Retour de l’incertitude politique en Italie - trois scénarios possibles
À la suite d’un vote de confiance au Sénat italien jeudi, que le gouvernement a remporté, mais sans le soutien de son partenaire de coalition, le M5S (Cinq étoiles), le Premier ministre Mario Draghi a présenté sa démission.
Le président italien Mattarella a refusé la démission de Draghi, et lui a demandé de se présenter au parlement et d’évaluer la situation. La situation reste fluide, mais il est probable que Draghi s’entretienne avec les partis de la coalition et qu’il demande un nouveau vote de confiance.
- Trois scénarios sont envisageables :
- Draghi pourrait rester après avoir remporté le vote de confiance. À noter que les tensions sous-jacentes existent depuis longtemps avec le M5S, mais qu’elles ne sont pas insurmontables, principalement liées aux mesures de soutien fiscal en réponse à la crise énergétique. Si Draghi reste, l’ensemble du cabinet devra probablement le soutenir.
- En cas de départ de Draghi, le président pourrait demander à quelqu’un d’autre de former un gouvernement intérimaire, soit un technocrate, soit un homme politique (le nom du ministre des finances Daniele Franco a été évoqué), qui pourrait être en place jusqu’à l’année prochaine.
- Si cette option échoue, le parlement devra être dissous et des élections anticipées devront être convoquées dans un délai de 70 jours, avant le premier semestre 2023 comme prévu initialement. Début octobre serait une date possible, bien que l’Italie n’ait jamais organisé d’élections à l’automne, au moment où le budget doit être approuvé.
- Le paysage politique semble aussi fragmenté et incertain que jamais. Le parti d’extrême droite eurosceptique FdI (Frères d’Italie) est en tête dans les sondages, suivi par le parti démocrate, tandis que les populistes Lega et M5S sont à la traîne et en baisse. Il n’est peut-être pas dans leur intérêt de convoquer des élections anticipées, d’où notre opinion que le scénario le plus probable reste qu’un gouvernement gagne du temps jusqu’aux élections de l’année prochaine. Dans tous les cas, une coalition devra être formée et la grande question est de savoir si le FdI en fera partie, ce qui constituerait un risque majeur d’un point de vue européen
- L’Italie devra se mettre d’accord sur un budget et envoyer son plan à Bruxelles d’ici la mi-octobre. Le gouvernement devra également franchir certaines étapes finales pour être éligible aux prochaines tranches du FRR (environ 20 milliards d’euros en S2 2022).
Qu’est-ce que cela signifie pour la BCE ? Plus d’incertitude, mais aussi une opportunité
- L’Italie ajoute une nouvelle couche de risque à une situation déjà très difficile, mais nous avons l’impression que la barre est haute pour que la BCE s’écarte de sa stratégie.
- Nous nous attendons toujours à ce que la BCE relève ses taux de 25 points de base en juillet, tout en laissant entrevoir une hausse plus importante en septembre, à moins que les perspectives d’inflation ne s’améliorent, comme l’a confirmé vendredi dernier Olli Rehn, membre du conseil des gouverneurs.
- L’outil anti-fragmentation (Transmission Protection Mechanism - TPM) devrait être dévoilé lors de la réunion du 21 juillet. Il y a un risque que certains détails manquent, mais les attentes du marché ne semblent pas trop optimistes et nous nous attendons toujours à ce que le TPM soit suffisamment audacieux, flexible et crédible pour empêcher un élargissement durable des écarts de taux des obligations périphériques à moyen terme.
- Il est important de noter que nous nous attendons à ce que le TPM soit de taille illimitée, avec une conditionnalité limitée basée sur le programme de réformes intégré dans le décaissement des fonds NextGenerationEU. Les échéances ciblées pourraient être un peu plus longues que dans le cadre des Opérations monétaires sur titres, disons jusqu’à 5 ans, tandis que les critères d’intervention devraient rester suffisamment vagues pour que la BCE conserve un degré élevé de discrétion. Enfin, les achats d’actifs seront probablement arrêtés, bien que nous considérions cette décision comme étant plus motivée politiquement qu’autre chose, dans le contexte d’un excès de liquidité de 4 500 milliards d’euros
- Entre-temps, la BCE a commencé à appliquer la flexibilité aux réinvestissements des obligations PEPP arrivant à échéance le 1er juillet. Pour l’avenir, nous n’excluons pas des options plus radicales, notamment des écarts plus importants par rapport à la répartition du capital pendant plus longtemps, ou même un transfert de la flexibilité des réinvestissements PEPP aux réinvestissements PSPP.
- Il va sans dire que les turbulences politiques en Italie n’aident pas. Mais cette crise pourrait également donner à la BCE l’occasion de clarifier sa stratégie et de rendre le TPM plus acceptable pour les faucons (hawks). Une crise politique auto-infligée en Italie est le cas d’école d’une situation où la BCE ne devrait pas intervenir. Les membres de la BCE sont susceptibles de convenir à l’unanimité qu’une condition nécessaire pour qu’un État membre soit éligible au TPM sera que le gouvernement se conforme au programme de réformes européen. En d’autres termes, la BCE pourrait dévoiler un outil anti-fragmentation audacieux tout en renvoyant la balle dans le camp de l’Italie.
- En ce qui concerne le TPM, l’autre compromis important sera que plus le filet de sécurité (backstop) sera crédible, moins la BCE aura de chances de l’utiliser, et plus elle pourra augmenter ses taux directeurs. C’est du moins ce qui est prévu.
- Le BTP devrait rester sous pression à court terme jusqu’à ce que la situation politique soit claire. Mario Draghi ne devrait plus être dans l’équation, soit très bientôt, soit au début de l’année prochaine. Toutefois, la dynamique positive de l’offre au second semestre sera un autre atout pour le BTP. Le Trésor italien a réalisé près de 60 % des objectifs de financement de cette année et, compte tenu des remboursements importants qui se profilent dans les mois à venir, l’offre nette devrait être légèrement négative pour le reste de l’année (à moins que les dépenses budgétaires n’augmentent de façon spectaculaire). Cette situation contraste fortement avec celle de tous les autres grands États membres, dont l’offre nette d’obligations gouvernementales est positive depuis que la BCE a mis fin à ses achats nets d’actifs début juillet.