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La sociabilité, frontière ultime de la compétitivité ?

Investissement éthique ou durable se conjuguaient de prime abord avec environnement et gouvernance d’entreprise. L’aspect responsabilité sociale, bien que présent, était peu développé. Cette situation a radicalement changé avec l’effondrement du Rana Plazza au Bangladesh.

Cette catastrophe a servi de catalyseur à une vaste prise de conscience de l’impact très dommageable pour l’entreprise que pouvait avoir une attitude négligente vis-à-vis des parties prenantes à la chaîne de production.

L’investissement socialement responsable (ISR) comporte trois volets : l’environnement, le social et la gouvernance d’entreprise. Clairement délimités et répondant à des préoccupations très actuelles telles que le réchauffement climatique ou, pour les actionnaires, la défense de leurs droits au sein des entreprises, le premier et troisième ont été relativement bien analysés. Il n’en a pas été de même pour le volet responsabilité sociale, d’un abord plus complexe. En effet, les problèmes posés par cette responsabilité sont généralement plus difficiles à résoudre et exigent plus de temps : il ne suffit pas de mettre un filtre à particules pour cesser de polluer l’environnement social !

Pourtant, comme l’a montré l’effondrement du Rana Plazza et avant lui, d’autres épisodes comme ceux ayant mis en cause Foxconn, l’entreprise taïwanaise, leader mondial de la sous-traitance électronique, un environnement de travail non sécurisé ou le non-respect du droit du travail, peuvent avoir des répercussions très importantes sur la réputation d’une entreprise et, à long terme, sur sa compétitivité et sa rentabilité. Dans les deux cas cités, l’impact est durable.

Pour Foxconn par exemple, alors que les premiers rapports concernant des conditions de travail problématiques datent de 2010, la polémique se poursuit et, en septembre dernier, l’usine brésilienne du sous-traitant devait faire face à une grève liée aux conditions de travail. Bien que les résultats 2014 du groupe aient été excellents, certains analystes se montrent plus réservés quant à son avenir : longtemps assembleur exclusif de l’iPhone et de l’iPad, Foxconn partage dorénavant ce marché avec d’autres sous-traitants, Apple ayant récemment étoffé sa liste de prestataires.

Comment intégrer tous ces éléments dans une approche responsable ? Le Pacte Mondial des Nations Unies (United Nations Global Compact) qui a pour objectif premier de promouvoir la légitimité sociale des entreprises et des marchés offre un premier cadre de travail intéressant. Par ce pacte, les entreprises signataires s’engagent en effet à aligner leurs opérations et leurs stratégies sur dix principes universellement acceptés touchant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption.

Mais c’est au niveau sectoriel et selon une double approche macro et micro qu’il devient possible de déterminer avec précision dans quelle mesure chaque entreprise gère ses relations avec les parties prenantes et tient compte de leurs intérêts. L’approche sectorielle est déterminante lorsque le but poursuivi est de dessiner un univers ISR constitué des meilleurs (best in class). En effet, un fabricant de biens de consommation qui aura généralement recours à toute une chaîne de sous-traitants présente un profil de risque « social » très différent d’une banque pour laquelle ce risque est essentiellement interne. Le secteur est également très important en regard des enjeux macro : une société minière ne sera que moyennement exposée aux risques sociaux, sinon ceux liés à d’éventuels déplacements de population liés à l’ouverture d’une nouvelle exploitation, alors qu’un fabricant de produits alimentaires devra se positionner en fonction d’un objectif de santé publique (obésité par exemple). Cependant, c’est essentiellement sur le plan micro que se déploiera l’analyse des relations avec les parties prenantes et plus particulièrement celles avec les employés et les fournisseurs. Outre les indicateurs tels que la rotation du personnel, l’absentéisme, le nombre d’accidents, le nombre de journées de grève, il s’agira de vérifier que les droits fondamentaux sont biens respectés (interdiction de travail des enfants, droit de se syndiquer, etc) et éventuellement codifiés au travers d’une charte.

La démonstration par l’exemple.

