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L’expérience japonaise

Nous vivons une époque incertaine, mais fascinante. D’importants chocs financiers, politiques et environnementaux ont secoué le système au cours de ces dernières années et une évolution très inhabituelle des performances économiques a par conséquent été observée.

Les interactions entre l’économie, les marchés financiers et la confiance des entreprises et des ménages semblent avoir joué un rôle important, mais le sens de la causalité et le degré d’influence restent difficiles à évaluer car ils sont probablement instables dans le temps. On peut toutefois affirmer que la théorie économique et ses prédictions n’ont pas été en mesure d’anticiper l’évolution de l’économie et des marchés financiers au cours des cinq dernières années. Qui plus est, elles ont même du mal à expliquer les développements observés après coup (“ex-post”). En termes plus simples, le comportement de l’économie et des marchés financiers a été beaucoup plus volatil et irrégulier que ce que les modèles les plus récents de la théorie économique ou financière ne peuvent expliquer.

Pour toutes les personnes actives dans le domaine se présente dès lors le défi fascinant d’évaluer les leçons de cette expérience et de voir comment notre conception du monde (nos modèles) doit être adaptée afin de mieux se conformer à la réalité. Ceci est de toute évidence plus facile à dire qu’à faire. Pour commencer, l’analyse pourrait examiner quelles théories sont au moins parvenues à décrire correctement une partie des développements ou à prédire la direction de certains développements, même si l’ampleur de l’impact a été sous-estimée.

À cet égard, la vision plus (néo-)classique de l’économie, dans le cadre de laquelle l’offre détermine toujours les performances économiques et l’équilibre du système est toujours restauré rapidement, éprouve davantage de difficultés à expliquer les déficits budgétaires élevés et l’assouplissement monétaire sans précédent allant de pair avec une baisse des taux d’intérêt sans pression haussière sur l’inflation.

L’analyse postkeynésienne basée sur la thèse de frictions au sein du système économique (réactions tardives aux nouvelles, inertie des prix) va au moins dans la même direction que l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt que nous avons observée récemment.

Selon cette vue du monde, un contexte d’attentes déprimées peut naître et se prolonger. Il suffit de penser à la « trappe à liquidité » de Krugman, lorsque le seuil de zéro (en termes nominaux) empêche les taux d’intérêt (réels) de retomber assez bas pour stimuler la demande afin que celle-ci rencontre l’offre potentielle au sein de l’économie. Un comportement de “récession de bilan” [1] explique également pourquoi la hausse des dettes publiques n’accroît pas les taux d’intérêt alors que le secteur privé s’efforce de réduire son endettement plutôt que de maximiser sa consommation et ses profits et comprime par conséquent la demande finale en augmentant son épargne dans une plus grande mesure que le gouvernement n’accroît ses emprunts.

L’implication empirique est qu’une politique soutenant la demande devrait avoir moins d’effets d’éviction (hausse des taux d’intérêt pesant sur la demande du secteur privé) aussi longtemps que l’économie se porte mal. Selon ce raisonnement, il devrait y avoir un risque plus faible d’effets de second rang sur l’inflation en raison de la sous-utilisation du capital et de la main-d’oeuvre, qui implique que les entreprises peuvent moins facilement fixer les prix de leurs services.

C’est tout à fait ce qui s’est produit dans le “nouveau monde normal” de ces dernières années : la croissance n’a cessé de décevoir (car le resserrement budgétaire n’a pas été compensé par une hausse de la demande du secteur privé comme suggéré par de nombreux spécialistes et la pensée néo-classique), les taux d’intérêt ont baissé et l’inflation est restée très modérée. La science économique demeure toutefois une science funeste et de nombreuses analyses empiriques seront probablement encore nécessaires avant que le débat actuel sur le fonctionnement de l’économie soit clôturé et que les politiques optimales ne soient plus contestées.

Sur le chemin aventureux menant vers la compréhension totale des dynamiques gouvernant nos vies économiques se profile un nouveau tournant intéressant. Une nouvelle expérience se déroule actuellement au Japon, où les responsables politiques ont décidé de changer de tactique et d’adopter une politique beaucoup plus expansionniste qu’elle ne l’a été durant les 15 dernières années pendant lesquelles le pays a été touché par la déflation. Le nouveau premier ministre Shinzo Abe a complètement abandonné la politique d’austérité populaire sur le plan international en combinant un nouveau plan de relance budgétaire avec des pressions directes sur la banque centrale pour que celle-ci soutienne davantage l’économie japonaise. Plus tôt dans la semaine, ceci a incité la Banque du Japon (BoJ) à annoncer qu’elle allait faire passer son objectif d’inflation de 1% à 2% et qu’elle adopterait un programme d’assouplissement quantitatif qui durera aussi longtemps que le nouvel objectif d’inflation ne sera pas à portée de main. En outre, le gouvernement et la BoJ ont publié un communiqué commun soulignant leur coopération dans la lutte contre la déflation et ont annoncé qu’il y aurait des rapports réguliers sur les progrès des politiques macroéconomiques, y compris la politique monétaire.

Bien que ceci implique une diminution de l’indépendance de la banque centrale et soit susceptible d’entraîner des craintes dans certains cercles académiques ou politiques, l’élément le plus important est la réussite ou non de cette stratégie. Dans un contexte où tant le modèle opérationnel de l’économie que la façon optimale pour réparer le moteur économique sont devenus beaucoup plus incertains, une nouvelle expérience peut procurer des preuves empiriques très utiles du succès ou de l’échec d’une certaine philosophie ou approche.

Si l’économie japonaise surprend à la hausse en 2013 et si la déflation touche à son terme l’année suivante, ceci confirmerait l’existence d’un cercle vicieux d’attentes déprimées. Ceci suggérerait que des politiques soutenant davantage la demande sont nécessaires pour sortir de cet état et inciterait probablement les décideurs politiques du Japon, et éventuellement d’autres régions du monde, à mener une politique de relance plutôt qu’une politique d’austérité.

Selon nous, ceci serait très bénéfique pour la croissance mondiale durant la période 2013-14 et se traduirait par une vigueur surprenante des bénéfices des entreprises et des rendements des actifs risqués. Pour l’instant, ceci reste un risque positif pour notre scénario central plus modéré, mais certainement un risque dont la probabilité de survenance augmente. Ceci ne nous empêche pas d’envisager la possibilité d’un échec de l’approche actuelle au Japon et ses conséquences pour la croissance, la relance et le sentiment du marché financier. Ceci dérouterait encore davantage le monde parce que cela signifierait que le bon dosage politique pour éliminer la déflation n’a pas encore été trouvé et que de nouvelles innovations de la pensée économique sont nécessaires pour ramener non seulement le Japon, mais également l’économie mondiale sur la voie d’une croissance durable.

Valentijn van Nieuwenhuijzen , Janvier 2013

Notes

[1] Terme inventé par Richard Koo, Chief Economist du Nomura Research Institute, après l’analyse de l’impact de l’éclatement de la bulle des prix des actifs japonais sur le comportement des entreprises et des ménages dans les années 1990.

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