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Opinion
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La question n’est plus de savoir si l’on va retourner vers les anciens points bas de 2401-2465. La vraie question est de savoir ce qui se passera lorsque l’on aura atteint ces niveaux. 3 scénarios sont envisageables : consolidation ennuyeuse, franc rebond basé sur les fondamentaux ou descente aux « enfers »
Il y a exactement 1 an, le 25/09/2010, je rédigeais un papier intitulé « Quel avenir pour le CAC 40 ». Ce papier était rédigé dans une certaine indifférence générale ; ceci était largement « compréhensible » puisque l’environnement n’était pas aussi stressant qu’aujourd’hui et la tenue future du CAC 40 n’était pas sujet de préoccupation. Dommage, cela aurait du être un sujet d’inquiétude mais hélas on connait la faible capacité de justes anticipations des marchés.
L’idée de ce papier était, alors même que nous nous situions autour de 4000 points, de tenter d’anticiper un trend à horizon 12 mois sur l’indice. Pour beaucoup, il y avait autour de 1500 points de hausse à attendre, ce qui aurait porté l’indice vers 5500. En ce qui me concernait, je confirmais un sentiment franchement baissier ; plus de 1500 points également mais dans l’autre sens, donc une zone 2400-2500 comme en mars 2003 et en mars 2009
Comme chacun sait, il est impossible de prédire l’avenir. Mais il faut, autant que faire se peut, essayer de l’anticiper. Et pour ce faire, se souvenir du passé et surtout le comprendre est indispensable même si cela ne suffit pas. Notre CAC 40 n’échappe pas à ce constat et sans remonter à sa naissance à 1000 points en 1988, permettez-moi de revenir aux dates clefs de son histoire récente depuis 2000. 4 dates historiques sont à retenir
04 septembre 2000, le CAC atteint son plus haut historique à 6944 points. Nous sommes en pleine bulle des technos-medias-télecoms ; c’est alors que de nombreux analystes et économistes du monde entier ne pensent plus et, dans un bel élan d’euphorie et inconscience collectives, écrivent noir sur blanc que nous vivions la fin des cycles et que l’ère de la croissance éternelle est arrivée. A cette époque, on enregistre des all time high sur des valeurs telles qu’Alcatel à 97 euros, France Télécom à 220 euros et Vivendi à 140 euros.
12 mars 2003, 2401 points sur le CAC 40. Naturellement les marchés s’étaient lourdement trompés sur leur vision du modèle économique : la croissance éternelle était un leurre non seulement parce-que l’économie virtuelle n’allait pas remplacer subitement l’économie béton, industrielle et de services traditionnels ; mais aussi parce-que les excès d’endettement des entreprises de la bulle se sont transformés en crise de solvabilité et qu’il a donc fallu assainir les bilans par un désendettement massif. Ce violent cycle boursier baissier 2000-2003 s’inscrivait également dans un contexte géopolitique instable (primes de risque liée au terrorisme dans le prolongement du 11/09/2001 et seconde guerre du golfe au printemps 2003)
CAC 40 à 6168 points le 01 juin 2007 qui va correspondre à la fin du cycle haussier 2003-2007 et au début de la crise financière actuelle. Ce cycle aura été alimenté par des politiques monétaires globalement très accommodantes des banques centrales occidentales et ce malgré les resserrements monétaires depuis 2003 pour la BCE et 2004 pour la FED. Il aura surtout été alimenté par les liquidités extraordinairement abondantes en Europe et aux Etats Unis injectées par les banques centrales d’Asie dans le cadre de leur politique de change (émissions massives de monnaie nationale destinée à être vendue contre dollar, euro et sterling et donc venant accroitre le cash des agents économiques privés US et européens)
09 mars 2009 avec quasiment l’ancien plus bas de 2003 à 2465. On connait par cœur l’enchaînement ; crise de la titrisation et crise bancaire de liquidité en 2007 ; défaut implicite de Bear Sterns en mars 2008, défaut explicite de Lehamn en septembre 2008, sauvetages AIG, Fannie Mae, Freddie Mac en septembre 2008 (vous vous souvenez, ces fameux AAA au-dessus de tout soupçon en termes de solvabilité),également recapitalisation massive du secteur bancaire européen en octobre 2008 ; enfin accélération de la chute des indices boursiers correspondant à la période post Lehamn de liquidation forcée par des hedge funds et desks de trading de tous les actifs dit risqués (actions, high yield, émergents, alternatif)…
