Les fondamentaux des marchés émergents ne sont pas immuables

Selon les manuels économiques, la libre circulation du capital est une source de stabilité parce qu’elle permet aux investisseurs internationaux de diversifier leurs risques et de profiter des opportunités d’investissement les plus rentables.

Pourtant, l’expérience du monde réel suggère que les caprices des flux de capitaux internationaux peuvent entraîner une grande instabilité. La principale raison est que des attentes s’autoalimentant peuvent parfois nous mener sur un chemin dangereux et dans ce cas, les flux de capitaux peuvent modifier largement les facteurs fondamentaux.

Lorsque les rendements attendus des marchés développés étaient très faibles en raison de la modeste croissance et des politiques monétaires souples persistantes, les investisseurs à la recherche de rendements plus élevés ont massivement opté pour les marchés émergents. Ceci a propulsé les prix des actifs du monde émergent (y compris les taux de change) à la hausse et a entraîné une forte accélération de la croissance des crédits domestiques dans de nombreux pays. Le revers de la médaille est que les déficits des comptes courants se sont élargis, mais les investisseurs étrangers étaient prêts à les financer. Ceci s’explique par le fait que les attentes d’une future appréciation des prix des actifs et des taux de change ont tendance à s’autoalimenter étant donné que les entrées de capitaux entraînent une amélioration endogène des bilans domestiques. La valeur des actifs du secteur privé peut augmenter davantage que la valeur de leur passif et les perspectives de solvabilité semblent meilleures qu’elles ne le sont en réalité puisque le boom du crédit propulse la croissance à des niveaux intenables. Toute tentative de la banque centrale pour freiner la croissance est susceptible d’avoir un effet contraire car une hausse des taux ne fait qu’attirer encore davantage de capitaux. Dans le modèle des manuels, l’appréciation des prix des actifs a un effet stabilisateur étant donné qu’à un certain moment, les valorisations deviennent si peu attrayantes que les flux de capitaux se tarissent. Dans la réalité, un tel plafond de valorisation n’existe cependant pas. Les prix des actifs peuvent connaître une croissance exponentielle pendant une très longue période.

Les déséquilibres qui en résultent ne peuvent toutefois continuer à croître indéfiniment. Lorsque la fête prend fin, les décideurs politiques découvrent qu’il n’existe pas non plus de niveau plancher pour les valorisations des actifs domestiques. La hausse des rendements attendus dans les marchés développés, qui a débuté il y a un an, a entraîné un brusque tarissement des flux de capitaux vers les marchés émergents. Une fois de plus, les banques centrales des marchés émergents se retrouvent dans une impasse. Si elles ne resserrent pas leur politique monétaire, les sorties de capitaux pourraient accélérer car la dépréciation du taux de change va nourrir les attentes d’une poursuite de la dépréciation. Ceci se produit parce que les bilans domestiques connaissent désormais une détérioration endogène. La valeur des actifs diminue, alors que le niveau nominal des dettes demeure identique et que le pessimisme à l’égard des perspectives de croissance et de solvabilité crée sa propre réalité. En outre, une dépréciation extrême peut également conduire à une hausse substantielle de l’inflation (des attentes inflationnistes). Si ceci se produit, la politique monétaire devra être resserrée pendant une période plus longue que dans le cas d’attentes stables, afin d’enrayer l’inflation. Des fuites de capitaux massives peuvent donc facilement donner lieu à un processus s’autoalimentant qui endommage sévèrement les fondamentaux sous-jacents. Une fois que les marchés sont en mode panique, les autorités doivent prendre des mesures fermes pour mettre fin à cette spirale négative.

Il est néanmoins facile à comprendre qu’il ne soit guère aisé d’adopter de telles mesures car une politique de resserrement n’est pas particulièrement attrayante pour une économie affichant un endettement très élevé. La hausse des taux et le ralentissement de la croissance qui va de pair vont en effet contribuer à une réduction de la solvabilité des débiteurs, voire les mettre à genoux. En fin de compte, ceci est cependant souvent la solution la moins pénible, surtout si la banque centrale intervient rapidement pour enrayer la spirale de dépréciation. L’expérience montre que plus la banque centrale est proactive pour faire avorter cette tendance, plus le relèvement cumulé des taux nécessaire pour mettre fin à la spirale de dépréciation est faible. Dans ce cas, il y a au moins une chance raisonnable que la politique puisse être resserrée plutôt graduellement, ce qui laisse aux agents domestiques du temps pour s’adapter. Dans le cas d’attentes d’une dépréciation extrême, des ajustements draconiens sont brusquement introduits, ce qui cause des dommages économiques beaucoup plus importants et durables.

La bonne nouvelle est que (du moins lors de la rédaction de cet article) le monde émergent semble être parvenu à mettre en œuvre ce scénario plus bénin d’ajustement progressif, ce qui nous incite à penser que la résolution des déséquilibres des marchés émergents ne va pas mettre la reprise mondiale en péril. Il n’empêche qu’il existe clairement un risque de panique à l’égard des marchés émergents, par exemple en cas de recrudescence des turbulences politiques et sociales.

Willem Verhagen , Mai 2014

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