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Opinion
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Les mesures de confinement prises dans la plupart des pays face à l’expansion de la pandémie de coronavirus ont mis l’activité à l’arrêt pendant plusieurs mois ce qui a eu pour conséquence une baisse significative des émissions de CO2 dans le monde. Celle-ci a même largement dépassé celle qui avait eu lieu à la suite de la Grande crise financière de 2008-2009.
Si l’effet de la crise sur l’environnement a pu s’avérer positif à court terme, l’orientation de son impact de long terme est nettement plus incertaine. Les plans de relance qui se multiplient dans le monde pour reconstruire des économies malmenées, constituent une occasion unique d’accélérer la transition climatique. Mais, face à l’impact économique catastrophique de la crise du coronavirus notamment sur l’emploi, il n’est pas certain que les gouvernements prennent le risque de financer des activités émergentes ou en transition plutôt que de céder à la tentation de « réparer » l’ancien monde. L’orientation des émissions de CO2 mondiales sera également très dépendante des décisions prises par la Chine en matière de réglementation environnementale, or celle-ci pourrait être tentée d’alléger les contraintes environnementales pour relancer la croissance.
Les émissions de CO2 n’ont que très rarement baissé à l’échelle mondiale
D’après les données de la Banque Mondiale qui démarrent en 1960, deux épisodes de baisses temporaires et limitées des émissions de CO2 ont pu être observés entre 1960 et 2020. Le premier a eu lieu au début des années 80, à la suite des deux chocs pétroliers qui avaient conduit à une récession et une plus grande frugalité dans l’utilisation du pétrole. Il a duré quelques années. Le deuxième en 2009 à la suite de la grande crise mondiale qui avait provoqué une chute du commerce mondial mais qui n’avait eu qu’un impact très limité dans le temps. Depuis le début des années 2000, la hausse des émissions de CO2 a même eu tendance à accélérer.
Une chute sans précédent des émissions des CO2 pendant le confinement
Sur l’ensemble du 1er trimestre, la demande d’énergie mondiale a baissé de 3,8% par rapport à son niveau du 1er trimestre 2019 et les émissions de CO2 de 5% selon les estimations de l’AIE [1] (Agence internationale de l’énergie). Avant l’expansion de la pandémie et les mesures de confinement généralisées, les émissions de CO2 étaient déjà orientées à la baisse par rapport à l’année précédente compte-tenu de températures particulièrement douces qui avaient entrainé une baisse de la consommation d’énergie. L’AIE a évalué la seule baisse des émissions en raison des conditions climatiques à environ 20 Mt éqCO2.
Les mesures de confinement sont venues accélérer cette tendance. D’après l’AIE, les pays en confinement strict ont connu une baisse de 25% de la consommation d’énergie et ceux qui étaient en confinement modéré de 18%. La baisse de la demande d’énergie s’est accompagnée d’une modification importante du mix énergétique, baisse de l’utilisation du charbon et augmentation de la part des énergies renouvelables, qui a été observable dans la plupart des pays. Cette transformation du mix énergétique s’explique par le fait que, dans la plupart des pays, des contraintes réglementaires imposent d’utiliser en priorité des sources d’électricité renouvelables et de n’utiliser les centrales à charbon qu’en dernier recours après l’utilisation de l’énergie nucléaire. Si l’on prend l’exemple de l’Inde, la part des énergies renouvelables a bondi de 18% à 28% pendant le confinement et la part du charbon a diminué de 75% à 65% sur cette même période. En Espagne et en Allemagne, la part des énergies renouvelables a atteint des niveaux records avec des pics à respectivement, 69,0% (30/04/2020) et 78,3% (21/04/2020) dans la production d’électricité pendant le confinement.
Les secteurs qui ont le plus contribué à la baisse des émissions
Selon une estimation du Haut Conseil pour le climat [2] basé sur les données françaises, les émissions de CO2 devraient diminuer de 45 Mt éqCO2 en France en 2020. L’étude fournit une ventilation de la baisse par secteur. C’est la chute de 60% en moyenne du transport de surface pendant le confinement, qui contribue à hauteur de 29% aux émissions de CO2 françaises, qui va expliquer 60% de la baisse des émissions en 2020. Ensuite, l’industrie, qui génère 17 % des émissions de CO2, a fonctionné à seulement 70% de sa capacité en moyenne sur cette période et devrait représenter 17% de la baisse des émissions. Enfin, l’aviation et le bâtiment, 5% et 18% des émissions, vont contribuer à hauteur de 6% chacun à la baisse des émissions de CO2.