Alors et maintenant ? On ne revient pas sur les raisons de l’enfer boursier de cet été. On en a longuement parlé. Ce qui intéresse c’est naturellement l’avenir. En vérité, la question n’est plus de savoir si l’on va retourner vers ces anciens points bas de 2401-2465 (le marché ira sans aucun doute rechercher ces niveaux d’ici quelques jours ou semaines) ; la vraie question est de savoir ce qui se passera lorsque l’on aura atteint ces niveaux. Ce sera l’heure de vérité et j’entrevois à ce stade 3 scénarios
Scénario 1 : la consolidation ennuyeuse dans un climat de morosité, pessimisme et de banalisation de la crise de la dette avec une volatilité stabilisée à haut niveau
Ce scénario correspond à l’installation « durable » du CAC dans un range 2400-2800. Cela voudra donc dire que l’on n’a pas trouvé autre chose à la crise des dettes souveraines en zone Euro que les solutions d’achat de temps type dispositifs d’urgence FESF-FMI et monétisation directe et indirecte par la BCE des dettes publiques fragiles. Cela voudra dire aussi que l’on n’a pas une grande visibilité quant aux perspectives de croissance mondiale et que les craintes de récession ne sont pas oubliées
Mais cela voudra dire enfin que les marchés n’ont pas de nouvelles raisons de baisser et que les séances de panique liées à des ventes forcées de hedge funds et d’investisseurs sont derrière nous. On reviendra dans un article qui suivra celui-ci sur ce phénomène de ventes forcées qui explique malheureusement presque toujours depuis une dizaine d’années les crises des actifs financiers. Et on opposera à ce phénomène celui de la déconnexion des indices boursiers aux fondamentaux ; on verra alors que le comportement des actions depuis 2007 correspond à une rupture traditionnelle des corrélations avec les fondamentaux et les critères de valorisation traditionnels
J’accorde en tout cas franchement une faible probabilité à ce scénario de consolidation durable. Compte tenu de la gravité de la situation, j’ai plutôt tendance à penser que nous sommes dans un contexte binaire : soit des solutions politiques et institutionnelles fortes sont enfin à la hauteur des enjeux et de fait les marchés boursiers finissent par retrouver une dynamique franchement haussière, c’est le scénario 2 que je vais développer ; soit les risques systémiques s’intensifient, auquel cas le CAC 40 n’a aucune raison d’arrêter sa chute à 2400 points, c’est le scénario 3 que je vais également développer
Scénario 2 : le rebond franc et basé sur les fondamentaux et la résolution structurelle et durable des crises de dettes (mutualisation et fédéralisme fiscal en zone euro, restructuration ordonnée des dettes souveraines fragiles, contributions des créanciers privés sans impact systémique et sauvegardant la solvabilité du secteur bancassurance)
Cela correspondrait dans les 12 à 18 mois qui viennent à une progression de 20% à 40% de bon nombre de valeurs et à un niveau de CAC 40 autour de 4000 durant le second semestre 2012, niveau sur lequel l’indice évolua entre janvier 2010 et juin 2011. Il sera par contre difficile voire impossible d’envisager une progression supplémentaire pour 3 raisons :
1/ Les évolutions prudentielles type Bale 3 resteront très pénalisantes pour les marchés actions : faiblesse de la demande des investisseurs institutionnels compte tenu de la hausse de la consommation de fonds propres pour les investissements en actions ; hausse de l’offre pour faire face à des besoins de recapitalisation à venir très importants dans le secteur bancassurance (et qui seraient d’ailleurs renforcés en cas de dépréciations significatives sur certains actifs souverains)
2/ Et puis il sera inimaginable de penser un jour revoir sur le CAC 40 les niveaux de 2000 (6944) et 2007 (6168). Car ces plus hauts historiques de ces périodes étaient dus à des erreurs monstrueuses de valorisations non pas seulement de quelques valeurs mais de l’intégralité du modèle économique que nous étions sensés vivre. L’erreur des marchés au début des années 2000 a été de croire en la croissance économique éternelle tirée par la nouvelle économie. Les marchés se sont également trompés dans leur valorisation du secteur bancassurance en 2004-2006 en sous-estimant dramatiquement les risques systémiques (subprime en 2006-2007, souverains périphériques zone Euro en 2009-2011 et peut-être demain autres souverains non périphériques en zone Euro et hors zone Euro).
3/ Et surtout de nouveaux risques doivent dès à présent être pris en compte même si l’on assistera dans ce scénario à la « résolution »des crises souveraines en zone Euro et à l’éloignement du spectre de la récession mondiale.
