Le Mystère Irlandais

Le 12 juillet, l’agence S&P a relevé la perspective de la notation Irlandaise (BBB+) à positive. Comment analyser ce pays qui divise les investisseurs (et les agences de notation) ?

Principales caractéristiques

  • L’Irlande est un petit pays (4.5 millions d’habitants, 1.2% du capital de la BCE) mais au système bancaire hypertrophié (multiple bancaire « chypriote ».
  • La dette Irlandaise, historiquement quasi nulle, a explosé à la faveur du sauvetage du système bancaire (principalement AIB et anglo Irish bank,) ainsi que de la crise bancaire qui a suivi, pour atteindre les 120% du PIB fin 2012.
  • Les agences sont très divisées sur ce pays, alors que le BBB+ sous surveillance positive de S&P est très flatteur et comparable à la notation d’un Danone, Moodys note le pays Ba1 sous surveillance négative, donc dans la catégorie spéculative.
  • L’Irlande a fait son grand retour sur les marchés financiers en 2013. Elle était absente depuis son « sauvetage » par le FESF, le FESM et le FMI à hauteur de 85 milliards d’euros en 2010. Elle a émis 5 Milliards d’euros à 10 ans au taux attractif de 3.9%
  • Bien que membre de la zone euro, l’Irlande est plus connectée avec le Royaume Unis qu’avec le reste de la zone de part des systèmes bancaires proches. Ainsi une faillite ban-caire Irlandaise serait un problème majeur pour la Grande Bretagne dans son ensemble.

Le retour de la confiance

Il est difficile de nier que l’Irlande a payé son rôle de paradis fiscal lors de sa crise bancaire : En consacrant 32% de son PIB en dette pour soutenir son système bancaire à l’agonie, l’Irlande a du protéger seule le système européen du risque systémique. L’Espagne a plus récemment bénéficié d’une coopération nettement plus importante des instances européennes, entrainant par la même un sentiment de malaise en Irlande.

Si l’Irlande a payé cher cette crise bancaire qui continue à la pénaliser durement, il est difficile de nier que la bonne tenue de la croissance Irlandaise ces derniers trimestres la place dans les bons élèves de la zone euro sur ce critère, alors que les autres pays ayant reçu un package Europe-FMI sont toujours en difficultés.

La croissance Irlandaise a atteint les 2.% en 2011 et 0.2 en 2012, à comparer à -7.15% et -6.4% pour la Grèce et -1.5% et -3.2% pour le Portugal.

Le redressement de la balance des comptes courants irlandaise, effectivement impressionnant rassure les investisseurs.

Le marché anticipe d’ailleurs une poursuite de ce mouvement avec une croissance positive et une balance des comptes toujours excédentaire. Le taux de natalité Irlandais, un des plus élevé d’Europe à plus de 2 enfants par femmes, et la pyramide des âges reflétant la jeunesse du pays sont autant d’éléments également rassurants pour les investisseurs.

La confiance est donc pleinement revenue sur l’Irlande.
L’évolution des taux irlandais est éloquente : de plus de 15% avant le sauvetage du pays, ils ont reflués à moins de 3% après avoir touché les 2% en mai.

Par ailleurs, le coup de la dette irlandaise a diminué avec les abaissements graduels des rendements exigés sur les prêts du programme de sauvetage EU/FMI. Ainsi les économistes sont nombreux à considérer que l’Irlande est un pays sur la bonne pente qui pourra être considéré comme sauvé.

Pourtant avec un déficit 2013 prévu de 7.4% du PIB et une dette qui représente déjà 120% de ce même PIB, cet optimisme est-il vraiment raisonnable ?

Les points d’inquiétudes ne manquent pourtant pas

Depuis quelques années, l’Irlande a réussi la où le Japon a échoué pendant plus de 20 ans : sortir d’une crise bancaire en restaurant la croissance à grand renfort de déficit.

