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Un été agité pour les obligations High Yield : beaucoup de bruit pour rien ?

Les spreads des obligations spéculatives (HY) ont connu des mouvements très marqués d’élargissement et de compression entre la mi-juillet et la mi-août. L’état des marchés HY américain et européen est déterminé par les flux d’investissement, la liquidité et les valorisations

Plusieurs facteurs ont entraîné une décollecte brutale des fonds et des ETF investis en titres HY américains entre la mi-juillet et la mi-août. En revanche, les flux vers les véhicules investis en obligations HY européennes ont été bien plus stables, malgré l’impact de la montée du risque géopolitique. Les flux d’investissement dans la classe d’actifs sont redevenus positifs ces dernières semaines dans un contexte de resserrement des spreads, qui ont effacé l’essentiel de leur hausse récente. Dans cet article, nous analysons les tendances des flux et les niveaux de valorisation, et nous comparons les facteurs affectant respectivement les marchés américain et européen des obligations HY.

Décollecte et liquidité

Comme durant l’été 2013, les fonds et les ETF investis en obligations HY américaines ont subi des sorties très importantes en l’espace de quelques semaines, à partir de la 2nde quinzaine de juillet. Si le mouvement de sortie de 2013 était uniquement dû au terme tapering prononcé par Ben Bernanke, cette fois-ci l’explication semble plus compliquée. Puisque les fondamentaux n’ont pas connu d’évolution majeure et que Janet Yellen, présidente de la Fed, ne semble pas pressée d’interrompre sa politique de taux zéro, la décollecte violente des véhicules investis en titres HY ne semble pas justifi ée par un changement radical de perspectives. Les investisseurs particuliers ont beaucoup plus contribué à ce mouvement que les investisseurs institutionnels, du moins lors des premières semaines. Ce qui semble être confi rmé par la corrélation retardée entre les performances totales négatives (ou l’augmentation du rendement à l’échéance) et les sorties hebdomadaires représentées dans les graphiques : à cet égard, la tendance de l’été 2014 a été très similaire à celle de 2013.

Toutefois, le facteur déclencheur tient cette fois-ci à la nervosité croissante des investisseurs concernant les valorisations des obligations spéculatives, qui ont beaucoup monté en raison de la quête de rendement. La manière avec laquelle les médias ont traité le risque accru de bulle sur le marché des titres HY au cours des semaines et des mois qui ont précédé la forte décollecte a probablement joué un rôle dans ce mouvement brutal. Autre facteur déclencheur, le rapport sur la politique monétaire de la Fed publié à la mi-juillet, qui faisait notamment mention de positionnements de plus en plus risqués dans certains secteurs des marchés actions et des prêts à effet de levier de faible qualité. Les risques géopolitiques et d’autres facteurs propres aux émetteurs ont probablement eu une incidence plus importante sur le marché européen du haut rendement.

Au moment où nous rédigeons, les sorties se sont interrompues et les flux sont redevenus positifs, avec 2,6 milliards de dollars investis dans des fonds et des ETF HY américains lors de la semaine ayant pris fi n le 20 août (cf. graphique 2).

Les fonds investis dans des obligations spéculatives européennes ont été bien moins touchés par ce mouvement de sortie : en seulement 4 semaines (à partir du 14 juillet) les fonds et les ETF HY américains ont vu leur encours fondre de près de 18 milliards de dollars, contre des sorties de seulement 1,3 milliard de dollars pour leurs homologues européens. Cet écart en termes de décollecte semble coïncider avec la situation globale : les politiques monétaires divergentes tendent à encourager la quête de rendement en Europe plutôt qu’aux États-Unis, ces derniers étant plus exposés au risque de performances totales négatives. En outre, les actions américaines affichent également des valorisations élevées, en particulier les petites et moyennes capitalisations. Enfin, le rôle des ETF comme instrument tactique permettant d’accroître ou de réduire l’exposition à la classe d’actifs est plus prononcé aux États-Unis.

Au-delà des différents niveaux de prises de bénéfices sur la classe d’actifs des deux côtés de l’Atlantique, intéressons-nous à la problématique tant redoutée de la liquidité. L’évolution divergente de l’encours de dette d’une part et de la taille du book des courtiers/le stock d’obligations d’autre part (également pour des raisons réglementaires) est ainsi devenue une source d’inquiétude grandissante. Le graphique 3 présentant l’écart moyen entre cours acheteurs et cours vendeurs des obligations américaines notées BB et B est plutôt rassurant à cet égard : malgré la décollecte de 18 milliards de dollars concentrée en l’espace de quelques semaines, l’écart acheteur-vendeur est resté relativement proche de ces niveaux précédents et, surtout, n’a pas augmenté comme durant l’été 2013. Pour résumer, le marché a donc été capable de gérer et d’absorber ce mouvement brutal et violent de décollecte sans entraîner d’assèchement de la liquidité.