Même si ce n’est pas pour demain, il ne faut pas sous-estimer les risques d’une vraie crise de financement des déficits US par l’épargne asiatique en général et chinoise en particulier. On doit donc penser dès à présent à des évolutions structurelles fortes quant au changement de modèle économique en Asie émergente en général et en Chine en particulier. Certes, nous n’attendons pas demain un changement de régime de changes en Chine si bien que la situation d’accumulation de réserves de change consistant à émettre de la monnaie pour la vendre contre dollar et dans une moindre mesure contre euro en achetant des titres d’état libellés dans ces devises pourrait se poursuivre quelque temps. Mais l’on sait qu’il faut commencer à anticiper sérieusement le remplacement du modèle de croissance chinoise basé sur les exportations (donc sur l’accumulation de réserves de changes) par un modèle basé sur la croissance domestique ; et quand ces jours viendront, les rapatriements de capitaux de la Chine et de l’Asie émergente accentueront ce violent réajustement à la hausse des taux longs de part et d’autre de l’Atlantique et continueront à mettre sous forte pression les indices boursiers.
Si l’on anticipait dès à présent, on ferait certainement l’économie de cette future crise majeure ou plus exactement l’économie des ajustements brutaux et douloureux qu’il faudrait mettre en oeuvre dans le cadre de ce changement de modèle des économies émergentes (on sait que plus l’on a de temps pour s’ajuster et plus l’on est préparé longtemps à l’avance, moins c’est douloureux ; en fait ce n’est pas de la macroéconomie mais du bon sens) Ce sens de l’anticipation et de la prévention permettrait aussi d’éviter stress , paniques , destruction de richesse et de capital sur le marchés financiers et donc crise économique et sociale ; d’éviter aussi présentations anxiogènes et explication simplistes de cette nouvelle crise dans les grands médias , toutes choses de nature à miner la confiance des agents économiques ; enfin nous éviterions aussi l’accroissement de la perte de crédibilité des politiques , dirigeants économiques, économistes , analystes et prétendus experts
Scénario 3 : la descente aux « enfers … »
Pour de multiples raisons
1/ Les risques systémiques persistent : maintien des risques de défaut de souverains budgétairement fragiles de la zone Euro ; situation d’accès à la liquidité tendue pour certaines banques européennes.
2/ Une récession qui devient réalité compte tenu du désendettement persistant du secteur public et du secteur privé en Europe et aux US ; et compte tenu du ralentissement économique dans les zones émergentes
3/ Crise du financement du déficit extérieur US qui arriverait plus vite que prévu avec un changement du modèle de croissance chinoise qui se mettrait en place dès les années 2012-2014 et non comme on l’anticipe de temps à autre dans la seconde moitié de la décennie
4/ Une course à la liquidité (dans le prolongement du point 1) qui conduirait encore nombre d’acteurs à des ventes forcées
5/ La fin d’une certaine culture actions
Alors ou pourrait donc nous mener en points d’indice ce scénario 3 pour le CAC ? Il est certain qu’il faut alors ici remonter largement avant 2000 et nous avons en tête deux niveaux historiques
Comme je l’évoquais, je pondère à 10% seulement le scénario 1 (consolidation 2400-2800) ; à 30% le scénario 2 (rebond dans la zone des 4000 à horizon 12 mois) et malheureusement à 60% le scénario 3 (fin du marché actions et retour dans la zone 1500-1800). Très clairement toute avancée politique et institutionnelle forte sur la résolution de la crise de la dette en Europe nous permettra de sous-pondérer le scénario 3 et de repondérer le scénario 2.
