La situation peut sembler paradoxale : alors que la France sort tout juste de la crise, les prix de l’immobilier ont connu une forte croissance ces derniers mois, et ont à peine chuté au plus fort de la crise. Comment expliquer ce phénomène ?
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Tout d’abord, remarquons que les prix des immeubles, appartements et maisons ne suivent pas de près le cycle économique. Rappelons-nous par exemple du long marasme de 1993 à 1999, alors que l’économie était en forte croissance.
Quelles sont alors les principes qui expliquent les variations des prix immobilier ? Une règle simple ("rule of thumb") consiste à mettre en rapport le prix d’un bien immobilier au loyer qu’il procure. Cela donne le "prix-to-rent ratio". On compare ensuite ce ratio à sa moyenne historique pour déterminer si le bien immobilier est sur-évalué (dans le cas où le ratio aujourd’hui est supérieur à la moyenne) ou sous-évalué (dans le cas inverse). The Economist publie régulièrement de telles estimations pour différents pays, par exemple ici. Selon cette mesure, l’immobilier français est surévalué en 2010. Seul problème : cette méthode ne semble pas pouvoir expliquer une large partie des changements de prix... Autrement dit, son pouvoir prédictif est faible.
Il nous faut revenir aux principes fondamentaux de valorisation d’un actif. Supposons qu’un appartement vous procure chaque année un loyer de 10 000 euros, et que ce loyer augmente seulement avec l’inflation, pour faire simple (par exemple, il augmente de 2% si l’inflation augmente de 2%). A ce stade, essayez de parvenir à une estimation approximative du prix de cet appartement, selon votre connaissance du marché immobilier.
Supposons également que le taux d’intérêt nominal (affiché) est de 3,3% (rendement d’une OAT à 10 ans le 31 décembre 2010). Si l’inflation attendue s’élève à 2%, alors le taux d’intérêt réel est de 1,3%. Dans ces conditions, le prix de l’appartement s’élève simplement à
P = loyer annuel / (taux d’intérêt nominal - croissance annuelle du loyer)
P = loyer annuel / (taux d’intérêt réel - croissance annuelle du loyer nette de l’inflation)
C’est la formule de valorisation d’une perpétuité avec croissance, c’est-à-dire un actif qui paye chaque année un certain montant (le loyer), lequel peut éventuellement croître dans le temps.
Soit :
P = 10 000 / (3,3% - 2%) = 769 231€
P = 10 000 / 1,3% = 769 231€
Ce prix peut sembler relativement élevé, mais il est parfaitement justifiable par les fondamentaux économiques actuels.
Remarquons que cette formule de valorisation est très sensible au taux d’intérêt. Par exemple, en 2007-2008, le taux susmentionné était proche de 4,5%. En utilisant à nouveau la même formule, le prix du même appartement à l’époque serait de (seulement) 400 000 euros. Le modèle a donc prévu une hausse du prix de 92% en trois ans ! A cette aune, ce sont les prix actuels qui semblent sous-évalués.
Il s’agit bien entendu d’une méthode assez simple pour évaluer le marché immobilier. Des analyses plus fines prendraient en considération la fiscalité, les possibilités d’endettement pour l’achat d’un bien immobilier (celles-ci sont néanmoins déjà partiellement implicitement prises en considération avec le taux d’intérêt), etc.
Nous nous contenterons de mettre l’accent sur trois facteurs qui favorisent la hausse des prix
Premièrement, l’augmentation de l’épargne de précaution dans le monde. C’est un fait, l’économie est devenue plus imprévisible et plus volatile. Dans ces conditions, les ménages ont tendance à faire preuve de prudence et à augmenter leur épargne de précaution, pour faire face aux risques futurs. Cette hausse de l’épargne a pour effet de faire baisser les taux d’intérêt à long-terme et d’augmenter les prix des actifs.
Deuxièmement, alors que de nombreux Etats font face à des problèmes d’insolvabilité, les épargnants recherchent presque à tout prix un autre placement "sans risque". Si les obligations d’Etat perdent ce statut, il ne reste plus guère que "la pierre" qui procure un revenu stable et ne risque pas de s’évaporer. Cela laisse présager une baisse du prix des obligations d’Etat, mais une hausse des prix de l’immobilier.
Troisièmement, les biens immobiliers sont des actifs réels, c’est-à-dire que les revenus procurés (sous forme de loyers) évoluent avec l’inflation, bon an mal an. Par contraste, les obligations sont typiquement des actifs nominaux, c’est-à-dire dont les cash flows sont spécifiés en termes monétaires. Par conséquent, tandis que le prix des biens immobiliers augmente avec l’inflation, le prix des obligations n’est pas affecté par l’inflation. Autrement dit, la valeur réelle d’un bien immobilier n’est en principe pas affectée par l’inflation, ceteris paribus, tandis que les obligations se dévalorisent (en termes réels) en période d’inflation. Comme nous l’avons déjà expliqué auparavant, il est fort possible que l’inflation décolle dans les années à venir. C’est un facteur qui rend les biens immobiliers plus attractifs, et qui pourrait encore pousser les prix à la hausse.
EE , Pierre Chaigneau , Juillet 2011
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