Jean-Louis Nakamura : "Notre portefeuille de long terme reste fortement exposé aux marchés obligataires refuges"

Cette position de Lombard Odier position s’articule avec l’achat d’actions de marchés offrant un potentiel de valorisation intéressant à terme alors que le portefeuille de court terme est aujourd’hui plutôt acheteur d’actifs risqués...

A force de durer, la partie de ping-pong à laquelle se livrent, depuis près de trois ans, cycle économique et décisions – ou non décisions – de politique économique commence quelque peu à lasser. Depuis la grande récession de l’hiver 2008-2009, et les gigantesques plans de soutien monétaires et budgétaires initiés pour la contrer, l’activité mondiale a initié une phase de reprise fragile, qui par vagues successives, a régulièrement menacé de s’échouer sur le rivage d’une demande globale trop vulnérable, écrasée par le poids du deleveraging à opérer. A chaque fois de nouveaux stimulus ont été nécessaires pour éviter une rechute. Intervenant en temps utile aux Etats-Unis, au Japon ou au Royaume-Uni, leur efficacité a toutefois été de plus en plus questionnée. Mais c’est en Europe que l’incapacité du policy mix à répondre aux défis de la crise financière et du ralentissement économique a cristallisé le plus de critiques et monopolise aujourd’hui légitimement toutes les attentions.

Il y a deux ans, lorsque la crise des dettes souveraines avait éclaté, nous avions écrit qu’avant d’être en proie à une crise financière, l’Europe était d’abord victime d’une profonde crise de gouvernance et rien, depuis lors, n’a remis en cause cette perception.

Nous y reviendrons dans la suite de cette note, afin d’analyser les conclusions du Conseil européen des 28/29 juin et leurs répercussions potentielles à court et moyen terme.

D’ici là, un constat s’impose : la politique, ou l’insuffisance des politiques, a fini par contaminer la macroéconomie réelle. L’activité globale ne se portait pas si mal il y a trois mois, même si la croissance mondiale restait à l’évidence inférieure à son potentiel. Aux Etats-Unis, les enquêtes d’activité tant régionales que nationales suggéraient une croissance manufacturière assez solide, bien qu’en tassement depuis le début de l’année. Les indicateurs d’emploi restaient cohérents avec une amélioration graduelle du marché du travail, et le marché immobilier semblait repartir sur des bases assainies. En Chine, le ralentissement, bien que sensible, paraissait « sous contrôle », compte tenu en particulier de l’ampleur des marges de manoeuvre des autorités, tandis que l’économie japonaise semblait rattraper rapidement le retard de production accumulé l’an passé sous l’impact du tsunami et de la catastrophe de Fukushima. L’Europe, dont les économies périphériques s’enfonçaient dans une dépression profonde, semblait pouvoir compter encore sur le moteur économique allemand pour échapper à la récession.

Mais les marchés ont voulu regarder autre chose : la recrudescence des difficultés européennes, née à la fois d’une aggravation de la crise bancaire en Espagne et d’un retour de flammes postérieur aux premières élections législatives en Grèce, ont à nouveau mis en lumière non seulement l’insuffisance, mais encore l’inadéquation du plan de réponse européen appliqué jusqu’à présent pour sortir, sans s’automutiler, du véritable supplice chinois que constitue l’intrication profonde d’une crise des finances publiques, d’une très forte vulnérabilité du système bancaire, et d’une situation d’arrêt complet de la croissance sur le continent. Le stress s’est révélé suffisamment profond et durable au printemps pour provoquer, sans jamais déboucher sur une forme de panique, une correction très significative des marchés d’actions et de matières premières et un rally concomitant sur les titres de dette publique allemandes, américaines et japonaises. Entre le 19 mars et le 1er juin, l’Eurostoxx50 a ainsi glissé de plus de 20%, renouant avec les points bas observés en novembre 2011. Les marchés d’actions chinois (-14%) et américains (-10%) ont quant à eux connu une baisse à la fois plus tardive et un peu plus limitée tandis que les rendements obligataires US ou suisses à 10 ans enregistraient le 1er juin dernier des plus bas historiques à respectivement 1,45% et 0,46%...