Pourtant, nous savons que la forte croissance des années 1990-2000 a été liée à la hausse du multiplicateur bancaire. Certains pays comme l’Irlande, l’Islande ou Chypre ont vu ce multiplicateur exploser la croissance suivre le mouvement. Accompagner un retour à la norme du secteur bancaire, sans un effondrement de l’économie est un challenge quasi-impossible.

Pour l’instant, l’Irlande a réussi ce défi au moyen d’un soutien étatique entrainant un déficit très important. Le plan Irlandais prévoyait un retour à la croissance rapide, et une baisse forte du déficit.

Alors que l’Irlande anticipait une croissance de 3% pour 2012 en début d’année dernière, elle a finalement publié un chiffre de +0.8% en fin d’année, révisé en juin à 0.2%. Les perspectives pour 2013 ne sont guère meilleures. Le retour de la croissance semble ressembler à un voeux pieux, plutôt qu’à une réalité économique. L’Irlande est d’ailleurs le pays européen qui sur-estime le plus sa croissance en début d’année (en compagnie de la France).

Le déficit initialement espéré à 6% en 2012 a finalement atteint les 7.60% et doit toujours représenter 7.40% du PIB en 2013. La encore, une amélioration rapide n’est pas réellement dans les perspectives réalistes du pays, dans un environnement européen de déflation et de croissance atone.

Même en restant sur le scénario optimiste actuellement envisagé par le pays, et compte tenu de l’inflation envisagée en zone euro proche de 1%, la dette irlandaise devrait représenter 126% du PIB en 2013, pour dépasser les 130% en 2014. Pas de quoi expliquer des taux à 10 ans sous les 4%.

Il faut néanmoins rappeler que l’Irlande détient la structure de défaisance National Asset Management Agency, qui pourrait au gré du recouvrement de ses créances douteuses, entrainer une baisse de la dette Irlandaise affectée au financement de cette entité.

Au final, le problème Irlandais reste lié à son système bancaire : Malgré des atouts de coût du travail, de démographie ou d’amélioration de la balance des comptes courants, il est illusoire de faire repartir la croissance dans un pays ou le crédit bancaire baisse actuellement de 20% par an.

Ainsi le bilan d’Allied Irish Bank qui correspondait au PIB Irlandais a baissé de plus de 30% depuis le début de la crise.

Ce deleveraging est rendu encore plus difficile par la baisse de la solvabilité des ménages irlandais. Avec un marché immobilier en baisse de prêt de 50% depuis 2010, et une chûte de 90% des prix immobiliers dans l’intervalle, il n’est pas surprenant que les non-performing loans atteignent 25% de l’actif des banques irlandaises.

Le chômage irlandais qui a fortement progressé, s’il doit être modéré de l’impact de la démographie, laisse clairement entendre que la solvabilité de la population ne devrait pas s’améliorer à court terme.

Ainsi, si comme pour le Portugal ou l’Italie, l’Irlande paye fortement un endettement élevé et l’effet boule de neige qui en découle, son retour à la croissance sera clairement entravé par le poids du déleveraging bancaire nécessaire.

Au final, les perspectives de retour en 2014 à une croissance de 2% et un déficit de 5% (qui continuerait ceci dit à creuser la dette), nous semble très peu probables. Nous pensons qu’une croissance nulle serait déjà une performance de qualité compte tenu de l’environnement bancaire.

Notre recommandation

Nous considérons que l’Irlande devrait suivre le chemin du Portugal. Si les efforts effectués par le pays ont été importants, depuis des années, le consensus est resté trop optimiste sur les perspectives de croissance et de déficit.

Néanmoins, face au poids de la dette déjà constituée, et au retard pris par la Banque Centrale Européenne, qui a mis trop longtemps avant de s’engager pour un retour de la croissance européenne, il faudra sans doute passer par une restructuration de la dette, avant de pouvoir envisager de revenir à un niveau d’endettement raisonnable.

Compte tenu des niveaux de taux offerts sur les titres Irlandais, nous recommandons de rester à l’écart tant des titres souverains que des banques et des entreprises domestiques.

Thibault Prébay , Juillet 2013

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