Les fonds investis dans des obligations spéculatives européennes ont beaucoup moins souffert de la décollecte que leurs homologues investis sur le marché américain

Les valorisations sont-elles élevées ?

On a beaucoup craint la formation d’une bulle sur le marché des obligations spéculatives à mesure que les spreads se comprimaient jusqu’à l’été. Les spreads des titres américains HY se sont sensiblement comprimés entre septembre 2011 et la mi-juin 2014, passant de 900 pb à un nouveau plus bas de 330 pb. Le resserrement des spreads des obligations européennes HY a été encore plus marqué, passant de plus de 1 000 pb pendant la crise de la dette souveraine à un plus bas de 297 pb aujourd’hui. Les bulles se forment généralement lorsque les valorisations et les fondamentaux évoluent durablement dans des directions opposées, et fi nissent par atteindre une divergence intenable. Le graphique présente le lien entre les valorisations (mesurées par les spreads) et les fondamentaux (représentés par les pertes réelles sur défaut subies par les titres HY sur un an). Plutôt que d’utiliser uniquement les taux de défaut, nous avons privilégié les pertes réelles sur 1 an dues à des défauts afi n de tenir compte également d’une autre variable, les taux de recouvrement. Le graphique montre que l’écart entre la prime de risque et les pertes réellement subies s’est considérablement réduit depuis 2011 ; mais dans le même temps, il reste encore aujourd’hui plus élevé que le delta atteint lors de phases également marquées par des taux de défaut faibles. Les spreads se sont récemment établis aux alentours de 400 pb avec une perte sur défaut de 1,5 % sur les 12 derniers mois : historiquement, lorsque ces pertes étaient (proches) d’aussi faibles niveaux, les spreads étaient encore plus comprimés qu’actuellement, respectivement proches de 300 pb entre 2004 et 2007 et inférieurs à 300 pb en 1996 et 1997. Autrement dit, la prime offerte par les obligations HY par rapport aux niveaux actuels des défauts ne nous semble pas encore exagérée à l’aune des plus bas atteints par le passé.

Les périodes d’un an étant probablement trop courtes pour les adeptes de la stratégie buy and hold, nous avons décidé de tenir compte du cumul des pertes sur un horizon de 5 ans. Compte tenu des spreads actuels, les obligations HY américaines couvrent un cumul de pertes sur 5 ans de 18 %, 27 % et 51 % pour les titres BB, B et CCC, respectivement. Les moyennes historiques à long terme des pertes cumulées sur 5 ans sont respectivement de 10 %, 24 % et 49 %, tandis que les pires pertes historiques sur 5 ans sont bien plus élevées (23 %, 41 % et 66 %). Par conséquent, les obligations notées BB et B semblent surcompenser les pertes moyennes historiques, même si les pires pertes historiques sur 5 ans sont très éloignées au vu des valorisations actuelles. Revenons maintenant un peu en arrière : intéressons-nous aux défauts cumulés sur 5 ans par cohorte d’émetteurs HY pour chacune des années entre 2005 et 2009. Lors de chacune de ces années, les défauts cumulés sur 5 ans ont été inférieurs aux défauts implicites actuels des émetteurs bien notés, à savoir les signatures BB et B. Les défauts cumulés sur 5 ans des titres BB étaient de 9 % 10 % en 2005 et 2006, puis sont tombés à 8,8 % en 2008 et 2009, pour finalement atteindre environ 5 % pour la cohorte de 2009. Les émetteurs notés B présentaient des défauts cumulés sur 5 ans entre 20 % et 23 % lors des quatre premières années, avant de retomber à 13,7 % lors de la 5e année. Là encore, les spreads actuels ne semblent pas trop resserrés dans les deux principales catégories de notation (BB et B) : seule exception, les émetteurs les plus faiblement notés (CCC), également sur l’horizon de 5 ans.