Ces développements financiers ont fini par contaminer la réalité macro-économique. Aux Etats-Unis, on le sait, la consommation des ménages est très sensible à un effet de richesse financière, dérivé directement du marché des actions, tandis que les entreprises s’ajustent très rapidement à leur perception de l’environnement global. A partir d’avril, la remontée de la moyenne mobile des demandes hebdomadaires d’indemnisation chômage a témoigné d’un nouveau ralentissement du marché du travail US, tandis le rythme trimestriel de progression des ventes au détail calait littéralement. L’évolution des enquêtes régionales les plus significatives (Empire manufacturing, Philly Fed), et notamment de leur composante « heures travaillées » laissaient présager d’une très forte correction de l’ISM, effectivement observée le 2 juillet dernier, et qui n’est pas forcément achevée. Dans le secteur automobile, la production s’est poursuivie depuis le début de l’année sur des rythmes très élevés, tandis que les ventes domestiques corrigeaient, conduisant ainsi à l’accumulation de stocks qui ne manqueront pas de peser au cours des mois futurs. En Europe et en Chine, la situation économique, déjà initialement moins robuste, s’est encore détériorée. Les données de production d’acier et d’électricité en Chine suggèrent ainsi un glissement annuel du PIB en train de fléchir sous les 8%. En Europe, les enquêtes dans l’industrie laissent présager d’une dégradation supplémentaire de la production industrielle, qui pourrait rapidement s’afficher au cours des prochaine semaines en contraction de près de 5% sur un an.

Paradoxalement, c’est au moment même où ces mauvaises nouvelles s’accumulaient que les marchés ont voulu repartir de l’avant, et ce en deux temps au cours du mois de juin. C’est en premier lieu l’espoir d’un nouveau round de « quantitative easing », à l’initiative de la Fed, qui a initié une vague d’achats « reflationnistes » ou liés à la liquidité, comme en témoigne l’évolution des prix du cuivre, de l’or, ou de devises telles que le dollar australien, qui ont tous esquissé une première forme timide de rebond dans les premiers jours de juin, symétrique à celui observé sur les principaux marchés d’action. La Fed n’annonçant finalement qu’une « modeste » prolongation de son opération de twist, entre échéances longues et échéances plus courtes des titres de dette portés à son bilan, tandis qu’en Europe l’Allemagne semblait fermer la porte à toute décision d’envergure pour enrayer la hausse qui semblait inexorable des rendements italiens et espagnols, cet amorce de rebond a commencé à consolider avant finalement de repartir de façon spectaculaire dans la foulée du Conseil européen des 28 et 29 juin. Il apparaît ainsi avec évidence que, sur la période, ce sont les anticipations de politique économique, plus ou moins justifiées, qui ont guidé les marchés d’actifs risqués, alors mêmes que les fondamentaux auraient plutôt justifié un statu quo, voire une dégradation supplémentaire. Se projeter dans le futur suppose dès lors, au-delà du diagnostic sur l’évolution macroéconomique proche, de se prononcer sur le réalisme des attentes, le sens et l’ampleur des décisions de politique économique susceptibles d’être rapidement adoptées, et l’impact réel des conclusions du dernier Conseil européen.

Ce dernier a été en effet riche d’enseignements. S’il est incontestable qu’il a livré son lot de surprises positives, catalyseurs du rebond des marchés, il est aussi juste de dire que les attentes avaient préalablement été fortement abaissées, compte tenu des divergences réitérées de positions entre les principaux Etats-membres, à commencer par l’Allemagne et la France. Ces surprises se répartissent entre les mesures « techniques » de court terme, susceptible de relâcher la pression sur les rendements italiens et espagnols, et les conclusions plus ou moins extrapolables sur le moyen / long terme quant à l’évolution institutionnelle et politique de la zone euro. S’agissant des premières, la création d’une supervision bancaire centralisée, sous l’égide de la BCE, préalable à la possibilité rapide pour le mécanisme européen de stabilité (MES) de recapitaliser directement les banques en difficulté, sans transiter par les Etats (et donc sans augmenter davantage encore leur dette publique) ainsi que la renonciation par le même MES à la séniorité de ses créances sur l’Espagne sont apparues comme les percées les plus immédiatement concrètes, que les marchés n’attendaient plus guère. Leurs modalités précises, ainsi que leur calendrier précis, d’application réservent néanmoins encore leur lot de surprises, et ces mesures restent un optimum de troisième rang après l’affirmation souhaitable du rôle de prêteur en dernier ressort de la BCE ou la réactivation de son Securities Markets program (SMP). Quant au « Pacte de croissance », il était anticipé et, s’il contribue à modifier la sémantique des conclusions, ni son montant ni ses modalités ne sont de nature à espérer un quelconque impact significatif sur la croissance de la zone à court ou moyen terme.

