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Marchés financiers et prophéties auto-réalisatrices.

Il est souvent admis que les marchés ont absurdement surévalué certains prix d’actifs financiers et ont ensuite précipité les crises quand ils se sont aperçus de la déconnection criante entre la réalité économique et la valorisation des actifs financiers en question. Le terme à la mode aujourd’hui et souvent employé ici ou là pour décrire ce type de phénomène est le terme de prophéties auto-réalisatrices.

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On a coutume de faire le procès de la spéculation ou des agences de notation lorsqu’il s’agit d’expliquer les crises sur les marchés ou des mouvements de marché qui seraient totalement déconnectés des fondamentaux.

Certes, l’on a souvent assisté à des déviations significatives des prix des actifs par rapport aux fondamentaux avec des conséquences souvent déstabilisantes pour l’économie : volatilité excessive de certains prix d’actifs avec des risques de chocs patrimoniaux ; volatilité excessive pouvant transformer rapidement les excès d’endettement en crises de solvabilité. Trois crises parmi les plus intenses de ces 12 dernières années en témoignent :

  1. 1999-2000 Souvenons nous des cours actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000 avec l’éclatement de bulle qui a suivi ;
  2. 2004-2006 Souvenons nous aussi des crédits subprime aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006 et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris » avec comme aboutissement une crise sans précédent de la titrisation et des effets de contagion impressionnants ;
  3. fin 2009 Depuis fin 2009, nous vivons un autre type de surendettement , celui de certains souverains de la zone Euro et de leur insolvabilité puisque la croissance tirée dans le passé par l’endettement n’est plus possible (cf Irlande et Espagne notamment)

Il est souvent admis que les marchés ont absurdement surévalué certains prix d’actifs financiers et ont ensuite précipité les crises quand ils se sont aperçus de la déconnection criante entre la réalité économique et la valorisation des actifs financiers en question Le terme à la mode aujourd’hui et souvent employé ici ou là pour décrire ce type de phénomène est le terme de prophéties auto-réalisatrices.

Comment peut-on définir simplement ce phénomène ? On dira que ce phénomène correspond au passage brutal d’un équilibre économique et financier à un autre, non parce que les fondamentaux de l’environnement macroéconomique le justifieraient mais parce qu’il y a eu modification pour de bonnes ou mauvaises raisons des anticipations des marchés. Ce passage à une situation d’équilibre nouvelle valide donc de fait la modification des anticipations, raison pour laquelle on parle d’auto-réalisation.

A ce stade, on voit donc que les choses sont plus compliquées qu’il n’ y parait pour deux types de raisons. Premièrement, certaines prophéties auto-réalisatrices sont justifiées d’un point de vue fondamental (Cf l’éclatement de la bulle techno du début des années 2000 ou l’éclatement de la bulle supbrime de 2006). Pour la crise actuelle du subprime souverain, notre jugement sera plus nuancé et l’on va y revenir.

Nous passons dans ce papier en revue cinq exemples de prophéties auto-réalisatrices sur les marchés financiers ces dernières années, nous regardons si ces crises seraient survenues quand même sans ces prophéties (ce qui revient à justifier les prophéties auto-réalisatrices dans ces cas). Dans le cas contraire, nous présentons les dispositifs à mettre en œuvre pour déjouer les attaques des marchés puisque dans ce cas de figure, ceux-ci se trompent d’un point de vue fondamental

1. Les flux de capitaux vers les pays émergents

Ceux-ci furent massifs de 2005 à l‘été 2008, puis l’on assista à partir de l’automne 2008 à des retraits très importants de capitaux avec l’aversion au risque née de la faillite de Lehman au profit des zones refuge dollar , franc suisse et yen.

Ce phénomène a modifié significativement la situation macroéconomique des émergents uniquement parce qu’il y avait modification de la perception du risque émergent par les marchés. On était donc ici en présence d’auto-réalisation des anticipations des investisseurs.

Cet exemple fait partie des prophéties auto-réalisatrices non justifiées par les fondamentaux et la meilleure parade pour contrer les anticipations auto-réalisatrices des marchés est de faire en sorte que les pays émergents développent leurs excédents d’épargne et diminuent leur dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers à court terme extrêmement volatils. On peut dire que c’est largement le cas pour les grands émergents et que pour les autres la situation de dépendance n’ a absolument rien à voir avec les situations des années 1990 : crise mexicaine de 1994 , crise asiatique de 1997 et crise russe de 1998

