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La BCE : L’Épineuse question des réserves excédentaires en période de taux négatifs

Lors du Conseil des Gouverneurs de mars, la BCE a prolongé sa forward guidance en indiquant qu’elle gardera ses taux directeurs aux niveaux actuels jusqu’à « au moins la fin 2019 » (auparavant, la forward guidance mentionnait « jusqu’à au moins l’été 2019 »).

En conséquence, la zone euro entrera en juin dans sa 5ème année de taux négatifs, sans perspective d’en sortir rapidement. Rappelons que les banques de la zone euro paient aujourd’hui 0,4% de taux négatifs sur environ 1900 Mds € de réserves excédentaires, soit environ 7,5 Mds€ par an.

Alors que Mario Draghi avait minimisé les effets négatifs des taux négatifs sur les banques durant sa conférence de presse, il a sous-entendu en début de semaine dernière [1] que la BCE pourrait réfléchir à de « possibles mesures qui pourraient préserver les implications favorables pour l’économie, en en atténuant les effets indésirables. » Le jour même, une dépêche Reuters a affirmé que la BCE travaillerait sur l’idée d’un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux [2] . Nous revenons dans ce document sur les grandes questions qui se posent sur les réserves excédentaires en période de taux négatifs. Quelles sont les conséquences principales d’un système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux ?

Le principe d’un tel système est que les banques ne paient des taux négatifs qu’au-delà d’un certain montant de réserves excédentaires. Il y aurait donc deux conséquences principales :

Les banques paieraient moins de taux négatifs sur les réserves excédentaires Cela crédibiliserait l’idée du maintien à des niveaux bas plus longtemps (sinon, à quoi bon créer un nouveau mécanisme pour quelques mois ?)

Le système de rémunération des réserves à plusieurs niveaux a-t-il déjà été utilisé ?

D’autres banques centrales ont déjà adopté un système de ce type, comme la banque centrale suisse (SNB) ou la Banque du Japon (BoJ).

Pour la SNB [3] , le montant individuel d’exemption par rapport aux taux négatifs (c’est-à-dire le niveau de réserves en deçà duquel les banques ne paient pas de taux négatifs) correspond à 20 fois le montant de réserves obligatoires à une période de référence (niveaux de novembre 2014) moins l’augmentation (ou plus la diminution) au fil du temps du cash détenu (afin d’empêcher de remplacer des dépôts par du cash). Une estimation de février 2016 avait montré qu’environ les deux tiers des réserves des banques suisses avaient ainsi été « exemptées » des taux négatifs [4].

En zone euro, les réserves obligatoires des banques se situent aujourd’hui à 128 Mds € : 20 fois ce montant correspondrait à 2568 Mds €… (alors que les réserves excédentaires tournent à 1900 Mds €). Une règle du type de celle de la SNB serait donc très avantageuse pour les banques. Cela dit, rien ne dit que le facteur multiplicatif (si un mécanisme de ce type était retenu) serait 20 et la situation des banques au niveau individuel pourrait être très hétérogène !

En 2016, la BoJ [5] avait aussi implémenté un système de rémunération des réserves à plusieurs tranches sur le modèle suivant : une tranche de rémunération à 0,1% (sur un montant total de 210 trn ¥), une tranche de rémunération à 0% (sur un montant total de 40 trn ¥) et une tranche de rémunération à -0,1% (sur un montant total de 10 trn ¥). Autrement dit, la BoJ n’avait introduit des taux négatifs que sur une toute petite partie des réserves des banques [6].

D’où proviennent les réserves excédentaires des banques en zone euro ?

La forte hausse des réserves excédentaires depuis 2015 provient en très large partie du QE de la BCE ? Celles-ci ont mécaniquement augmenté car les titres achetés par les banques centrales de l’Eurosystème dans le cadre du QE ont été payés avec des réserves, que les vendeurs finaux de titres aient été des banques ou non.

Cas dans lequel la banque centrale achète des titres à une banque :

Cas dans lequel la banque centrale achète des titres à un autre intervenant de marché :

Pour la période 2011-2012, les réserves excédentaires avaient fortement monté à cause de la poussée de la demande de refinancement des banques commerciales des pays en difficulté, qui avait été satisfaite par les premières opérations de LTRO de durée longue (1 an puis 3 ans).

