Après avoir anticipé la sortie de crise dès le T4 2020 et la relance, voire la surchauffe, au T1 2021, les nouvelles vagues de contamination dans certains pays et les chiffres économiques, évidemment fantastiques en relatif (l’effet de base jouant à plein) mais finalement modérés, commencent à émousser leur optimisme naturel…
Ainsi, sur le marché obligataire :
- les taux souverains européens, menés par le Bund, actif de protection par excellence, ont commencé à refluer après la petite hausse du début d’année.
- les indices high yield, ont freiné leur ascension pour offrir une performance quasi-étale sur la seconde partie du trimestre.
Dans ce contexte, les investisseurs les plus agiles ont pu établir quelques premières bascules de portefeuilles, profitant des inquiétudes des foules sur les taux souverains pour se reconstituer un coussin de protection à mesure qu’ils grimpaient, alors même que les banques centrales devront garantir, pour encore au moins deux ans, des sources de financement gratuites pour leurs donneurs d’ordres souverains.
Et de l’autre côté, les émetteurs les plus touchés par la crise du covid, qui attendaient des jours meilleurs pour opérer des opérations financières, se lancent dans le bain, se disant probablement qu’ils pourraient bien finalement tenir moins longtemps que le virus. On a ainsi observé ces jours-ci :
- Le refinancement de Douglas, distributeur de cosmétique allemand : si nous avions investi dans le dossier par le passé, alors que les obligations étaient encore significativement décotées à 60% du nominal, nous considérons aujourd’hui que l’entreprise a plutôt fortement dégradé son profil crédit depuis mais qu’elle surfe simplement sur la vague de l’argent facile et bon marché pour faire supporter tout son risque opérationnel par ses créanciers. Or son risque est aujourd’hui majeur car il faudrait miser sur des déconfinements rapides et une reprise forte du commerce de détail pour assurer le deleveraging promis. Sans cela, c’est un scenario beaucoup plus noir qui s’annoncerait et proche de celui observé entre 2015 et 2018, long, risqué et fastidieux. Ne souhaitant guère prendre un risque action pour une rémunération obligataire, nous attendrons donc d’avoir un peu plus de visibilité sur l’orientation que prendra l’activité. Nous considérons Douglas comme une entreprise crédible, qui, à l’inverse de Hema, a montré par le passé une grande fiabilité et une adaptabilité à la crise actuelle. Cependant, nous considérons aujourd’hui que ce refinancement opportuniste, qui montre la grande faculté du management, s’il est très positif pour la survie de l’entreprise et pour ses actionnaires, ne rémunère clairement pas suffisamment le risque final pour un créancier. Nous y investirons potentiellement en cas de sortie de crise ou en cas de difficulté qui se matérialiserait par un retour des obligations sur les niveaux très décotés connus par le passé.
- Le refinancement de l’éternel Casino : Le groupe a annoncé ces derniers jours son intention d’émettre plus d’un milliard d’euros sur des maturités 2025 et 2027 afin, encore et toujours d’optimiser sa structure financière en en allongeant la maturité et baissant les frais financiers. Vu le passé et le passif de l’entreprise, ce mouvement pourrait nous inviter à penser que nous approchons des dernières fenêtres de tir pour les émetteurs les plus foncièrement opportunistes. A lire les nouvelles financières de Casino sur quelques années, on pourrait finir par penser que le management, sans doute aiguillonné par sa holding Rallye, a passé plus de temps à la finance qu’à l’opérationnel ! Malgré les déboires récents sur la sphère Casino/Rallye, les investisseurs continuent de lui accorder un crédit supérieur à sa qualité réelle et à sa fiabilité, l’émetteur à raison d’en profiter !
- Parmi les autres émissions risquées de la semaine, nous noterons également l’obligation Dufry, opérateur de boutiques duty-free dans les aéroports : alors même que l’opérationnel est actuellement quasiment à l’arrêt total, que les états de cash-flows sont donc totalement déséquilibrés, et qu’on serait bien en peine de savoir quand, comment et dans quelle mesure la situation du voyage aérien pourra retrouver la normale, les investisseurs n’ont pas hésité à prêter à l’entreprise par le biais d’une obligation convertible avec un coupon de 0.75% et une prime d’émission de 45%. Encore une fois, nous considérons que c’est un risque action que prennent ces investisseurs obligataires, l’entreprise elle-même affirmant dans sa présentation que l’objectif était de « renforcer la structure financière » et ne pouvant proposer que des promesses extrêmement vagues : « le travel retail montre des signes de reprise »… On a un peu de mal à voir où… Mais nous saluons encore une fois l’adaptabilité et la capacité du management qui est parvenu, malgré son profil crédit en chute libre, à trouver un financement à bon compte, dont le risque, vu la situation actuelle, est finalement aussi important que celui des actionnaires, mais rémunéré à 0.75%.
En conclusion, voici autant d’émissions auxquelles nous n’avons pas souscrit, préférant largement camper sur nos positions d’entreprises qui ont montré leur adaptabilité opérationnelle à la crise actuelle et n’ont pas besoin d’émettre de la dette pour obtenir la trésorerie qu’elles n’ont plus du tout par l’opérationnel. Nous passerons peut-être à côté d’une plus-value court terme, tant le marché est techniquement acheteur de risque crédit aujourd’hui, mais nous éviterons l’aléa de marché et maintiendrons un portefeuille d’obligations dont l’équilibre rendement/risque final est plus favorable. La mode est à la prime de risque, nous préférons la prime de rendement, elle est moins volatile et moins risquée à long terme.