2. La solvabilité des banques perçue par les marchés

Si les marchés anticipent que les états ne viendront pas recapitaliser les banques si nécessaire (contrairement à ce qui s’est passé à l’automne 2008), alors l’on va assister à une vraie crise de liquidité empêchant les établissements financiers de refinancer leurs activités (pas de possibilité d’émettre sur les marchés, fermeture de l’interbancaire, fuites des ressources clientèle). Ceci est auto-réalisateur puisque les banques arrêtent de prêter et l’on assiste à un effondrement de l’économie réelle et du prix de nombreux actifs financiers ; ce qui auto-entretient le problème de solvabilité des banques (dépréciations d’actifs et provisions qui amputent les fonds propres)

Retour sur les stress tests bancaires - Juillet 2011

A l’image de ceux de juillet 2010, les résultats de stress tests publiés le 15 juillet 2011 par L’autorité bancaire européenne n’intègrent pas une réelle évaluation de la dimension systémique des crises de marché. Ce qui nuit à leur (...)

Les auto-réalisations des marchés sont ici aussi excessives puisqu’elles sont incapables de discriminer entre les établissements et sous-estiment les dispositifs de mutualisation et de garanties voire d’interventions étatiques. Encore que sur ce dernier point la force de frappe budgétaire des états n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était encore en 2008. Comme nous l’écrivions dans le papier consacré aux stress tests bancaires, « si l’on stresse violemment des risques de nature systémique, on crée l’auto-réalisation et cela peut-être contreproductif ; cependant, si on ne le fait pas, on perd totalement en crédibilité et la confiance que l’on aura cherché à tout prix à sauvegarder, ne sera pas restaurée pour autant. Mettre en place des stress plus crédibles suppose donc que l’on prenne en compte la dimension systémique des crises de marché et que l’on y associe des réponses politiques et institutionnelles fortes qui permettront d’éviter tout phénomène de prophéties auto-réalisatrices »

3. La liquidité du marché financier

Lorsque les investisseurs pensent à tort ou à raison qu’il n’y aura pas d’acheteur pour tel actif financier, le réflexe normal est surtout de ne pas acheter cet actif (ce qui est rationnel et ne peut être blâmable du point de vue de l’investisseur). Conséquence, le marché de l’actif en question devient totalement illiquide et les prix chutent, ce qu’anticipaient initialement les investisseurs

La folle course à la liquidité et à la solvabilité des marchés

Certains marchés financiers présentent des dysfonctionnements depuis près de 4 ans. La course à la liquidité et au respect des contraintes de solvabilité pour des banques et certains états budgétairement fragilisés n’a été et n’est assurée que par des dispositifs de financement et de (...)

Que faut-il faire ? On est ici en face d’une prophétie auto-réalisatrice rationnelle et financièrement optimale. On ne peut limiter ce type d’auto-réalisation que par un aménagement des règles comptables et prudentielles

- A la banque centrale ou au régulateur de limiter les effets perturbateurs des variations du prix de certains actifs sur l’économie. Ceci suppose une contre-révolution en matière de normes comptables (IFRS à l’envers peut-être) avec la renonciation au mark to market pour certains types d’instruments financiers et certains types d’acteurs des marchés financiers

- Dans le même esprit, les actifs véritablement faits pour être détenus à long terme ne devraient pas être cotés en temps continu (il faudrait imaginer d’autres types d’affichages de prix)

- A défaut, sans doute faut-il qu’il existe des véritables investisseurs de long terme sorte d’acheteurs en dernier ressort pour des titres « injustement » décotés (on sait bien qu’il a toujours existé, et plus encore en période de stress, des actifs terriblement sous-évalués pour des raisons extra-économiques : ventes forcées, mimétisme, illiquiidté, aversion au risque , règles prudentielles, effets mémoire, corrélation historique à des actifs en réelle crise…)

4. Les rapatriements de capitaux sur le marché des changes

Nous pensons à deux types de situations

a/ le comportement des investisseurs japonais rapatriant capitaux à la fin des semestres fiscaux en mars et septembre a tendance à faire anticiper à ces moments des hausses du yen contre toutes devises, ce qui a naturellement tendance à auto-réaliser l’appréciation de la devise nipponne ; de même, l’anticipation de besoins de financement pour reconstruire un pays dévasté par le tsunami du 11mars 2011 a pu laisser penser que l’on assisterait à de violents rapatriement de capitaux et donc à des rachats de yens par les institutionnels japonais, ce qui là aussi valide l’appréciation du yen

Marchés financiers : se couvrir contre les risques structurels nouveaux et ceux de stagflation

On dénombre au moins quatre risques structurels nouveaux à prendre en compte : réglementation , Moyen orient , crise de la zone Euro, et toujours la grande idée de changement de modèle de croissance des émergents

b/ Tant que de nombreux pays émergents et exportateurs de pétrole lient leur monnaie au dollar et que d’autres pays émergents veulent éviter l’appréciation de leur taux de change par rapport au dollar, les banques centrales des ces pays sont condamnées à accumuler des réserves de changes en dollar, donc à émettre leur propre monnaie pour la vendre et acheter la contrevaleur de titres libellés en dollar. Lorsque vous suivez régulièrement la progression du bilan de certaines Banques centrales d’Asie, vous finissez par avoir une meilleure vision des tendances sur certaines parités de change et sur l’évolution des taux gouvernementaux 10 ans US que si vous étiez focalisés sur les fondamentaux.

