. Ainsi, les marchés du crédit de la zone euro ont permis de compenser les conditions défavorables de crédit bancaire.

Cependant, la réponse des autorités monétaires n’a pas été le seul facteur de résistance des taux de défaut européens. D’autres éléments particuliers ont contribué au fameux découplage.
Tout d’abord, comme évoqué dans notre dernière édition, la faillite de Lehman Brothers suivie de la crise souveraine a engendré une envolée du nombre « d’anges déchus » en Europe, dont une proportion forte et croissante d’émetteurs du secteur financier. Ces nouveaux « anges déchus » ont contribué à rendre l’univers du HY moins vulnérable à l’affaiblissement de l’environnement économique et financier. En effet, nombre de ces émetteurs ont une taille importante, des activités diversifiées, une présence mondiale et entretiennent généralement des liens avec leurs banques plus forts que ceux des PME. Ils semblent ainsi moins à la merci de la fragmentation et des conditions de crédit peu favorables qui prévalent actuellement en Europe.

Par ailleurs, les indices de référence HY européens sont très diversifiés au plan géographique, y compris en dehors de la zone euro. Les émetteurs du « coeur » de la zone euro représentent ainsi près de 55 % du marché obligataire HY non financier en EUR contre 24 % seulement pour la périphérie. De surcroît, l’Europe hors UEM représente également 5,6 %, les émetteurs de la zone dollar 6 % et les émetteurs émergents 5,5 %. Au total, il est évident que la diversification hors zone euro et la pondération relativement faible des émetteurs non « coeur » réduisent l’impact particulier de la périphérie.

Fait intéressant, notre analyse révèle une physionomie différente du marché HY par rapport à l’Investment grade (IG) en termes de contribution des spreads à l’indice de référence global. Alors que dans l’IG, les spreads des émetteurs sont principalement l’expression du risque souverain correspondant, dans le HY, les émetteurs en difficulté reflètent davantage le risque idiosyncratique et cyclique. En résumé, le risque souverain ne joue pas le même rôle et actuellement, les émetteurs en difficulté ne sont pas concentrés dans les pays périphériques et sont répartis également dans d’autres pays. Enfin, l’exposition à la croissance supérieure des pays émergents peut, dans certains cas, compenser en partie l’impact vraisemblablement négatif de la croissance interne limitée de certains pays de la zone euro. L’Europe demeure le maillon faible de la croissance macroéconomique mondiale, qui est dominée par les États-Unis et les pays émergents. Elle joue donc un rôle accru car elle permet aux émetteurs HY d’afficher des bilans plus sains que ce que les seules tendances domestiques ne l’indiqueraient. Les PME figurent parmi les entreprises les plus touchées par le phénomène de la fragmentation, mais les obligations à haut rendement en EUR sont émises par des sociétés de plus grande taille.

Les taux de défaut pourront-ils rester durablement faibles ?

Notre modèle fondé sur le ratio de titres en difficulté, les conditions de crédit et les facteurs macroéconomiques n’annonce pas de modification substantielle du panorama actuel : comme le graphique 4 l’indique, les taux de défaut modélisés des émetteurs HY non financiers européens devraient d’abord remonter à 3 % ces prochains moins (contre 2 % actuellement), avant de repartir légèrement à la baisse. Les scénarios centraux formulés par Moody’s et S&P diffèrent à peine de nos estimations. Les risques liés à ce scénario peuvent provenir de deux directions opposées : 1) une tendance macroéconomique bien plus dégradée que prévu conjuguée à un regain de risque systémique ou 2) une rotation trop rapide des investissements quittant le HY au profit des actions. Ce dernier risque pourrait se matérialiser en cas de croissance supérieure aux attentes, conjuguée à des anticipations de resserrements anticipés de la part des banques centrales et de rendements plus élevés… ou encore de recherche de liquidité dans les portefeuilles. Mais au total, les risques semblent davantage biaisés vers une dégradation plutôt qu’une amélioration du scénario. Au final aussi longtemps que les banques centrales parviendront à contenir le risque systémique, la quête du rendement ne sera pas prête de s’arrêter. C’est pourquoi une relative stabilité des taux de défauts en Europe semble plus probable qu’une hausse soudaine.

Qu’en est-il des taux de défaut dans le segment HY américain ?

Malgré des conditions macroéconomiques et financières plus favorables, les taux de défaut du segment HY américain sont paradoxalement légèrement supérieurs à ceux de l’Europe. L’économie américaine affiche en effet une croissance positive tandis que la zone euro est en récession modérée. Les banques américaines désormais désendettées offrent pourtant des conditions de crédit plus souples que par le passé et des volumes de prêt commerciaux et industriels en hausse, tandis que leurs homologues européennes demeurent fragmentées et en proie à de nombreuses difficultés. Le marché obligataire HY américain est par ailleurs nettement plus vaste, avec une capacité d’absorption supérieure au marché européen, et contrairement à ce dernier, les prêts à effet de levier y ont fait un grand retour. Fondé sur des critères semblables à ceux utilisés en Europe, notre modèle de défaut pour les émetteurs américains indique des tendances similaires, à savoir pas de remontée en vue significative des taux de défaut (voir dernier graphique). Ceci était toutefois relativement intuitif compte tenu de l’environnement plus préservé qu’en Europe.

Conclusion

Malgré des conditions macroéconomiques et financières toujours éprouvantes, plusieurs facteurs pointent vers une stabilité des taux de défaut sur le segment HY en Europe. On retiendra en particulier le rôle crucial des banques centrales ; le maintien des taux bas encourageant la quête de rendement, réduisant les coûts de financement et facilitant le refinancement du HY. Par ailleurs, la montée des faillites à la périphérie de la zone euro concerne essentiellement les PME et affecte ainsi relativement peu le marché du crédit.

Les risques par rapport à ce scénario central peuvent provenir d’une croissance trop faible qui relancerait l’inquiétude ou, paradoxalement, d’une croissance trop forte, qui entraînerait une grande rotation des flux au détriment des obligations et en faveur des actions. De ces deux risques, le premier est le plus vraisemblable.

Toutefois, les autorités monétaires semblent de mieux en mieux maîtriser les bouffées d’aversion au risque.

Sergio Bertoncini , Mai 2013

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