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De la finance autrement à la finance pour les autres

Lors de la Table Ronde organisée par AG2R LA MONDIALE et Kedge Business School dans le cadre de la semaine de l’ISR, certains intervenants ont indiqué que « l’ISR best-in-class » était à un tournant, les fonds étant construits à partir de modèles financiers utilisant souvent les capitalisations boursières et n’ayant pas réussi à s’abstraire des problèmes d’asymétrie d’information...

Le 8 octobre, AG2R LA MONDIALE et Kedge Business School ont organisé dans le cadre de la semaine de l’ISR une conférence sur le thème de la Finance Responsable. En introduction, André Renaudin, Directeur général d’AG2R LA MONDIALE, et François Pierson, Président de Kedge Business School, ont présenté la Chaire « Finance Autrement : Investissement, Solidarités, Responsabilité » de la Kedge Business School soutenue par AG2R LA MONDIALE, ainsi que l’ouvrage « La Finance Autrement ? Réflexions critiques et perspectives sur la finance moderne », fruit de sept années de recherche sur les thématiques de l’ISR.

À l’issue de la présentation de l’ouvrage, une table ronde a été organisée sur le thème de « La Finance Autrement ».

_ Synthèse et enjeux de l’ouvrage « La Finance Autrement ? Réflexions critiques et perspectives sur la finance moderne »

Dans sa préface, André Renaudin, Directeur général d’AG2R LA MONDIALE, rappelle que l’ouvrage est « le fruit d’une rencontre originale entre les mondes académique et professionnel », qui « clôture un premier cycle de recherches portées par la Chaire AG2R LA MONDIALE-Kedge Business School, créée fin 2008, dont l’objectif est de construire une approche alternative pionnière d’une finance responsable, incarnant la démarche sociétale des deux partenaires. Le nouvel essor du mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire, celui de la micro-finance et du financement participatif, l’émergence d’instruments de marchés fléchés vers des projets exclusivement de développement durable, le développement spectaculaire de l’investissement socialement responsable témoignent du dynamisme de ces « nouveaux modèles de financement de l’économie ».

Au travers de cette réflexion collective, alliant professionnels et académiques, le but est d’« enrichir les fondements de la responsabilité fiduciaire des investisseurs institutionnels ». Il s’agit de réfléchir à « la façon dont la valeur d’un actif « financier » se construit dans le cadre d’un consensus social, sur les modalités de préservation de cette valeur par le développement de nouvelles pratiques et de nouveaux produits de gestion d’actifs répondant aux exigences socio-économiques de l’ensemble des parties prenantes et sur le champ couvert par la notion de protection de l’intérêt exclusif des bénéficiaires ».

_ Synthèse de la table ronde

Intervenants :

  • Vincent Auriac, Président d’Axylia ;
  • Patrice Garnier, Président de la Société d’investissement France active (SIFA) ;
  • Jacques Ninet, conseiller Recherche du groupe la Française, chercheur sur la finance responsable et le développement durable ;
  • Roland Pérez, Président du Conseil Scientifique de la chaire AG2R LA MONDIALE ;
  • Christophe Revelli, Enseignant-Chercheur, Kedge Business School.

En quête d’un nouveau paradigme

La crise des « subprimes » de 2007 et l’onde de choc qui a suivi, ont bouleversé les codes de la Finance Moderne. Roland Pérez, professeur en économie et Président du Conseil Scientifique de la chaire AG2R LA MONDIALE, l’affirme : « L’ampleur de la crise financière mondiale et ses effets ravageurs ont amené une mise en cause du corpus de la finance elle-même comme objet de connaissance et comme ensemble de pratiques professionnelles ». Citant les affaires Madoff et Kerviel, il pense que « la nature humaine étant ce qu’elle est, si ces acteurs n’ont pas en eux-mêmes une éthique suffisante pour les empêcher d’avoir un comportement inapproprié, il convient de renforcer les dispositifs de contrôle et de surveillance propre au système et, si besoin est, de prévoir des sanctions en cas de manquements caractérisés ».

Mais la crise a également remis en cause la pertinence des outils d’analyse, de modélisation et de prévision actuels. Ce qui pourrait justifier « d’élargir la gamme actuelle des outils utilisés (actuariat, probabilités) à d’autres outils mathématiques (théorie des jeux, fractales...). Ainsi, « le paradigme dominant, né dans les années 1950, à partir des travaux fondateurs de Markowitz, Tobin, Modigliani & Miller, est actuellement en phase d’épuisement, malgré les immenses développements auxquels il a donné lieu et la dizaine de Prix Nobel d’Économie qui ont jalonné son histoire, car dans l’impossibilité de faire face aux problèmes posés par l’actuelle crise financière. Problèmes dans lesquels il a sa part de responsabilité ».

Face à ce constat, il évoque trois pistes de réflexions possibles : « réinscrire la finance dans le champ des sciences humaines et sociales (SHS) », « élargir le cadre d’analyse – notamment du risque - à d’autres éléments que les prix, les taux et les variations aléatoires de ces prix et taux » et « recourir à la formalisation comme une voie, entre autres, de l’analyse ».