Que se passerait-il si l’on anticipait que les banques centrales de nombreux pays émergents décident de changer de modèle de change (rupture du lien avec le dollar ou/et modèle économique basé sur la consommation domestique et qui ne nécessite plus de lutter contre l’appréciation de sa devise) ? Eh bien l’on assisterait sans doute à de violentes corrections à la baisse du dollar contre devises émergentes mais pas seulement et à un violent ajustement à la hausse des taux obligataires US

On se trouve dans ces deux types de situations (épargne japonaise, modèle de change des émergents) face à des prophéties auto réalisatrices contre lesquelles on ne peut pas grand-chose puisqu’elles correspondent à des mouvements de capitaux anticipés justifiés par des choix de politique économique ou des évolutions de comportements (banques centrales, institutionnels…)

5. L’actualité de la crise des dettes souveraines

C’est ici que resurgit le procès récent fait aux agences de notation Envisager la possibilité de défaut d’un emprunteur souverain de la zone euro, même si les dispositifs FESF-UE-FMI permettent d’évacuer ce risque à court terme est forcément auto-réalisateur par la hausse des taux d’intérêt qu’elle entraîne.

Plans de sauvetage de la zone euro : origine et utilisation des milliards

Retour précis et détaillé sur les plans de sauvetage depuis mai 2010 des pays en graves difficultés budgétaires au sein de la zone Euro. Comment sont mobilisés ces dizaines de milliards d’euros, à quoi sont-ils destinés et, surtout, ces sommes sont-elles suffisantes pour restaurer (...)

Encore qu’aujourd’hui grâce aux plans de soutien, Irlande , Grèce et Portugal qui n’ont plus un accès normal aux marchés se financent à des taux subventionnés rendant pour l’instant la dette soutenable.

On se souvient des crises du SME de 1992-1993 ( à l’époque , je gérais d’importantes positions de trading sur les dérivés de taux Franc ) et de la croyance des marchés en l’impossibilité de certains pays de maintenir un lien fixe entre leurs devises et le mark. Cette anticipation est devenue autoréalisatrice avec l’enchainement suivant : baisse de la monnaie nationale contre mark, hausse des taux pour la défendre et situation économiquement insoutenable ; conduisant bon nombre de pays à sortir du SME en 1992-1993 : Grande Bretagne, Italie , Espagne et Portugal et conduisant le SME à de réformer en juillet 1993 avec un passage des marges de fluctuations entre devises du système de +/- 2.25% à +/- 15%.

Que faire pour éviter l’auto-réalisation dans la crise de la dette souveraine que nous connaissons aujourd’hui ?

- Il faut bien sûr mettre en place un vrai dispositif de supervision des politiques budgétaires (Maastricht aurait du servir à cela au lieu de se focaliser dogmatiquement sur des critères de convergence uniquement quantitatifs)

- Il faut aussi consolider ce qui a été mis en place depuis mai 2010 avec la création du fonds Européen de Stabilité Financière et les dispositifs d’aide pour les pays et acteurs faisant face à une crise de liquidité, quand il s’agit d’une vraie crise de liquidité.

- Par contre, si l’on a affaire à une crise de solvabilité ( ce qui est souvent le cas ) , alors qu’il y ait prophétie auto-réalisatrice ou pas, on ne peut rien prévenir puisque le problème est structurel. Il faut alors des solutions structurelles fortes et j’en vois 4 seulement avec des probabilités de survenance très différentes

  • Politiques visant à améliorer la croissance potentielle (solutions de long terme)
  • mise en place d’un véritable fédéralisme fiscal avec une mutualisation des dettes nationales et la mise en place de programmes d’émissions d’Eurobonds (politiquement difficile notamment pour l’Allemagne )
  • restructurations de dettes ou défauts partiels (en essayant d’éviter les risques systémiques et en s’inspirant d’exemples réussis chez les émergents depuis 1998 : Russie, Argentine, Uruguay , Equateur)
  • sortie temporaire – avec le risque que ce temporaire s’éternise - de la zone Euro de certains pays : dévaluation de la nouvelle monnaie nationale , taxe inflationniste pour réduire la dette (électoralement payant mais économiquement suicidaire à terme)

Mory Doré , Juillet 2011

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