Mais les leçons les plus intéressantes de cet énième « Conseil de la dernière chance » sont sans doute ailleurs : l’Allemagne y a ainsi montré, pour le bien commun mais aussi dans son propre intérêt, qu’elle pouvait faire preuve de pragmatisme sans renier les principes auxquels elle est attachée. Car toute la dialectique des positions qui s’expriment depuis deux ans a été parfaitement résumée par le déroulement de la réunion. Sur le fond, et dans une optique de soutenabilité à long terme de l’union monétaire, la position allemande est sans doute la plus sage. Celle-ci considère que la création de l’euro a favorisé un gigantesque aléa moral dont un certain nombre d’Etatsmembres ont abusé, et que la pérennité de la monnaie unique, suppose que des mécanismes de mutualisation des décisions précèdent, pour l’avenir, la mise en commun des moyens. Elle cherche donc à imposer, à marche forcée, un fédéralisme politique que d’autres Etats-membres, à l’instar de la France, ont longtemps réclamé, mais dont ils se méfient aujourd’hui, car le contenu des politiques communes seraient aujourd’hui principalement défini par le caissier, à savoir l’Allemagne.

Le problème c’est que la maison brûle et discuter des plans d’architectes à long terme ne peut qu’irriter les autres colocataires, à commencer par ceux dont les chambres sont aujourd’hui attaquées par les flammes.

L’Allemagne est ainsi invitée à sortir la lance à incendie mais elle compte le faire en en profitant pour capitaliser en contrepartie des « progrès institutionnels » et des gains de crédibilité budgétaires collectifs.

Alors il y a trois façons de lire l’issue de cette dialectique :
1/ La Thèse – celle de bon nombre de hedge funds depuis deux ans – qui consiste à dire que cette façon de marcher en crabe n’est juste pas à la hauteur, qu’il est impossible, voire suicidaire d’imposer en deux ans une crédibilité budgétaire qui a fait défaut depuis quinze ans, et que la zone euro, zone monétaire non optimale dès l’origine mais dont les déséquilibres internes loin de se résorber se sont plutôt accentués, ne pourra survivre à ce test grandeur nature ;
2/ L’antithèse : certes les progrès sont lents et les discussions européennes parfois (souvent) désespérantes, mais ce dernier Conseil européen a montré que les européens étaient condamnés à s’entendre et, pour qui a suivi l’histoire de la construction européenne, le recul oblige à dire que celle-ci a fait plus de progrès en deux ans que durant les quinze années qui ont suivi les travaux préparatoires à l’union monétaire ;
3/ La synthèse : on peut exclure que ces progrès, même en crabe, ne finissent par venir à bout de la crise de défiance des marchés, mais à la fin c’est la volonté politique, et le soutien des populations, qui sera l’ingrédient indispensable pour parachever l’édification d’une construction fédérale. Or ce soutien, déjà faible dans l’absolu compte tenu du manque de légitimité démocratique des institutions européennes, s’est encore affaibli compte tenu de l’impopularité des politiques de stabilité imposées et des tensions croissantes entre Etats-membres. Il est ainsi frappant de mesurer que, sur la base d’un calcul volontairement simplifié, cumulant les engagements de l’Allemagne dans les différents fonds de soutien ainsi que des pertes (non certaines) d’environ 80 à 100 milliards d’euros des banques allemandes sur les économies périphériques, le coût pour l’Allemagne d’un sauvetage intégral et simultané de toutes les économies aujourd’hui attaquées, s’élèverait au plus à 550 milliards d’euros, soit une facture trois fois inférieure à celle, actualisée, de la réunification allemande. Celle-ci n’avait pas vraiment suscité de débat interne en Allemagne (même si les difficultés économiques qui avaient suivi la réunification avaient malgré tout fait naître des tensions entre les populations des deux ex Républiques). S’il n’en va pas de même aujourd’hui pour l’Europe, malgré un coût trois fois moindre et un rapport coût / bénéfice sans commune mesure pour l’économie allemande, c’est évidemment que les enjeux politiques ne sont pas du tout les mêmes. Même au terme d’un répit et d’une solidification de son architecture technique, il reste donc à craindre que le terrain sur lequel l’édifice communautaire a été construit, la solidarité politique entre les peuples européens, ne s’avère finalement trop meuble pour que soit posée la dernière pierre susceptible de donner du sens à l’ensemble.

