Marchés d’actions en zone euro : un état des lieux pré-normalisation

Deux ans après le changement de stratégie de la BCE, on observe que les éléments de fragmentation au sein des marchés d’actions de la zone euro se sont considérablement atténués. Les fortes disparités de valorisation entre les pays apparues au plus fort de la crise ont nettement diminué.

Néanmoins, nous ne sommes pas encore revenus au régime de forte intégration qui prévalait jusqu’en 2010. Des primes de risque spécifiques subsistent pour les marchés d’actions des pays périphériques, liées à la faiblesse de leurs économies.

Une mesure de la segmentation des marchés d’actions en zone euro et de l’effet pays

La lecture directe de l’impact de la crise de la dette sur les actions des différents pays n’est pas aisée. Les indices pays ont des structures sectorielles très différentes qu’il faut prendre en compte pour analyser les écarts de performance et de valorisation entre les pays. Les entreprises cotées sont des multinationales qui réalisent en moyenne près de 40 % de leur chiffre d’affaire hors de la zone euro.

Nous utilisons ici une métrique robuste de la dispersion des valorisations entre les pays, et donc de la segmentation du marché d’actions en zone euro en réponse à la crise de la dette. Elle fournit une mesure instantanée de la perception des investisseurs sur la situation de la zone euro.

Forte diminution de l’hétérogénéité des valorisations des actions entre les pays de la zone euro

Il convient de descendre au niveau sectoriel dans chaque pays. Nous nous intéressons aux multiples de valorisations [1] sur les marchés d’actions des industries (38) dans chaque pays de la zone euro. Dans une zone intégrée économiquement et financièrement, les écarts de valorisation entre les industries de chaque pays doivent être faibles et stables dans le temps. En effet les deux déterminants fondamentaux des valorisations des actions à savoir la trajectoire de croissance des dividendes ou bénéfices g et le taux d’actualisation r doivent converger pour une industrie donnée, quelle que soit l’appartenance géographique.

Ceci repose sur le fait que dans une zone intégrée économiquement, le potentiel de croissance d’une société ne dépend pas du pays d’appartenance mais plutôt de l’opportunité de croissance au sein de la zone pour l’industrie considérée. Il en va de même pour le coût des fonds propres qui détermine le taux d’actualisation : il doit être fonction d’un taux sans risque commun (à fortiori dans une union monétaire), d’une prime de risque commune aux marchés d’actions de la zone et du beta de l’industrie considérée (fonction de facteurs tels que la cyclicité, la sensibilité aux matières premières…).

Pour chaque pays nous évaluons ensuite dans quelle mesure on s’éloigne de cette situation d’équilibre qui était le référentiel avant la crise de la dette. Cet écart représente la valorisation de l’effet pays résultant d’une prime de risqueet/ou d’une anticipation de croissance locale. L’agrégation de ces effets pays nous donne une mesure de la segmentation des marchés [2].

Fort mouvement de convergence depuis 2012, sans normalisation

La crise de la dette a conduit à un éclatement des valorisations comparable au régime de la fin des années 90, avant l’introduction de l’euro. Depuis juillet 2012, on constate un fort mouvement de convergence sans pour autant revenir à la situation d’avant la crise. Des primes de risque plus élevées subsistent logiquement en Espagne et en Italie (voir graphiques 1 et 2), liées à la faiblesse de ces économies et à la forte incertitude sur les perspectives macroéconomiques. Le rendement (earning yield) est en moyenne 4 % plus élevé pour les industries espagnoles et italiennes par rapport au reste de la zone euro. Deux facteurs motivent la baisse de ces primes de risque dans les pays périphériques depuis deux ans :

  • 1. la baisse de l’hétérogénéité des coûts de financement avec la convergence des taux d’intérêt ;
  • 2. l’amélioration des perspectives économiques grâce aux réformes structurelles et à des chiffres macroéconomiques plus rassurants.

A plus long terme, des questions subsistent. Une faiblesse persistante de l’investissement pourrait conduire à un affaiblissement des gains de productivité des entreprises de ces pays. Il faut aussi mentionner le risque lié à la fiscalité des entreprises pour réduire le déficit public.

Le coût des fonds propres des sociétés périphériques converge à nouveau vers le noyau dur. Mais la normalisation ne sera achevée que lorsque nous serons revenus à la situation de forte convergence qui prévalait avant la crise. Sur les marchés de la dette souveraine, une plus forte hétérogénéité des taux d’intérêt entre les différents pays n’est pas incompatible avec des marchés intégrés et est souhaitable par rapport par rapport au régime d’avant crise, afin de refléter les divergences des situations économiques et fiscales.

En revanche, sur les marchés d’actions la situation d’équilibre est celle qui prévalait avant la crise, à savoir une configuration où la valorisation des secteurs est indépendante de toute considération géographique. Dans la dernière revue annuelle sur l’intégration des marchés financiers [3], la BCE souligne la nécessité de poursuivre le processus d’intégration des marchés d’actions et des marchés d’obligations d’entreprise en zone euro, afin de donner accès aux entreprises à un choix de financement plus large. Pour combattre la persistance structurelle d’une « préférence nationale » (Home bias) sur ces marchés, elle recommande entre autres de promouvoir une plus grande harmonisation de la fiscalité d’entreprise et de la gouvernance d’entreprise au sein de la zone euro.

Delphine Georges , Juin 2014

Notes

[1] Nous utilisons un multiple prix sur bénéfices ajustés du cycle afin de s’affranchir de l’écart de valorisation qui proviendrait d’une différence de positionnement dans le cycle économique entre les pays

[2] Cf. Bekaert, G., Harvey C. R, Lundblad, C.T.and Siegel, S., “What segments equity markets”, Review of Financial Studies, Vol 24, No 12, October 2011.

[3] Cf. Financial integration in Europe, April 2014, European Central Bank.

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