Par conséquent, les spreads des obligations CCC semblent relativement compressés par rapport aux données historiques et au passé récent : toutefois, ce segment de plus faible qualité ne joue qu’un rôle limité sur le marché américain du haut rendement (15 % du marché global), sans parler du marché européen (seulement 8 % du total). En revanche, les spreads des émetteurs BB et B ne semblent pas particulièrement compressés : les titres BB notamment surcompensent encore les moyennes historiques et l’environnement actuel des défauts, alors que les titres B sont plus en ligne avec ces deux référentiels.

La prime offerte par les obligations HY par rapport aux niveaux actuels des défauts ne nous semble pas encore exagérée à l’aune des plus bas atteints par le passé

Quel « spread d’équilibre » par rapport aux titres du Trésor

Autre manière d’évaluer les valorisations, calculer l’augmentation nécessaire du « spread point mort » (breakeven spread) pour atténuer l’avantage du portage sur une période d’un an. Cet exercice est particulièrement intéressant pour les obligations HY américaines car les taux sont en passe d’y augmenter, contrairement à la zone euro. À l’heure où nous écrivons, le segment des titres HY américains d’échéance 3 à 5 ans affiche un rendement de 5,3 %, soit 444 pb de plus que le rendement des bons du Trésor correspondants. Comme la duration moyenne est de 2,2 années, une augmentation de 200 pb du spread actuel serait nécessaire pour perdre le portage positif sur une période d’un an. Le spread devra donc passer de 444 pb à 650 pb pour commencer à générer un rendement excédentaire négatif par rapport aux titres d’État, en excluant les pertes sur défaut. Les calculs font apparaître des chiffres similaires pour le segment 1-3 ans, dont les spreads, actuellement de 350 pb, auraient besoin d’une augmentation de près de 200 pb. Concrètement, le portage relatif offert actuellement par les obligations HY des segments à court terme est encore élevé en valeur relative et pourrait servir de coussin contre le risque de hausse des taux, dans un scénario de faiblesse persistante des taux de défaut.

Obligations HY américaines, européennes ou les deux ?

La volatilité accrue des obligations HY américaines s’est confirmée ces dernières semaines, en termes de variation des spreads, de flux d’investissement et de variation du rendement des obligations sous-jacentes. La Fed essaie de communiquer du mieux que possible sur la délicate question du calendrier de sortie de la politique de taux zéro en 2015, alors que la BCE est sur le point d’introduire de nouvelles mesures d’assouplissement : comme nous l’avons déjà mentionné, le marché du crédit européen, malgré son exposition accrue au risque géopolitique, semble à cet égard plus sûr que le marché du crédit américain. Comme le montre le lien entre les rendements obligataires et les flux d’investissement, un « aplatissement baissier » (bear flattening) de la courbe américaine pourrait entraîner de nouvelles prises de bénéfices de la part des investisseurs HY. De plus, comme nous l’avons déjà expliqué, l’élargissement du breakeven spread des obligations HY américaines semble attractif par rapport aux bons du Trésor sur les segments à courte échéance, sur lesquels les rendements des titres de l’État américain et des obligations IG n’offrent guère, voire aucune, protection contre le risque de taux d’intérêt. Le repli du rendement du bund à 10 ans - qui a récemment franchi à la baisse le seuil psychologique de 1 % - coïncide avec les chiffres décevants de la croissance en zone euro et la détérioration des anticipations d’inflation. Le fait que cette tendance se concrétise presque en même temps que le resserrement des spreads des pays de la périphérie européenne confirme que, pour l’heure, les anticipations de nouvelles mesures d’assouplissement par la BCE et la quête de rendement constituent des facteurs plus puissants que les craintes relatives à la viabilité de la dette. Les facteurs techniques semblent donc toujours plus favorables aux obligations HY européennes qu’américaines. En revanche, les entreprises américaines émettrices de titres spéculatifs devraient davantage bénéficier de l’amélioration des perspectives macro et microéconomiques que leurs consœurs européennes et aussi, dans une certaine mesure, d’un risque de refinancement plus faible à court terme. En termes de valorisation, nos outils d’analyse ne témoignent d’aucune divergence importante sous de nombreux aspects. Le poids plus important des titres notés CCC moins attractifs sur le marché américain pourrait accroître les risques, mais pas à très court terme.

Bien que nous n’ayons pas de préférence marquée entre les deux segments, les obligations HY européennes semblent profiter de facteurs de soutien plus solides à court terme, mais à moyen terme les titres HY américains sont probablement plus intéressants.

Qu’elles soient libellées en dollar ou en euro, les obligations de qualité des segments à court et moyen terme sont à privilégier.

Sergio Bertoncini , Septembre 2014

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