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Les jours de la politique accommodante de la Fed semblent comptés

Dans cette édition, un gérant obligataire, un chef économiste, un spécialiste de la dette souveraine européenne et un gérant actions issus de Natixis Global Asset Management donnent leur opinion sur l’éventualité de l’arrêt du programme de rachat d’obligations de la Fed en octobre et que cela puisse provoquer une très forte réaction des marchés...

La Réserve fédérale américaine maintient son taux directeur proche de zéro depuis décembre 2008 et a injecté des milliers de milliards de dollars dans l’économie via ses achats mensuels de bons du Trésor et de titres garantis par des créances immobilières, tout cela afin d’éviter une dépression en bonne et due forme dans le sillage de la crise financière mondiale. Alors que l’économie américaine montre désormais des signes de vigueur, avec une reprise de l’emploi et une croissance de 4% du PIB au deuxième trimestre 2014, la poursuite de cette politique monétaire ultra-accommodante est remise en question.

Dans cette édition, un gérant obligataire, un chef économiste, un spécialiste de la dette souveraine européenne et un gérant actions issus de Natixis Global Asset Management donnent leur opinion sur l’éventualité de l’arrêt du programme de rachat d’obligations de la Fed en octobre et que cela puisse provoquer une très forte réaction des marchés (le « taper tantrum »), mais aussi leurs hypothèses sur la date à laquelle la Fed pourrait relever ses taux, de la possibilité d’une prochaine hausse des taux de la Banque d’Angleterre, et des conséquences qui pourraient en découler pour les investisseurs.

Michael Gladchun, Gérant obligataire, Loomis, Sayles & Company

Selon nous, l’arrêt du programme d’achat d’obligations de la Réserve fédérale en octobre sera un non-événement et aura peu d’impact sur les marchés dans leur ensemble. La fin de ce programme a été très clairement annoncée par le Federal Open Market Committee (FOMC) et les marchés s’attendent donc depuis longtemps à ce qu’il arrive à son terme cet automne. En réalité, ce qui a provoqué le « taper tantrum » observé l’an dernier n’est pas tant l’ajustement des marchés à la perspective d’une réduction progressive du rythme des achats d’actifs que leur ajustement à la perspective de voir la fin du programme intervenir plus tôt que prévu.

Le FOMC a très bien réussi à établir une séparation entre d’une part l’utilisation par la Fed de son bilan et d’autre part l’utilisation des orientations futures concernant ses taux directeurs en tant qu’outils de politique monétaire. Les marchés ne se fient plus au recours par la Fed à son programme d’achat d’obligations comme mécanisme de prévision de la trajectoire des taux. En revanche, ils ont souscrit à l’approche de la Fed consistant à conditionner sa politique monétaire en fonction de l’évolution des données économiques et calquent désormais leurs prévisions sur les indicateurs des capacités excédentaires sur le marché du travail.

La Fed pourrait-elle relever ses taux d’intérêt plus tôt que prévu ? Nous anticipons un relèvement initial des taux au troisième trimestre 2015. Nous rejetons l’hypothèse d’une accélération sensible de l’inflation sous-jacente à court terme. Cependant, nous surveillons étroitement la hausse des salaires car nous pensons qu’elle devrait s’accélérer et mettre la présidente de la Fed, Janet Yellen, et le FOMC sous pression – là encore non pas cette année mais l’an prochain.

Compte tenu des progrès réalisés en ce qui concerne le volet de l’emploi du double mandat de la Fed, toute augmentation de l’inflation, aussi modérée soit-elle, ne fera que renforcer la position des « faucons » au sein du FOMC. Il semble que ces derniers continueront de prôner une transition plus rapide vers un durcissement de la politique monétaire. La majorité des intervenants s’attendant à ce que le programme d’achat d’obligations de la Fed prenne fin en octobre, le débat ne porte désormais plus sur le rythme du « tapering » mais sur les orientations fournies concernant l’évolution des taux d’intérêt. Ce débat ira en s’intensifiant à mesure que les indicateurs traditionnels des écarts en termes d’emploi et d’inflation continueront de s’amenuiser, comme nous l’anticipons. Cependant, nous pensons que Janet Yellen et le FOMC continueront de résister à la pression des « faucons » tant que les statistiques sur le marché de l’emploi feront état de capacités excédentaires et que les anticipations d’inflation resteront ancrées.

Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique, Natixis Asset Management

Le timing est essentiel. Alors que la Fed se dirige vers la normalisation de sa politique monétaire, son principal défi sera d’éviter une répétition du scénario de 1937-1938, lors duquel la normalisation monétaire après plusieurs années de forte croissance avait conduit à l’effondrement de l’activité économique. Un exemple plus récent est le ralentissement du marché immobilier américain provoqué par la hausse des taux hypothécaires suite à la déclaration de Ben Bernanke, alors président de la Fed, devant le Congrès en mai 2013. Dès lors, toute la question est de savoir si la Fed peut prendre le risque d’agir trop rapidement.

Dans ces conditions, quand pensez-vous que la Fed amorcera le relèvement des taux ?

Les investisseurs semblent anticiper une première hausse vers mars-avril 2015 mais pour les raisons que je viens d’évoquer, cette date paraît trop précoce. Selon moi, il serait préférable d’attendre le deuxième semestre 2015. Les conditions ne sont pas encore compatibles avec le taux d’inflation élevé, c’est à dire bien supérieur à l’objectif de 2% visé par la Fed, qui l’amènerait à relever ses taux d’intérêt. C’est pourquoi je pense que la Fed prendra son temps pour s’assurer que la reprise de l’économie américaine est suffisamment solide.

L’arrêt prévu des achats d’obligations de la Fed risque-t-il de provoquer une forte réaction des marchés ?

Je pense que l’impact de l’arrêt des achats d’obligations de la Fed sera limité, et ce pour deux raisons. En premier lieu, la réduction des achats d’actifs de la Fed a débuté en janvier et a eu peu d’incidence sur le marché. De fait, les taux d’intérêt à long terme aux Etats-Unis sont aujourd’hui plus bas qu’avant l’amorce du « tapering ». En second lieu, la balle est désormais dans le camp de la Banque centrale européenne (BCE). Une certaine coordination existe entre les banques centrales. Dès que l’une d’entre elles cesse ses achats d’actifs, une autre augmente les siens. Cette coordination est un élément important et c’est pourquoi je ne m’attends pas à ce que la liquidité pose problème.

Quelles sont vos prévisions concernant la politique monétaire de la BCE ?

En juin, la BCE a ramené son principal taux de refinancement à 0,15% et a abaissé le taux de sa facilité de dépôt à -0,10%. Ces taux ne changeront pas avant la fin de 2016 et la probabilité qu’ils soient maintenus à ces niveaux jusqu’en décembre 2018 est loin d’être nulle. L’objectif était de stabiliser le marché monétaire et de freiner les anticipations concernant les taux d’intérêt à long terme. Cette politique porte ses fruits jusqu’ici, sachant que le rendement des emprunts d’Etat allemands à 10 ans est proche de 1% et que le taux d’intérêt au jour le jour (l’Euro Overnight Index Average, ou EONIA) ressort à près de 2 points de base. Cette stratégie de taux d’intérêt bas pour une période prolongée reflète l’atonie des perspectives de croissance (comme en témoigne le taux de croissance du deuxième trimestre) et le très faible taux d’inflation qui s’accompagne d’un risque de déflation. En réalité, la BCE n’a d’autre choix que de conserver une politique accommodante encore très longtemps.

Par ailleurs, elle s’apprête à lancer un nouveau programme de liquidité d’un montant de 400 milliards d’euros, lequel est lié aux prêts consentis par les banques aux agents économiques non financiers et exclut les prêts immobiliers. Ce programme vise donc les prêts aux entreprises dans le but d’améliorer leurs capacités de financement. Avec cet instrument, la BCE cherche à stimuler la demande intérieure. Le montant des liquidités disponibles dans le cadre de ce dispositif dénommé TLTRO (opérations ciblées de refinancement à long terme) est susceptible d’augmenter en 2015 et 2016. A l’heure actuelle, l’arrêt de ces opérations est prévu pour la fin 2018. Il s’agit donc d’un programme à long terme.

Enfin, il convient de souligner que la BCE est également le gendarme du secteur bancaire dans la zone euro. A ce titre, elle publiera fin octobre les résultats des tests de résistance appliqués aux principales banques de la région. Suivant leur nature, ces résultats pourraient avoir un impact sur les marchés financiers.

La banque centrale britannique se dirige-t-elle vers la normalisation de ses taux d’intérêt ?

Le message envoyé par la Banque d’Angleterre est flou. Il est donc difficile en l’état actuel de déterminer quand une hausse des taux pourrait être annoncée. Le Royaume-Uni connaît incontestablement une reprise, mais les indicateurs macroéconomiques ne montrent pas de surchauffe. Le PIB vient juste de retrouver son niveau d’avant la crise au deuxième trimestre 2014, mais le PIB par habitant en est encore loin (5% au premier trimestre 2014). Cela signifie que la crise a eu des effets persistants et qu’une hausse trop rapide des taux d’intérêt pourrait nuire au redressement économique du pays.