L’on viendra me dire que de tels niveaux, s’ils étaient vus, seraient irrationnels et aberrants. Certes j’en conviens mais je suis toujours surpris de constater que beaucoup de spécialistes soient surpris par les réactions violentes des marchés ; or le propre des marchés, c’est d’exagérer, de surréagir et de se déconnecter de ce que l’on appelle les fondamentaux
Nous verrons dans un prochain papier que les marchés boursiers sont depuis maintenant 4 ans guidés par des phénomènes d’aversion au risque , de contraintes réglementaires et de liquidations forcées d’actifs pour tout un tas de raisons ; et que dans le même temps (les corrélations statistiques le montrent), ils sont de plus en plus déconnectés des fondamentaux (indicateurs macroéconomiques, critères de valorisation traditionnels : PE , taux longs)
Pour les day ou month traders tout ceci doit sûrement ressembler à de l’économie fiction et je dois avouer que je ne peux pas grand-chose pour eux. Pour les investisseurs de moyen long terme, c’est tout autre chose. On me demande souvent s’il faut vendre. Pas facile de répondre à cette question car tout dépend de l’horizon d’investissement des uns et des autres, de leurs réglementations et de leurs limites , de leurs situations financières (fonds propres, perspectives de résultats , performances) , de leur besoin de liquidité et de leur statut (investisseur institutionnel, gérant , banque , hedge fund , particulier)
Ce que je peux dire à tous quelles que soient leurs contraintes, c’est qu’il ne faut naturellement pas s’alléger à n’importe quel prix mais il faut y penser et profiter d’un large rebond technique à la faveur de nouvelles faussement optimistes : une statistique américaine (qui comme l’hirondelle ne fera pas le printemps), un engagement des banquiers centraux en termes d’allocation « illimitée » de liquidité (comme lors de l’action coordonnée des banques centrales du 15/09 avec l’annonce d’injections de liquidités en dollars avec appels d’offres extraordinaires au T4 2011), un commitment apparemment unitaire des politiques européens sur le devenir de la zone Euro, des statistiques macroéconomiques chinoises infirmant le ralentissement économique
D’un point de vue technique, quel rebond envisager ? Avec un plus haut 2011 à 4169 et un plus bas 2011 à 2693, on a les fameux points Fibonacci de retracement suivants : 23.6% de retracement de cette baisse 4169-2693 nous indique un niveau de 3041 points ; 38.2% de retracement correspond à un rebond sur un niveau de 3256 ; enfin 50% de retracement correspond à un niveau de 3431
On va donc considérer la zone 3050-3250 comme une zone propice à des allégements opportunistes si nécessaire
Je sais que si le scénario catastrophe 3 survenait, comme d’habitude, tout le monde – analystes, économistes, politiques- s’empresserait de trouver des explications à posteriori sur cette poursuite de la crise des marchés financiers. Comme ils l’ont fait cet été alors même qu’ils n’avaient rien vu venir.
L’enseignement majeur que l’on retire en tout cas de ces situations reste la persistance de l’incapacité de tous ces spécialistes à anticiper les crises ou, à tout le moins, les turbulences, les ruptures et les instabilités. Peut-être parce-que ces spécialistes en tout genre ne le veulent pas ( il est tellement plus réconfortant de se complaire dans une espèce de consensus mou) ; peut-être aussi parce-que ce qui nous interpelle encore aujourd’hui est ce déficit de compréhension du fonctionnement et des réactions des marchés par les politiques (Cf notre papier récent intitulé « politiques et marchés financiers : des incompréhensions qui ne datent pas d’aujourd’hui ») : complexité des techniques financières ; multiplicité d’acteurs aux intérêts divergents et horizons de temps différents ; coexistence entre analyses fondamentale , analyse technique et comportement des investisseurs pour comprendre la violence de certains trends de marché
Vous me direz si l’on anticipe toujours le pire, à savoir les crises, guerres et révoltes, on ne fait plus rien sur les marchés… Il faut pourtant reconnaitre qu’il y a le monde tel qu’il est et le monde tel qu’on voudrait qu’il soit. Et quand l’on est trader ou investisseur, l’on doit savoir vivre dans le monde tel qu’il est et non dans celui tel qu’il est probable qu’il soit.
Donc, ceci ne veut pas dire qu’il faut être en dehors des marchés mais qu’il faut être suffisamment diversifié, séléctif dans son stock ou bond picking, défensif en surpondérant les vraies valeurs refuges non surévaluées et surtout décorrélé autant que faire se peut. Attention, il faut éviter les fausses décorrélations qui n’existent finalement que lorsque les marchés sont calmes et qui s’avèrent être désastreuses quand les crises apparaissent (comme par hasard ce qui était statistiquement décorrélé se recorréle brutalement en période de stress)
Tous ceux qui ont eu à gérer des portefeuilles prétendument diversifiés savent de quoi je parle ..Il faut donc toujours privilégier des supports d’investissement (quelles que soient vos anticipations et quelle que soit la classe d’actif) très liquides ; il faut également rechercher la simplicité et la transparence (attention donc aux arbitrages complexes basés sur des modèles statistiques qui volent en éclats lorsque les marchés connaissent de graves perturbations). Ces conseils de bon sens reviennent aussi à se protéger de l’irrationnalité des marchés, des conséquences de ventes forcées sur la valeur de certains actifs et du mimétisme.
Mory Doré , Septembre 2011
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