De l’investissement éthique vers l’éthique d’investissement

Pour Christophe Revelli, Docteur en économie et enseignant à Kedge Business School de Marseille, il convient « avant de se poser la question de la convergence de l’ISR vers l’ensemble des pratiques, de recentrer le débat sur l’éthique ». Car, « les enjeux se situent autour de la capacité de l’ISR à migrer vers plus d’impact investing et plus de prise en compte de la mesure de la performance extra-financière ». Il distingue l’ISR de l’investissement conventionnel en deux points majeurs. D’abord, l’ISR « engage une partie non quantifiable et non tangible, subjective, propre à chaque individu : son engagement éthique ». Ensuite, « l’ISR doit engager par définition la soutenabilité ou la durabilité, ce qui engage l’investissement dans une autre logique (long-termisme au détriment du court-termisme) ».

Dès lors, « il ne peut être considéré comme un investissement conventionnel et ne peut donc pas bénéficier du même régime de faveur et de la même catégorisation, notamment sur les enjeux de la performance financière. »

Pour ce faire, il est nécessaire « de basculer dans une prise en compte de la responsabilité et de migrer de l’investissement éthique vers l’éthique de l’investissement, dans une logique de ré-encastrement de la finance au sein de l’éthique ».

La « finance autrement » promise à un bel avenir

Toutefois, comme le rappelle Patrice Garnier, Président de la Sifa, « la « finance autrement » existe déjà, elle se développe rapidement même si elle demeure modeste en encours. On peut même dire que c’est le segment de l’épargne et des placements qui se développe le plus rapidement. En France, les chiffres de Finansol qui collecte les données sur l’épargne solidaire montrent un encours de placements porteurs d’une « poche solidaire » de 6,8 Mds € fin 2014 en progression à deux chiffres depuis de nombreuses années ».

Malgré cette dynamique, l’expert s’étonne « que les concepteurs et distributeurs de produits financiers soient aussi frileux puisque la demande des clients et des épargnants est là ». Et ce même si, selon lui, ces mêmes épargnants « ont perdu un large pan de confiance dans les discours sur les performances et les promesses des financiers qu’ils suspectent d’oublier l’intérêt du client à leur seul profit. » D’autant que les projets à financer ne manquent pas à l’heure où « l’Économie Sociale et Solidaire a toute sa place de pionnier dans l’économie collaborative, dans l’économie de partage ou circulaire qui pointe et se diffuse ».

Plus globalement, une « finance pour les autres », repose notamment sur « l’intérêt de l’apport financier qui permet de porter des projets, de soutenir des innovateurs, de tisser du lien social, de proposer des produits respectueux de l’environnement, de rendre de nouveaux services au plus grand nombre, de contribuer à une économie qui apporte de la valeur ajoutée et de la solidarité. »

Vers une remise en question de « l’ISR best-in-class »

De son côté, Vincent Auriac, Fondateur d’Axylia, se référant à la mise en garde de Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre « sur les lourds risques à la stabilité financière portés par le changement climatique », souligne l’impérieuse nécessité de mieux prendre en compte les éléments extra-financiers dans le cadre d’une approche ISR. Il considère que « l’ISR best-in-class est à un tournant » sachant que « les fonds sont construits à partir de modèles financiers en utilisant souvent les capitalisations boursières » et « n’ont pas réussi à s’abstraire des problèmes d’asymétrie d’information en travaillant sur l’information diffusée par les sociétés cotées comme l’a montré l’affaire Volkswagen. »

D’après lui, « la gestion financière doit sortir de la schizophrénie qui consiste à proposer un fonds ISR et à ne rien changer au reste de sa gamme. Le bon sens collectif reste dubitatif face à de telles pratiques qui freinent la crédibilité et la diffusion de la finance responsable ». Il estime que « le mouvement dit d’intégration ESG doit apporter la preuve (par la mesure) de la réduction des risques qu’elle prétend atteindre ».

Face à ce constant, « il est probable que la solution réside dans la combinaison de plusieurs forces aux effets positifs : les nouveaux comportements des investisseurs, l’essor de l’« impact investing » auprès des clients fortunés et également, en amont, la mutation des comportements des consommateurs qui obligent les multinationales à modifier leur stratégie ».

De l’ISR à L’ISR 2.0

Par ailleurs, dans ce qu’il appelle « la longue marche vers la Responsabilité (avec un grand R) », Jacques Ninet, membre du Conseil Scientifique de la chaire « Finance Autrement » note que « bien que l’acronyme d’ISR ait finalement prévalu, et que l’on parle aussi beaucoup d’ESG, les deux piliers de la démarche restent bien la durabilité (sustainability) et la responsabilité environnementale, sociale et sociétale ».

Depuis le début du nouveau millénaire, l’ISR est ainsi, selon lui, « passé en une dizaine/quinzaine d’années d’une forme militante un peu basique, appelée surtout à se défendre du procès en sous-performance financière systématique, à un mouvement irréversible des pratiques, en même temps qu’apparaissent les prémisses d’une nouvelle finance ». A ce sujet, il observe que l’ISR 2.0 a « constitué une étape essentielle sur ce cheminement, en réhabilitant le long terme et en remettant le développement – et sa qualité - au centre de l’investissement financier ». Car « l’objectif était bien de dépasser le double antagonisme supposé (par les néo-classiques) entre développement et durabilité d’une part, et entre responsabilité et rentabilité de l’autre ».

Nourrissant l’« espoir d’un changement réellement en marche », il espère que « la responsabilité en finance ne s’entende plus seulement comme une vertu additionnelle mais bien comme un a priori à toute action et comportement, et qu’on la mesure et la sanctionne en tant que telle ».

Next Finance , Octobre 2015

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