Cette baisse des émissions sera-t-elle durable ?
Sur l’ensemble de l’année 2020, l’AIE s’attend à une baisse de la demande d’énergie de 6% du fait d’un retour seulement graduel aux niveaux d’activité précédant la crise. Cette baisse de la consommation d’énergie conduirait à une baisse des émissions de CO2 de 8% sur l’année soit 2600 Mt éqCO2 et un retour des émissions de carbone mondiales à leur niveau d’il y a 10 ans.
Selon l’estimation de Carbon Brief [3] , les émissions totales de CO2 pourraient baisser de 5,5% en 2020 par rapport à leur niveau de 2019. Cette baisse serait la plus forte jamais observée et bien supérieure à celle de 1% qui avait eu lieu à la suite de la Grande crise financière de 2008-2009.
Le retour très graduel de la croissance aux niveaux pré-crise, à horizon fin 2022 voire plus tardivement pour l’Europe, permet de penser que les émissions de CO2 ne retrouveront pas à court terme la tendance d’avant crise indépendamment des politiques environnementales qui seront menées. Dans son rapport de juin 2020 [4], l’EAI (Energy Administration Information) voit les émissions de CO2 liée à l’énergie baisser de 14% en 2020 aux Etats-Unis et ne rebondir que de 5% en 2021, conduisant à une baisse de 9% des émissions sur les 2 années.
Cependant, malgré la chute sans précédent de l’activité pendant le confinement et à une échelle mondiale, la baisse des émissions de CO2 sur l’année serait tout juste suffisante pour être dans les limites d’un réchauffement climatique à 1,5 °C à horizon 2100. Pour cela, il faudrait une baisse des émissions de 7,6% chaque année entre 2020 et 2030 (soit une baisse totale de 55% des émissions) ce qui donne une idée de l’ampleur des changements à opérer pour être en phase avec les objectifs de l’accord de Paris [5].
Les appels à une relance verte se multiplient
Selon un sondage IPSOS Mori [6] conduit en avril dans plusieurs pays y compris des pays émergents, 71% des répondants sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle sur le long terme le changement climatique peut provoquer des crises aussi sévères que la Covid et 65% soutiennent une relance verte à l’issue de la crise du coronavirus.
Sur ces points, le niveau d’approbation le plus élevé apparaît dans des pays émergents (Inde, Mexique, Brésil), en Chine et en Europe. A l’inverse, aux Etats-Unis, la proportion de répondants qui sont d’accord avec ces affirmations est à peine supérieure à 50%. Outre le grand public, les associations, les ONG, les organisation internationales et certains grands patrons appellent les gouvernements à ne pas sacrifier les engagements climatiques pour relancer la croissance.
Quelle orientation pour les plans de relance ?
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les émissions de CO2 mondiales avaient baissé de 1% en 2009 mais elles étaient immédiatement reparties à la hausse progressant de près de 5% en 2010, avec le redémarrage de la croissance. En effet, les plans de relance adoptés à l’époque avaient eu pour priorité de sauvegarder l’emploi et n’intégraient que marginalement des objectifs environnementaux. Par exemple, de nombreux pays ont mis en place des mesures de soutien à la consommation et notamment des primes à l’achat de véhicules sans exiger de contreparties sur les émissions de CO2. Ils ont également proposé des financements pour des infrastructures émettrices de CO2. Des mesures de soutien aux énergies renouvelables ou en faveur de la rénovation thermique des bâtiments étaient néanmoins présentes dans les plans de soutien américain (American Recovery and Reinvestment Act de 2009 de près de 800 Mds USD), chinois (près de 450 Mds € en novembre 2008) et européens mais dans des proportions très limitées. Si l’on prend l’exemple du plan de relance chinois, les mesures environnementales ne représentaient que 5% environ de l’enveloppe globale. Selon une évaluation de la Commission européenne [7], la part « verte » des plans de relance européens a atteint entre 5% et 20% des montants engagés selon les pays et a principalement concerné des mesures liées à l’efficacité énergétique puis aux transports et aux énergies renouvelables. Les incitations à des investissements en R&D pour des technologies plus propres ont été beaucoup plus rares et présentes uniquement dans les plans suédois et allemand mais dans ce dernier cas ont concerné avant tout le secteur automobile.