Entre juin 2011 et juin 2012, les opérations de refinancement (MRO+LTRO) sont passées de 497 Mds à 1260 Mds € (la hausse de 762 Mds correspond peu ou prou à la hausse des réserves excédentaires sur la période).

Dans quels pays se situent les réserves excédentaires aujourd’hui en zone euro ?

Le graphique ci-dessous représente la répartition par pays des réserves (obligatoires + excédentaires) des banques à l’Eurosystème : les banques allemandes et françaises seraient donc largement gagnantes d’une telle mesure, mais aussi les banques néerlandaises et espagnoles.

Pourquoi les réserves excédentaires sont-elles plus importantes en Allemagne et en France qu’ailleurs ?

Dans le cadre du PSPP (le programme de loin le plus important dans le QE de la BCE), les achats de titres ont été réalisés au prorata du poids des Etats au capital de la BCE (la fameuse « règle de la clé de capital »). On aurait donc pu s’attendre à ce que la répartition des réserves excédentaires des banques en zone euro se rapproche davantage de ces poids. Cependant, les réserves excédentaires ont surtout monté en Allemagne et en France, et dans une moindre mesure aux Pays-Bas, en Espagne et au Luxembourg :

La majeure partie de l’explication du phénomène tient au fait qu’environ la moitié des titres achetés par l’Eurosystème dans le cadre du QE ont été vendus par des non-résidents [7]. Dans ce cas, le paiement des titres avec des réserves par les banques centrales de l’Eurosystème se fait via le compte banque centrale choisi par la banque non-résidente or les filiales des banques non-résidentes sont généralement établies dans les centres financiers : Francfort, Paris, Amsterdam, Luxembourg et Helsinki (pour les banques scandinaves). C’est cela qui a fait que les réserves excédentaires ont fortement augmenté en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Finlande. Au passage, c’est aussi ce phénomène qui a causé le fort creusement des déséquilibres TARGET2 depuis mars 2015.

Le fait que les réserves excédentaires soient élevées dit-il quelque chose sur l’évolution du crédit bancaire au secteur privé ?

La réponse rapide est « non ». Comme l’explique la BCE sur son site internet : « Même si la monnaie (électronique) et l’excédent de liquidité se retrouvent toujours à la banque centrale, cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas utilisés dans l’économie. » Comme le schéma suivant l’indique, un prêt octroyé par une banque pour financer la transaction de l’un de ses clients fait baisser ses réserves excédentaires mais fait monter celles de la banque du destinataire de la transaction :

Qu’est-ce qui fait varier les réserves excédentaires ?

Les banques centrales peuvent faire baisser les réserves excédentaires lors des opérations de Quantitative Tightening (comme la Fed l’a fait entre octobre 2017 et septembre 2019).

Dans le cas où les titres du Trésor détenus par la banque centrale arrivent à maturité et sont remplacés par des titres du Trésor achetés par une banque : Dans le cas où les titres du Trésor détenus par la banque centrale arrivent à maturité et sont remplacés par des titres du Trésor achetés par un autre intervenant de marché :

Hors période de Quantitative Tightening, les réserves excédentaires peuvent également évoluer en fonction des dépôts et retraits effectués par les Etats sur leur compte à la banque centrale.

Prenons le compte où l’Etat débite son compte à la banque centrale pour verser des transferts sociaux à des ménages :

Hors période de Quantitative Tightening, les réserves excédentaires peuvent aussi évoluer avec des opérations de reverse repo. La Fed notamment a recours à ce mécanisme chaque jour (Overnight Reverse Repurchase Agreement Facility) : la Fed vend un titre contre des liquidités en s’engageant à le racheter le lendemain.

Bastien Drut , Avril 2019

Notes

[1] « Monetary policy in the euro area », 27 mars 2019, discours de Mario Draghi à la conference “The ECB and its watchers XX”

[2] https://www.reuters.com/article/us-...

[3] https://www.snb.ch/en/mmr/reference...

[4] https://www.reuters.com/article/us-...

[5] https://www.boj.or.jp/en/announceme...

[6] https://www.snb.ch/en/mmr/reference...

[7] Voir par exemple : https://blocnotesdeleco.banque-fran...

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