Globalement, je pense qu’une reprise sur le marché de l’emploi accompagnée d’une hausse des salaires réels est nécessaire pour permettre à la Banque d’Angleterre d’adopter une politique monétaire moins accommodante.

Laura Sarlo, Analyste dette souveraine européenne, Loomis, Sayles & Company

Le Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre (MPC) a indiqué se rapprocher d’un relèvement des taux d’intérêt à court terme. Si nous pensons que le MPC se dirige vers un relèvement des taux à l’horizon des prochains trimestres, nous estimons toutefois qu’il se montrera patient, compte tenu du resserrement de la politique de crédit orchestré depuis novembre par le Comité de politique financière (Financial Policy Committee, FPC).

Les marchés intègrent actuellement une certaine probabilité de relèvement des taux avant la fin de l’année en cours, et une hausse de 25 points de base d’ici la fin du deuxième trimestre 2015. Nous considérons que la politique monétaire a déjà connu un resserrement depuis novembre 2013, date à laquelle le FPC a amorcé le déploiement d’outils visant à durcir les conditions de crédit, notamment dans le secteur du logement. Dans une certaine mesure, la réforme institutionnelle de la Banque d’Angleterre en 2013 a instauré une séparation entre politique de taux d’intérêt et politique de crédit, mettant à sa disposition un ensemble d’outils plus flexibles et plus nuancés en comparaison d’autres banques centrales à travers le monde.

Le seul recours aux taux d’intérêt est d’une certaine façon un outil mal adapté pour gérer le marché britannique du logement, qui se caractérise par des tensions particulièrement prononcées à Londres. Le FPC a modifié ses recommandations en matière de crédit bancaire à plusieurs occasions au cours des neufs derniers mois, le resserrement le plus récent de sa politique remontant au mois de juin. Les indicateurs de l’activité sur le marché du logement témoignent d’un apaisement depuis le printemps dernier et, plus récemment, des signes laissent penser que les prix ralentissent également.

La pression liée à la hausse des salaires pourrait-elle conduire à une hausse anticipée des taux ?

Outre le logement, les salaires constituent l’autre grande préoccupation des intervenants qui s’attendent à un relèvement anticipé des taux. Face à la forte croissance de l’économie et à la baisse régulière du chômage, certains d’entre eux pensent en effet que la hausse des salaires est susceptible de motiver un rehaussement des taux à bref délai. Jusqu’ici toutefois, la croissance des salaires reste modérée, du fait selon nous des capacités excédentaires qui subsistent, comme en témoigne le pourcentage encore élevé de travailleurs temporaires et à mi-temps indiquant qu’ils auraient accepté un poste un plein temps si disponible. De plus, avec peu de chance d’un dépassement prochain de l’objectif d’inflation de 2% du MPC, nous devrions assister à un ralentissement de l’activité économique au deuxième semestre.

Chris Wallis, CEO, Gérant actions Vaughan Nelson Investment Management

Au cours des deux prochains trimestres, nous estimons que l’inflation pourrait être un peu plus élevée que le marché ne l’anticipe. Nous ne pensons pas cependant que l’accélération de l’inflation globale sera d’une ampleur suffisante pour affecter les actifs risqués comme les actions. En revanche, elle pourrait remettre en question la capacité de Fed à maintenir une politique monétaire aussi accommodante.

En conséquence, il est possible qu’une volatilité prononcée apparaisse au niveau de la courbe des rendements. Les investisseurs et les marchés pourraient craindre que la Fed ne soit contrainte d’accélérer en partie le rehaussement des taux d’intérêt ou, dans la mesure où elle déciderait de ne pas le faire, qu’elle accroisse son retard par rapport à l’amélioration des données économiques à l’horizon de 2015 et ne soit dès lors forcée d’agir de façon plus musclée ultérieurement. Nous pensons qu’un tel scénario est susceptible de créer une certaine anxiété, laquelle pourrait engendrer une volatilité propice aux gérants actifs en leur offrant l’opportunité de constituer des positions très attrayantes.

Selon vous, comment les marchés sont-ils susceptibles de réagir à la normalisation des taux de la Fed ?

La « normalisation » de la politique monétaire devrait dans le même temps mettre la pression sur certains segments du marché, tels que les fonds immobiliers cotés (REIT), les services aux collectivités et d’autres secteurs défensifs. Ce faisant, elle donne aux gérants actifs l’opportunité de réellement surperformer le marché d’un point de vue prospectif. C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil toute augmentation éventuelle de la volatilité et estimons qu’une correction de 5 à 10% des marchés d’actions serait tout à fait salutaire à ce stade.

Next Finance , Septembre 2014

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