Il s’agit aujourd’hui de ne pas répéter les mêmes erreurs et d’éviter que la relance ne ralentisse l’action pour le climat et d’aider des secteurs ou des entreprises qui ne seraient pas viables dans un monde bas carbone. En Europe, la taxonomie récemment finalisée par l’Union européenne prévoit des critères détaillés pour qualifier un investissement de vert et peut fournir une aide précieuse pour orienter les investissements sur la bonne voie. Cela parait d’autant plus important que l’ampleur des plans de relance qui se préparent aujourd’hui, en milliers de milliards de dollars, est sans commune mesure avec ceux adoptés à l’époque.
Sur ce plan, le maintien de la priorité climatique dans le plan de relance européen (Next Generation EU) et les mesures du plan de relance adopté par l’Allemagne début juin donnent un peu d’espoir.
Outre l’aide centrée sur les investissements répondant aux priorités de l’Union, la Commission a également évoqué l’augmentation de ses ressources propres dont une partie serait liée au climat que ce soit via le système d’échange de quotas d’émission qui sera étendu aux secteurs maritime et aérien ou un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui pourraient rapporter au budget européen entre 15 et 24 Mds € par an. Malgré le lobbying de certaines industries qui ont demandé une extension des délais pour l’application de réglementations environnementales, la Commission n’est revenue ni sur ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ni sur l’application de la réglementation favorisant l’économie circulaire et la gestion durable des ressources.
A la différence de 2009, l’Allemagne a renoncé à accorder des primes à l’achat aux voitures thermiques et les a réservées à l’achat de véhicules électriques. Dans les mesures de soutien à l’investissement, elle a ciblé en priorité les infrastructures liées à la transition vers une économie bas carbone et la transition numérique. L’Allemagne a également validé sa contribution nationale pour le climat le 11 juin 2020 qui reprend ses engagements annoncés à l’automne 2019.
Néanmoins, si les différents plans de relance comportent des mesures environnementales, ils ne permettront pas de réaliser le virage fort qui est nécessaire pour placer l’économie sur une trajectoire compatible avec l’accord de Paris. En France, des ONG et des associations ont d’ailleurs lancé un appel pour demander des plans plus ambitieux avec des contreparties environnementales plus significatives en échange du soutien public aux secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Par exemple, le plan de soutien à l’automobile ne s’accompagne d’aucune trajectoire de réductions des émissions de CO2 du secteur, ne décourage pas l’achat de véhicules très polluants et ne prévoit pas de contrôle sur les aides pour la transformation de la filière vers l’électrique.
2019, l’année du pic des émissions mondiales de CO2 ?
Plusieurs propositions de plans de relance verte ont été publiées récemment et visent à apporter une réponse commune aux deux défis auxquels nous faisons face, défis climatique et sortie de la récession. Point positif, les besoins de financement des investissements qu’ils font émerger sont en phase avec les moyens que les Etats sont prêts à débourser pour accompagner la reprise de l’économie.
En France, l’I4CE [8] (Institute for Climate Economics) a proposé un plan de financement public de 7 Mds€ par an permettant de mobiliser 12 Mds € d’investissements privés, en ciblant plus particulièrement sept secteurs : la rénovation des logements privés, la rénovation des bâtiments tertiaires, le déploiement des voitures bas-carbone, les infrastructures de transport en commun, les infrastructures ferroviaires, les aménagements cyclables, et la production d’électricité renouvelable.