Mais revenons sur un futur plus immédiat : la balance des risques pour cet été s’annonce à nouveau incroyablement complexe. Les fondamentaux macro-économiques se sont – on l’a vu – fortement dégradé, et les marges pour que le cycle reparte rapidement de l’avant apparaissent à ce stade assez faibles (les effets de la baisse des prix pétroliers, des refinancements hypothécaires en hausse aux Etats-Unis).

Nous n’anticipons pas non plus une vague importante de bonnes surprises durant la campagne de résultats trimestriels qui s’ouvre, le coup de froid conjoncturel étant même plutôt susceptible de se traduire par un certain de nombre de « guidance » négatives.

A très court terme, les marchés resteront suspendus aux anticipations d’assouplissement supplémentaire de la part des banques centrales. Or jusqu’à présent, celles-ci ont fait un peu le strict minimum de ce qui était attendu : la Banque d’Angleterre a augmenté son programme d’achat de titres de 50 Mds de Livres, la BCE a baissé son taux directeur de 25 bps sans communiquer réellement sur la suite, et la Banque de Chine a procédé à une nouvelle baisse de taux. La pression va maintenant se porter sur la Fed et le suspense risque de durer jusqu’au discours de Jackson Hole, prévu à la fin août. D’ici là toute mauvaise nouvelle macro pourra être interprétée comme un facteur « positif » susceptible d’inciter la Fed à agir. A l’issue de la communication effective de celle-ci, et sauf à ce que celle-ci surprenne positivement très fortement les marchés, ces derniers regarderont plus objectivement la situation fondamentale. Si celle-ci ne s’est pas redressée d’ici là, ou si les initiatives de la Fed déçoivent, alors un important risque de consolidation pèse à nouveau sur les marchés d’actifs risqués. S’y ajoutent un certain nombre de thèmes « à dimension » systémiques qui pourraient faire leur grand retour cet été. On pense entre autre au risque d’impasse budgétaire aux Etats-Unis (« Fiscal cliff ») ou à l’absence de réaction, assez inusuelle et inquiétante, du marché des actions chinoises aux assouplissements répétés de la politique monétaire.

Ces considérations nous ont conduit à adopter les positionnements suivants dans nos portefeuilles tactiques :

Notre portefeuille de long terme continue d’être fortement exposé aux marchés obligataires susceptibles de jouer un rôle de refuge, position qu’il articule avec l’achat d’actions de marchés offrant un potentiel de valorisation intéressant à terme (comme le marché néerlandais en Europe) ; notre portefeuille de court terme, sur la base de considérations techniques, est aujourd’hui plutôt acheteur d’actifs risqués (actions et devises liées aux matières premières) mais ces positions sont susceptibles d’évoluer très rapidement ;

Le portefeuille de moyen terme entend pour sa part profiter de toute hausse des marchés pour construire une position vendeuse, notamment sur les actions américaines. Ces positions tactiques se greffent sur nos portefeuilles balancés gérés selon notre approche en risque (risk parity) qui a encore fait la preuve au cours de ce premier semestre de sa capacité à créer de la valeur, tout en consommant une très faible volatilité, et ce malgré un environnement particulièrement mouvant.

Jean-Louis Nakamura , Juillet 2012

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