Dans une récente recherche consacrée à l’industrie de l’hébergement, nous nous sommes posé la question de savoir en quoi le modèle actuel qui vise à réduire les immobilisations (développement des franchises, cession des murs, etc) pouvait affecter les relations avec les parties prenantes et, en particulier les relations avec le personnel. En effet, le développement du système de franchise a fait l’objet de critiques et pourrait être perçu comme un moyen utilisé par les groupes hôteliers pour éluder leurs responsabilités vis-à-vis de leurs employés indirects. En tant qu’investisseurs socialement responsables, nous sommes arrivés à la conclusion qu’en sous-estimant l’importance des conditions de travail de ces employés, les chaînes hôtelières prennent un risque au niveau de leur réputation et par conséquent de leur valeur économique. Nous serions donc très favorables à toute initiative qui permettrait un meilleur contrôle du respect des conditions de travail de la chaîne. Cependant, conscients de la forte concurrence qui règne sur ce marché ainsi que des barrières légales existantes (contraintes variables selon les pays d’implantation), nous pensons que toute amélioration ne peut venir que d’un effort collectif de l’industrie.

Cet exemple de recherche, effectué dans le cadre de notre dernière analyse ISR du secteur hôtellerie, restauration, représente une bonne illustration de notre approche. Grâce au dialogue avec différents acteurs sur le terrain nous avons pu améliorer notre grille d’analyse et en particulier approfondir la question des relations durables avec les fournisseurs et assimilés, laquelle est partie intégrante de notre évaluation micro de la gestion des relations avec les parties prenantes. Les échanges que nous avons pu avoir avec les entreprises concernées et leurs parties prenantes nous ont également permis de montrer que les répercussions potentielles d’une stratégie de réduction des immobilisations étaient importantes aux yeux d’un investisseur ISR Pour donner une autre illustration de notre approche, prenons le cas de l’analyse d’une entreprise, en l’occurrence du groupe Sodexo qui se définit lui-même comme « leader mondial des services de qualité de vie ». Du point de vue de notre analyse macro, le groupe obtient de bons résultats grâce à sa présence dans des économies émergentes et à son activité de chèques-services qui contribue à la réduction de l’économie informelle. De plus, du fait de son activité sur le segment « santé & seniors », le groupe se positionne favorablement face au défi mondial « santé & bien-être ».

Au plan micro, il est également très bien noté par rapport à ses concurrents, notamment du fait de ses programmes de recrutement de jeunes et de recrutement via les média sociaux. Il offre également de belles opportunités en matière de développement de carrière. Globalement sa gestion des ressources humaine lui permet d’atteindre le taux de rétention du personnel le plus élevé du secteur. Pour rester dans le domaine du socialement responsable, nous constatons que le groupe s’est doté d’un code de conduite concernant ses fournisseurs et que ce dernier vise à établir des pratiques durables avec ceux-ci.

Le socialement responsable aujourd’hui : quelles tendances ?

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se mobiliser et se prêtent plus volontiers au dialogue. Dans le cas de Rana Plazza, cela s’est traduit notamment par le lancement de fonds destiné à la rémunération des victimes et par la mise en place d’audits réguliers et publiés quant aux conditions de sécurité au travail. De manière générale, les initiatives de collaboration se multiplient. Du côté des investisseurs, en vue d’avoir plus de poids dans les entreprises et dans le but de les inciter à de meilleures pratiques, on assiste à la création de coalitions auxquelles, en tant qu’acteurs très engagés dans l’ISR, nous prenons part régulièrement. Enfin, il existe une réelle prise de conscience de la part des états : en témoigne cette récente discussion au Parlement européen autour de l’obligation d’imposer la publication de l’origine des minerais afin de couper court à la corruption et à la vente d’armes.

Et, last but not least, en pratique, une mise en œuvre sérieuse des critères ESG, même compte tenu d’un « S » qui implique d’éviter certaines très grosses capitalisations boursières, ne nuit en rien à la performance de l’investissement. Les résultats de nos véhicules dédiés à l’investissement durable sont là pour le confirmer.

Isabelle Cabie , Juin 2015

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