L’AIE et le FMI ont publié un rapport [9] à destination des dirigeants dont l’objectif est de stimuler la croissance économique, de créer des emplois et de construire des systèmes énergétiques plus résilients et plus propres. A cette fin, le rapport propose 30 mesures pour une relance durable en s’attaquant à 6 secteurs clés : l’électricité, les transports, l’industrie, les bâtiments, les carburants et les technologies bas carbone. Selon ce rapport, 1000 Mds USD d’investissements par an entre 2021 et 2023 soit 0,7% du PIB mondial permettraient à la fois de stimuler la croissance de 1,1% par an, de créer 9 millions d’emplois par an et de réduire les émissions de CO2 de 4 500 Mt Eq CO2 d’ici 2023. La pollution de l’air diminuerait également de 5% grâce à ce plan et 270 millions de personnes pourraient gagner un accès à l’électricité dans le monde. Les auteurs estiment que « les émissions mondiales de CO2 ont été stables en 2019 et devraient connaître une baisse record cette année. Si cette baisse, qui résulte des mesures de confinement et de leurs impacts économiques, n’est pas à célébrer, elle fournit une base à partir de laquelle mettre les émissions sur une pente de baisse structurelle. Des plans de relance massifs offrent une occasion unique de placer le secteur de l’énergie sur une voie plus durable. »
L’ampleur et la rapidité des réponses budgétaires et sanitaires des Etats face à la crise du coronavirus montre la capacité de mobiliser des fonds publics et de prendre des mesures radicales pour sauver des vies malgré le coût économique énorme que cela peut générer. Cet épisode crée un précédent et pourra servir d’exemple aux tenants d’une action plus ferme dans la lutte contre le changement climatique. Il faut espérer que la réponse budgétaire qui doit accompagner la sortie de crise sera à la hauteur des enjeux climatiques et ne favorisera pas la reprise de court terme, démontrant une fois de plus la validité de cette fameuse « tragédie des horizons ».
Encadré : le changement climatique favorise t’il l’apparition de pandémies ?
De nombreuses études scientifiques mettent en avant les liens entre l’activité humaine, le réchauffement climatique et le risque de pandémies et il existe un relatif consensus scientifique sur le sujet.
Tout d’abord, le changement climatique réduit la biodiversité et modifie la façon dont nous interagissons avec les autres espèces animales. Les événements climatiques extrêmes, sécheresse et inondations, peuvent ainsi provoquer des mouvements de population et d’animaux qui favorisent le contact et la transmission des virus d’un animal à l’homme. Le changement climatique a déjà rendu les conditions plus favorables à la propagation de certaines maladies infectieuses, notamment la maladie de Lyme, les maladies d’origine hydrique et les maladies transmises par les moustiques comme le paludisme et la dengue.
Des facteurs qui contribuent au changement climatique, comme la déforestation ou l’agriculture intensive, favorisent également la diffusion des virus des animaux vers les hommes en empiétant sur des zones de biodiversité et en générant des migrations d’animaux. L’Amazonie est ainsi particulièrement à risque et les zoonoses sont plus fréquentes au Brésil qu’ailleurs.
Enfin, il existe des liens entre changement climatique et santé. Une étude de l’Université d’Harvard [10]souligne que la pollution de l’air a augmenté la mortalité de la Covid 19 comme cela avait été le cas pour le SRAS, autre maladie respiratoire. L’obésité et le diabète sont également apparus comme des facteurs renforçant la vulnérabilité à la maladie. Or des solutions avancées pour lutter contre les effets sanitaires de la Covid 19, peuvent également favoriser la lutte contre le réchauffement climatique. La préparation aux pandémies consiste à maintenir les personnes en bonne santé au départ. Cela passe par l’accès à une alimentation de meilleure qualité, à la pratique d’une activité physique par exemple en favorisant les mobilités douces ou en réduisant l’exposition à la pollution.
Juliette Cohen , Juin 2020
[1] Global Energy review 2020
[2] Climat, Santé : Mieux Prévenir, Mieux Guérir. Un Rapport Spécial du Haut Conseil Pour Le Climat. Avril 2020
[3] Coronavirus set to cause largest ever annual fall in CO2 emissions, Avril 2020
[4] Short-Term Energy Outlook June 2020
[5] L’Accord de Paris sur le climat de 2015 prévoit de limiter la hausse des températures à 2°C, voire 1,5°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle (1880)
[6] How does the world view climate change and Covid-19 ? IPSOS Global Advisor – avril 2020
[7] Assessing the Implementation and Impact of Green Elements of MS National Recovery Plans : Final Report
[8] Investir en faveur du climat contribuera à la sortie de crise Hadrien HAINAUT / Maxime LEDEZ / Dr. Quentin PERRIER / Benoît LEGUET / Patrice Geoffron (Université ParisDauphine | PSL)
[9] Sustainable Recovery Plan – June 2020
[10] COVID-19 PM2.5 A national study on long-term exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United States, April 2020
En 2016, Eurex a lancé les contrats à terme « Total Return Futures (TRF) » en réponse à la demande croissante de produits dérivés listés en alternative aux Total return swaps. Depuis, ces TRF sont devenus des instruments utilisés par une grande variété d’acteurs à des fins (...)
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